Marie-Ange Léophonte
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Marie-Ange Léophonte

Positive attitude.

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Marie-Ange Léophonte, directrice générale de la Ligue contre le cancer Haute-Garonne. Emmanuelle Choussy

En début du mois, 5500 participants arborant de beaux maillots roses ont participé à la dernière édition de la course Je me Ligue contre le cancer, organisée chaque année depuis sept ans en octobre. Son objectif est de collecter des fonds pour soutenir la recherche et aider les malades atteintes du cancer du sein ou de ceux liés aux papillomavirus. Grâce à cette mobilisation record quatre-vingt-dix mille euros ont été récoltés, un montant historique. Une grande fierté pour Marie-Ange Léophonte, directrice générale de la Ligue contre le cancer de Haute-Garonne, qui organise l’événement avec l’appui d’une cinquantaine de partenaires.

Une fierté d’autant plus grande que l’idée a été reprise ailleurs en France. Ce n’est d’ailleurs pas la seule. D’autres projets conçus à Toulouse ont également essaimé, dont le Challenge des Gentlemen, le pendant d’Octobre rose, lancé il y a deux ans et dont l’ambition est de « sensibiliser nos hommes aux cancers masculins », explique Marie-Ange Léophonte. Un autre projet pourrait « faire des petits », celui de la création, tout près de l’Oncopole, de la Maison de la Ligue qui doit ouvrir dans le courant de l’année 2022.

« J’ai eu la possibilité de développer tout ce dont j’avais envie, c’est-à-dire tous les soins de support pour les patients »

« Une vraie belle maison » qui abritera des chambres où pourront être hébergés des patients atteints d’un cancer et leurs proches, un salon, une cuisine, des espaces dédiés aux soins non médicaux dit de support, et à l’extérieur de laquelle sera créé un jardin thérapeutique… Un projet de longue haleine puisque l’idée lui trotte dans la tête depuis des années, mais qui « a mis du temps à voir le jour ». De fait, le hasard fait parfois bien les choses. C’est en faisant son jogging autour du Campus Santé du Futur que la jeune femme a aperçu cette maison située tout près de l’hôpital Marchant, en bordure de la départementale. Dévastée par l’explosion d’AZF, cette belle demeure en briques foraines, avec moulures, parquets et boiseries d’époque, n’avait jamais été restaurée.

Une réflexion menée depuis 15 ans

En 2018, le comité départemental de la Ligue en est devenu propriétaire et depuis quelques mois, sous la supervision du cabinet d’architecture Letellier, la restauration, conçue pour limiter l’empreinte énergétique du bâtiment, a débuté. Outre un important legs, une collecte de fonds organisée par la Ligue a permis de rassembler 1,2 M€, de quoi financer une bonne part du coût des travaux (1,7 M€). « Un chouette challenge à relever ! », se souvient Marie-Ange Léophonte. Pour la directrice générale, c’est l’aboutissement d’une réflexion menée depuis 15 ans. Cette « ultra Toulousaine » a rejoint la Ligue en 2005, là aussi presque par hasard. Un diplôme de technico-commercial de santé en poche, elle a commencé sa carrière dans l’industrie pharmaceutique, jusqu’au jour où son chemin a croisé celui du président du comité départemental de la Ligue contre le cancer de l’époque, Axel Courtois de Viçose.

« Je souhaitais changer d’activité parce que je faisais beaucoup de kilomètres. Or, on venait d’annoncer la naissance du futur cancéropôle, cela me séduisait beaucoup », détaille la quadra. Le président se séparait de sa directrice et recrutait quelqu’un. « J’avais rédigé une longue lettre au sujet du cancéropôle et sur la vision que j’avais de l’accompagnement des personnes atteintes du cancer. Ce n’était pourtant pas du tout mon monde et, du reste, aucun des membres de ma famille n’avait été touché par la maladie », ajoute-t-elle.

