Champagne / In Vino

Cap sur la viticulture régénératrice

Champagne. Les Maisons de Champagne Mumm et Perrier-Jouët consacrent 20 hectares à leur ambitieux projet qui s’ouvre pour plusieurs années.

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Le programme de viticulture régénératrice comprend l’étude des sols, la mise en place de semis et un changement des pratiques culturales, parcelle par parcelle. Benjamin Busson

« Plus qu’un projet, ce programme de viticulture régénératrice est une aventure humaine », avance Stéphane Varet, directeur Approvisionnements et Vignoble Champagne G.H. Mumm Perrier-Jouët qui porte le programme avec Jessica Jazeron-Schneider responsable R&D et suivi des certifications VDC / HVE chez Martell Mumm Perrier-Jouët (groupe Pernod-Ricard).

Ensemble de méthodes respectueuses de l’environnement, la viticulture régénératrice est présentée comme une démarche globale basée sur le vivant, la biodiversité et la vie des sols pour préserver leur équilibre et stimuler les processus biologiques. Inédite par son ampleur, la démarche n’est pourtant pas nouvelle au sein du groupe Martell Mumm Perrier-Jouët. « Historiquement, les Maisons Mumm et Perrier-Jouët ont déjà eu des entités spécialisées dans la recherche et le développement, qui ont travaillé sur les plantations mécanisées au laser ou les expérimentations liées aux vignes semi-larges (VSL) par exemple », précise Stéphane Varet.

Mais depuis fin 2020, le groupe a décidé de passer à la vitesse supérieure en misant donc sur « la viticulture régénératrice ». Au-delà des certifications existantes VHE et VDC, obtenues par les vignobles des deux Maisons de Champagne, il s’agit pour les équipes, d’aller plus loin dans la démarche et d’opérer une véritable transformation de son vignoble pour avoir un impact durable sur la nature. « C’est une aventure agronomique, avec des pratiques qui garantissent un certain niveau de rendement et un enjeu social important ». En résumé, il s’agit pour MMPJ de mettre en place de nouvelles pratiques, plus respectueuses des sols tout en garantissant des rendements qualitatifs et quantitatifs satisfaisants, dans le respect de l’organisation et des conditions de travail des équipes.

Mapping et connaissance du sol

Accompagnée par la société Biosphères, spécialiste reconnue de la transition agroécologique, les équipes des vignobles Mumm et Perrier-Jouët ont déjà mis en place plusieurs mesures dans leurs parcelles. « Nous avons commencé le projet par une première phase d’audit, avec un mapping complet de notre terroir avec une centaine d’échantillonnage et des analyses sur la microbiologie des sols », explique Jessica Jazeron-Schneider. Un travail de fourmi destiné notamment à étudier la compacité du sol mais aussi sa teneur en vers de terre, révélateur de la bonne santé de la biodiversité. En creusant leurs galeries, ils permettent notamment la bonne aération du sol, le déplacement de matières organiques et la circulation de l’eau. « On a perdu la connaissance de nos sols », constate et regrette Stéphane Varet.

« Nous sommes attentifs à élaborer des cuvées qui restent fidèles au style Mumm Perrier-Jouët »

Jessica Jazeron-Schneider poursuit : « Avec nos prélèvements, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait très peu de vers dans nos sols. Cela veut dire qu’il n’y a pas de brassage possible grâce à eux, alors qu’ils représentent 60 à 70% de la biomasse du sol ». à la suite de l’audit, le groupe a fait le choix fort de consacrer 20 de ses 260 hectares de vignes à ces expérimentations. « C’est de la viticulture du vivant. Les mécanismes naturels vont remplacer les intrants », annonce la responsable R&D. « Aujourd’hui on doit adapter nos pratiques à chaque parcelle ». Pour justement permettre aux sols de respirer, il a été décidé d’effectuer des semis de couverts fleuris, seigle, fèverole ou de trèfle, entre les rangs de vignes, à chaque rang ou un rang sur deux selon les parcelles d’expérimentations choisies et les variétés semées. Parmi les axes de travail figurent aussi la nutrition de la plante et la restauration de la biodiversité grâce notamment à l’agroforesterie.

Jessica Jazeron-Schneider, responsable R&D et suivi des certifications VDC / HVE, et Stéphane Varet, directeur Approvisionnements et Vignoble Champagne G.H. Mumm Perrier-Jouët, portent le programme de viticulture régénératrice. Benjamin Busson

De la même manière, le nombre de passage avec les machines vont être réduits tout comme les interventions dans les vignes. « Notre principale difficulté, c’est la maîtrise sous le rang de vigne. On travaille actuellement sur les plantes que l’on va mettre sous le rang ». Le couvert est ensuite couché deux fois dans l’année et créé un paillage au sol qui permet de conserver l’humidité et d’augmenter le taux de matière organique de celui-ci. Les équipes MMPJ ont commencé à intervenir en essais libres il y a deux campagnes mais le projet a été officiellement lancé sur cette campagne : les semis ont été réalisés dès la fin de la vendange 2021, nécessitant une organisation nouvelle en interne. Le groupe travaille sur quatre plateformes d’essais à Verzy, Aÿ, Avize et Ambonnay, de plusieurs hectares chacune.

Communication et pédagogie

Des panneaux ont été installés aux abords de chaque parcelle expérimentale pour expliquer aux vignerons voisins et aux passants, la nature de cette expérimentation qui peut se montrer intrigante. De quoi répondre aussi à la perplexité de certains champenois de découvrir du seigle au beau milieu d’une parcelle, la hauteur de la végétation laissant parfois difficilement percevoir les pieds de vigne ! Pédagogiques et munis d’un QR Code, les panneaux offrent une explication globale de la démarche environnementale du groupe. à cette communication externe s’ajoute toute une démarche de communication et de formation en interne pour sensibiliser les équipes mais aussi les préparer à la mise en place des nouvelles pratiques, sans pour autant rogner sur la qualité de vie au travail.

Outre les objectifs économiques, le Maison doit également s’assurer que les caractéristiques des vins issus des parcelles concernées pas la viticulture régénératrice restent les mêmes. « Nous sommes attentifs à élaborer des cuvées qui restent fidèles au style Mumm Perrier-Jouët. C’est aussi pourquoi le service R&D du vignoble travaille étroitement avec les œnologues du groupe », précise Stéphane Varet, qui joue la transparence sur le sujet.

« Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec une trentaine de nos partenaires, mais également avec les services du CIVC et les autres Maisons et vignerons qui souhaitent s’associer à la démarche », insiste le directeur Approvisionnements et Vignoble. « L’idée c’est d’entraîner un maximum de monde dans cette démarche pour faire un maximum d’essais et tirer les meilleurs conclusions d’ici 3 à 4 ans. Les enjeux de la biodiversité en Champagne sont collectifs. On ne pourra y répondre que collectivement ».