La clé du changement
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La clé du changement

Marie Delon. Psychologue du travail, elle est à la tête du projet régional du conseil en évolution professionnelle (CEP).

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Être une porte d’entrée pour ceux qui se questionnent sur leur situation professionnelle, qui désirent embrasser une autre carrière, affiner leurs compétences ou qui ont un besoin de reconnaissance avec la Validation des acquis de l’expérience (VAE), c’est ainsi l’enjeu du conseil en évolution professionelle (CEP) un service public gratuit, ouvert à tous les actifs, mais aussi le cheval de bataille de Marie Delon, à la tête du projet CEP Occitanie. Ce dernier a d’ailleurs connu une réforme en janvier 2020, à l’aube de la crise sanitaire. Le service est désormais délivré par les Centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC) et les trois chambres consulaires, qui fusionnent à travers le réseau EVA, autour d’un objectif de proximité territorial, un projet d’envergure.

Marie Delon, à la tête du projet régional du conseil en évaluation professionnelle DR

Cette réforme, qui a pour ambition de confier le CEP à des opérateurs privés, tandis qu’auparavant le Fongecif concentrait notamment la quasi-totalité des demandes de reconversion professionnelle des salariés du privé, a pour objectif de renforcer le dispositif et d’élargir l’offre de services notamment en deux temps : l’accueil individualisé et adapté aux besoins du demandeur et l’accompagnement personnalisé. « Pour moi, ce service est une opportunité extraordinaire offerte aux salariés qui ne savent pas toujours comment s’y prendre. De nombreux actifs ne se sentent pas à leur place ou envie d’évoluer mais n’ont pas les clés pour amorcer un nouveau virage.  Ce service apporte des réponses concrètes.

Aujourd’hui, dans un premier temps, on établit un diagnostic et on informe la personne sur ce qu’un changement de métier implique. Nous creusons des pistes et établissons les motivations. Nous délivrons également un premier niveau d’information sur les dispositifs existants pour financer une formation.

Puis, si le bénéficiaire a besoin d’aller plus loin, nous passons au deuxième niveau qui consiste à formaliser le projet, à identifier le marché de l’emploi, à monter un dossier de demande de financements, etc. Le CEP propose également des conventions de stage pour une immersion. Il n’y a rien de mieux », souligne la directrice. 
Dans le détail, cette psychologue du travail est désormais chef d’orchestre de ce nouveau réseau EVA, mandaté par France compétences, qui regroupe 95 sites et 136 conseillers en région, pour une durée de quatre ans. « Je pilote les partenariats. Je m’assure, entre autres, du respect du cahier des charges et de la qualité du service. Je veille aussi, à ce que les conseillers aient toutes les cartes en main pour optimiser l’accompagnement auprès des bénéficiaires. Avec la crise, nous avons dû adapter nos process puisque, à l’origine, nous fonctionnons avec des entretiens individuels et en présentiel », explique Marie Delon qui se réjouit, nonobstant, des résultats encourageants obtenus en 2020. 10 212 salariés et indépendants ont bénéficié du CEP Occitanie représentant le plus important contingent des personnes accompagnées à l’échelle nationale. 91 % d’entre-elles étaient en CDI, âgées en moyenne de 38 ans et en majorité des femmes.  En ces temps de crise, les trois quarts des demandes provenaient des secteurs de la santé, du commerce et des services.  

« Notre commanditaire France compétences avait émis un prévisionnel de 13 000 personnes en Occitanie. Nous n’en sommes pas très loin et la région arrive en bonne position »

précise-t-elle.
Cependant, des efforts restent à mener en vue de déployer davantage ce service, encore méconnu. « Le CEP peut devenir un levier efficace face aux transformations du travail et aux défis de la relance », assure Marie Delon. Encore faut-il que cet acronyme arrive aux oreilles des actifs en quête de changement et que les entreprises deviennent un meilleur relais lors d’un entretien professionnel consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié, obligatoire tous les deux ans. À cet effet, l’employeur informe ses collaborateurs de la possibilité de recourir à des services de conseil en évolution professionnelle. Des entretiens qui passent souvent à la trappe. Ainsi, l’un des axes de la feuille route de la jeune directrice est de se faire entendre et de promouvoir le CEP. « Il manque clairement une communication nationale et institutionnelle contrairement au compte personnel de formation créé la même année, en 2015, alors que ces deux dispositifs, sont au final, complémentaires, regrette la trentenaire. Le CEP reste nébuleux. Ainsi, nous lançons cette année deux grandes compagnes de communication et accélérons les démarches auprès des syndicats et des entreprises ». Objectif : atteindre 15 000 bénéficiaires en 2021.
Ce service, que Marie Delon qualifie de « confidentiel », lui tient particulièrement à cœur. D’ailleurs, depuis son adolescence, elle souhaite s’illustrer dans le domaine du social, comme en témoigne également son expérience associative au Restos du Cœur et à l’Afev, en parallèle de ses six années d’études à la fac de psychologie et de jobs d’étudiant dans des fast-foods. Cette Montalbanaise, née d’un père commerçant, d’une mère employée de banque et petite-fille d’agriculteurs, qui traîne ses guêtres à la ferme tous les étés, a révélé son côté philanthrope à l’âge difficile. La petite fille modèle et studieuse, donnant, par la suite, plus de fil à retordre au lycée, aime particulièrement déjà conseiller et écouter les autres. Une fibre sociale qu’elle a assurément conservé. Un bac scientifique en poche, mettant de côté son envie de devenir « pharmacienne », cette boule d’énergie qui touche à une kyrielle d’activités sportives se laisse ainsi porter par des études de psychologie à l’université de Toulouse. « Je voulais aider les autres et, au final, le domaine de la psychologie ne se limite pas seulement au métier de psychologue libéral. Pendant les trois premières années, nous avons étudié la psychologie sociale (la relation avec autrui, l’effet du groupe, la persuasion, etc.) ce qui m’a beaucoup plu car nous faisons face à des exemples très concrets dans la vie quotidienne, contrairement à la psychanalyse qui, pour moi, reste floue. La psychologie cognitive m’a également fascinée. Ce master formait également à tous les aspects du monde du travail : l’orientation professionnelle, les ressources humaines, l’ergonomie, la souffrance au travail, etc.  ». Durant son cursus, la jeune femme effectue un stage dans un CIBC et un autre au sein d’une agence de garde d’enfants, en tant que chargée de recrutement. Deux expériences qui la confortent dans son choix de carrière, à savoir aider les autres à trouver leur voie. Diplômée en 2011 d’un master en psychologie sociale du travail et des organisations, elle quitte le cœur serré, son écrin de briques rouges, pour Perpignan où elle intègre un centre de bilan de compétences pour les salariés et les demandeurs d’emplois, pendant deux ans. 