Mais la détermination a payé. « Le président a lu le courrier et m’a proposé de le rejoindre comme chargée de communication et de développement. Arrivée à la Ligue en janvier, j’ai créé les journées Anne d’Autriche à Toulouse, un événement dédié au cancer du sein (l’épouse de Louis XIII est morte d’un cancer du sein à 64 ans, NDLR). Il y en avait déjà eu à Paris et le président du comité de Haute-Garonne voulait faire la même chose ici. L’idée était de vulgariser les avancées de la recherche et de donner toutes les informations sur ce type de cancer. Ce fut un grand succès, avec dans la salle des Illustres, plus de 400 participants. Suite à cela, j’ai été nommée directrice et depuis j’ai eu la possibilité de développer tout ce dont j’avais envie, c’est-à-dire tous les soins de support pour les patients. »

Apporter la meilleure réponse aux besoins des patients

Cet intérêt pour les malades n’est pas nouveau pour cette fille de médecins. « J’ai toujours su que la santé, que les autres aussi, c’était important pour moi, explique-t-elle. De fait, j’ai perdu mon frère, atteint d’une maladie psychiatrique, il y a 20 ans. À la suite de cela, j’ai décidé d’aider les personnes frappées de pathologie psychiatrique parce qu’elles sont souvent ostracisées. Sauf que dans ce genre de pathologies, lorsqu’on les a approchées de près, les patients ont tous le même regard et donc cela vous renvoie sans arrêt à ce que vous avez vécu. J’ai bien tenté de faire des démarches auprès d’associations, mais je me suis très vite rendu compte que je n’allais pas les aider. C’était trop difficile. Alors lorsque j’ai rencontré le président de la Ligue, je me suis dit que si j’étais tout à fait vierge sur le terrain de la cancérologie, je savais cependant que la détresse liée à la maladie est importante, qu’elle est lourde de sens et que pour aller vers la guérison, le mieux-être et le retour au travail, il faut être accompagné. C’est cette sensibilité que j’ai voulu mettre au coeur de mon activité professionnelle. »

« Cette offre s’est construite et renforcée grâce à la parole des malades »

Sous sa houlette, le comité départemental s’étoffe et passe d’un salarié et demi à sept aujourd’hui, auxquels s’ajoutent quatre services civiques et 250 bénévoles. Le budget de la Ligue dans le département atteint 1,4 M€, soit une file active de 350 patients et une vingtaine de prestataires pour les accompagnements de soins de support. « Au début, on entendait seulement parler de soins esthétiques pour les femmes, mais j’ai très rapidement voulu aller plus loin que la socioesthétique en proposant outre un soutien psychologique, de la réflexologie, de la diététique, etc. Je me suis donnée 10 ans pour développer un accompagnement personnalisé. »

À l’écoute des patients, de leurs proches et des soignants de nouvelles idées ont émergé. « C’est fort de ces échanges, de leur parcours, des choses parfois très intimes qu’ils m’ont dites à propos de leur vie sociale et professionnelle que j’ai nourri ma réflexion et tenté d’apporter la meilleure réponse à leurs besoins, ajoute Marie-Ange Léophonte. C’est pour cela qu’on a aussi aujourd’hui des consultations d’avocat, en sexologie, un accompagnement au retour à l’emploi, etc. Cette offre s’est construite et renforcée grâce à la parole des malades. L’idée est d’être un espace d’écoute, sachant que c’est un lieu non médical donc c’est plus facile pour les patients de parler ; d’être également bienveillant, et de les aider à se reconstruire et à rassembler les pièces du puzzle qui s’est parfois un peu disloqué, de manière à avoir la meilleure convalescence possible. »

Un lieu autrefois dédié à la psychiatrie

C’est dans cette même logique que s’inscrit le projet de Maison de la Ligue. « C’est une envie que j’ai depuis longtemps et qui est liée à mon parcours personnel. Mon beau-fils, atteint d’une leucémie, a dû partir à Marseille pour recevoir une allogreffe. Il a donc fallu gérer le quotidien ici et trouver un lieu de vie là-bas. Or, ça représente un budget considérable de devoir gérer ainsi deux vies dans des lieux différents. Nous avions eu la chance d’être hébergés dans une Maison de la Fondation Ronald McDonald (elles sont installées près des hôpitaux pédiatriques, NDLR), ce qui permettait, au-delà de l’aspect pécuniaire, de se retrouver avec d’autres personnes et de ne pas rester seuls, assure-t-elle. Depuis, l’idée avait germé dans ma tête : je pensais que les parents d’enfants malades ne devraient pas être les seuls à avoir accès à ce type d’hébergement bon marché, sachant que 57% des patients accueillis sur le cancéropôle habitent hors du département de la Haute-Garonne. Lorsqu’un papa ou une maman est greffé et qu’il ou elle reste au minimum six semaines en bulle, comment fait la famille ? S’il faut payer un hôtel, c’est 130 € la nuit, or, les revenus ne sont pas extensibles. Je veux que nous répondions à ce besoin, qu’on maintienne le lien affectif entre la personne malade et sa famille parce que c’est essentiel. Et c’est la même chose, lorsque le patient est isolé géographiquement et doit faire plusieurs allers-retours. C’est quand même plus sympa d’être accueilli dans un lieu de vie, avec des soins de support la journée, des activités le soir et d’autres personnes avec qui échanger. »

« Nous sommes le premier financeur privé de la recherche en France »

Et le fait que cette maison soit située dans un lieu autrefois dédié à la psychiatrie n’est pas neutre. « Ce lieu que personne ne veut voir, parce que les gens qui y ont séjourné ont longtemps été considérés comme des pestiférés, nous le mettons en lumière. Nous luttons contre les tabous liés à la cancérologie et je me refuse à ce qu’il y en ait en psychiatrie. À titre personnel enfin, cela a beaucoup de résonance, en quelque sorte la boucle est bouclée. » Si le coût d’hébergement dans la Maison doit rester modique, les soins de support, eux, sont entièrement gratuits pour le patient.

Ils sont financés par les dons reçus, « sachant, précise Marie-Ange Léophonte, que la Ligue, apolitique et aconfessionnelle, vit exclusivement de la générosité du grand public, des dons des particuliers ou d’entreprises, de legs, etc. Grâce à cela, on propose la gratuité aux patients ainsi qu’aux aidants qui viennent pour un soutien psychologique. » Outre cette aide aux malades, la Ligue a deux autres missions.

Un partenariat avec la Banque populaire Occitane

« Nous sommes le premier financeur privé de la recherche en France, rappelle-t-elle, une place à laquelle nous tenons. L’autre mission est la prévention et la promotion des dépistages, avec soit de l’éducation à la santé en milieu scolaire, soit des actions de promotion autour du dépistage auprès du grand public ou en entreprise. Nous avons d’ailleurs un programme, Lig’Entreprises engagées contre le cancer, qui fonctionne très bien. Nous allons dans les entreprises mener des actions de sensibilisation au dépistage organisé pour les cancers du sein, du colon et du col de l’utérus, autour de l’alimentation équilibrée et de l’activité physique. En entreprise, nous menons également des actions de sensibilisation auprès des managers et des salariés pour faciliter le retour à l’emploi des personnes qui ont été touchées par la maladie. »

Un partenariat en ce sens vient justement d’être signé avec la Banque Populaire Occitane. À l’échelon national, la recherche reste la première mission de la Ligue qui y consacre l’essentiel de ses moyens, loin devant l’aide aux malades et les actions de prévention même si ces dernières montent en puissance. « Pour nous, c’est essentiel de financer les jeunes chercheurs, assure Marie-Ange Léophonte. Cela représente en Occitanie un total de 2,2 M€, soit pour le comité haut-garonnais un soutien de 600 K€. »

La quadra, qui pratique assidûment l’équitation, ne désespère pas de mettre en place dès l’an prochain, pour les patients, de l’équithérapie « parce que la capacité qu’ont ces animaux à absorber les émotions est fantastique ». Elle pratique aussi la positive attitude : elle garde « beaucoup d’émerveillement sur la vie en général. Et beaucoup de bienveillance. J’ai la chance de ne jamais aller travailler, c’est ce que je dis à mes enfants. Lorsque je me lève le matin, je pars faire quelque chose qui me passionne et ça fait 17 ans que ça dure. C’est un peu étrange de dire ça parce que je vois souvent des gens qui souffrent. Mais il y a énormément à faire et c’est d’une richesse folle. On essaie d’accompagner les gens le mieux possible et ils nous le rendent bien. »