« Une personne qui vient pour un bilan de compétences s’attend souvent à ce que le conseiller lui donne toutes les réponses mais pour parvenir à un résultat fructueux, la personne doit se mobiliser, se questionner sur ses goûts, ses inspirations profondes et aller explorer un secteur potentiel comme rencontrer des professionnels, etc.

 Nous pratiquions aussi des tests pour analyser la personnalité, les valeurs recherchées dans le milieu du travail et ainsi dessiner une appétence pour un secteur, explique-t-elle. Mon rôle était en quelque sorte d’aider la personne à trouver elle-même des réponses à ses questions. » Son bagage de psychologue prend ici son sens. 
« Ce n’est pas pour rien que les bilans de compétences sont souvent réalisés par des psychologues car il y a une grande part de questionnements. Un nouveau projet professionnel se construit en prenant en compte la sphère personnelle, familiale et les priorités visées. Les personnes doivent prendre également conscience de leurs ressources et de leurs limites, ce qui provoque un déclic. Et puis, il faut rebondir sur les propres mots du candidat et toujours questionner le subjectif », souligne cette pédagogue dans l’âme. Quid du taux de réussite ? « Je n’aime pas ce terme, avoue-t-elle. Encore une fois, cela dépend de l’investissement des candidats. Généralement, des démarches s’ensuivent. Mais si cela n’aboutit pas, dans tous les cas, ce n’est pas du temps perdu ». 
De son propre aveu, « n’étant pas faite pour le libéral » et préférant de loin le confort du salariat, elle se rapproche doucement de sa ville de cœur en passant par Point Information Conseil VAE de l’Aude, à Carcassonne. En tant que conseillère, elle retient une expérience « très enrichissante de par la diversité des profils et des métiers rencontrés. L’objectif était d’analyser les compétences, le parcours des candidats, de connaître les spécificités de leur métier pour identifier le meilleur diplôme à valider en VAE ». Son côté psychologue n’est alors jamais loin. Bien qu’elle s’épanouisse à ce poste, le manque de la Ville rose persiste. 
Deux ans après, elle intègre Uniformation. Le CEP devient alors le fil rouge de sa carrière. En effet, avant de rejoindre le réseau EVA, Marie Delon contribue au déploiement du CEP au sein de l’opérateur de compétences toulousain, dans lequel elle exerce pendant cinq ans. « Dès que j’ai été informée de la nouvelle loi, j’ai adressé des candidatures à toutes les structures qui s’apprêtaient à déployer le CEP avec la ferme intention de faire partie de l’aventure et aussi de revenir à Toulouse. J’ai eu la chance d’être recrutée par Uniformation où il y avait tout à créer. Puis, du fait de la nouvelle réforme, je savais que le CEP s’arrêterait dans cette structure.  Ayant été contactée par le CIBC Centre Occitanie, j’ai sauté sur l’occasion pour poursuivre ce que j’avais commencé.  »
En parallèle de son emploi à Uniformation, elle se lance dans une formation continue, un master en droit du travail. 

« Les salariés posent généralement de nombreuses questions relatives au droit du travail, ce qui m’a donné envie d’approfondir ces problématiques ainsi que l’aspect management et les fonctions d’encadrement pour lesquelles j’avais aussi un attrait ».

 Elle, qui espérait alors évoluer vers des missions de pilotage, est aujourd’hui au centre des problématiques régionales du CEP. Le terrain lui manque-t-il ?  « Aujourd’hui, mon expérience me sert à guider les conseillers avec des temps d’échanges, de pratiques, de professionnalisation. Et à travers eux, je suis toujours proche des bénéficiaires et en ce sens, je me sens utile », conclut-elle. À ses heures perdues, cette adepte de la rénovation, qui empile bien plus de matériels de bricolage dans ses placards que de paires de chaussures, et passionnée de poker dans un cadre associatif, espère que la crise sanitaire et économique permettra de redistribuer certaines cartes et d’accélérer la transition professionnelle en Occitanie. Une clé nécessaire pour relancer l’emploi dans les territoires.