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Missions d’intérêt général

Laure Mulin. Au lendemain d’une réforme qui a réduit le nombre de leurs mandats, la présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Toulouse rappelle que leur rôle, en phase de relance, est plus que jamais essentiel.

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« Le commissariat aux comptes, ce n’est plus la profession poussiéreuse de l’audit comptable, où l’on fait beaucoup d’heures sans véritable reconnaissance. Les cabinets ont beaucoup évolué ces dernières années. Ils ont investi dans leur marque employeur, dans la qualité de vie au travail. Qui plus est, le métier s’ouvre à de nouveaux sujets : le digital, la RSE, etc., des thématiques auxquelles les jeunes sont très sensibles. Bref, c’est une profession qui vit, qui évolue, qui ne fait pas que subir les évolutions réglementaires ». C’est ce message que Laure Mulin vient de faire passer aux étudiants de la nouvelle promotion du Master 2 Comptabilité, contrôle, audit de TSM – dont elle est la marraine – pour leur donner envie d’embrasser la carrière.

« Nous menons un gros travail de communication sur ce que nous pouvons apporter et, dans le contexte actuel, sur la façon dont nous pouvons aussi favoriser une relance en confiance, robuste et durable. »

De fait, la présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Toulouse ne ménage pas ses efforts pour améliorer l’attractivité de la profession, notamment depuis que la loi Pacte a modifié « le périmètre d’exercice du commissariat aux comptes dans les petites entreprises » et par voie de conséquence va entrainer, dans les prochaines années, une baisse très sensible du nombre de leurs mandats. Une réforme voulue par un ministre de l’Économie dont la position « très négative » vis-à-vis de la profession a fortement marqué les esprits au point que celle-ci est en pleine « reconstruction ».

« Depuis, nous menons un gros travail de communication sur ce que nous pouvons apporter et, dans le contexte actuel, sur la façon dont nous pouvons aussi favoriser une relance en confiance, robuste et durable », ajoute Laure Mulin. Elle a été élue en novembre 2020 à la tête d’une communauté de près de 400 professionnels répartis sur le ressort de la cour d’appel de Toulouse, à savoir l’Ariège, le Tarn, le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne, qui interviennent auprès de quelque 8000 entités (entreprises, associations, syndicats, universités, hôpitaux, etc.).

Un métier en reconstruction face aux enjeux actuels

Un rôle nouveau pour cette professionnelle passée par les Big Four avant d’intégrer Sygnatures, un groupement de cabinets à taille humaine, implanté dans le Gers et en Haute-Garonne. Face à cette réforme de l’audit légal des comptes, qui a constitué pour elle un véritable séisme, « la profession n’a pas toujours eu la bonne façon de communiquer, reconnaît-elle. Nos mandats ayant toujours été imposés par la loi, nous n’avons, de fait, jamais été en posture de défendre ou de justifier notre mission ».

« On s’inscrit dans une dynamique : la volonté d’aller de l’avant et de mettre en avant notre contribution à la relance. »

Situation désormais totalement bouleversée puisqu’il lui faut aujourd’hui convaincre et montrer que « le rôle du commissaire aux comptes ne se limite pas à la certification des comptes. En effet, de par ses compétences et son positionnement, le commissaire aux comptes est à même de donner à l’environnement de l’entreprise de l’assurance sur l’information qu’elle produit, et ce sur un grand nombre de sujets, à travers par exemple des diagnostics d’évaluation des risques, des attestations ou rapports d’audits ponctuels, etc. La profession s’ouvre aussi à de nouveaux domaines extra financiers : la sécurité informatique, dans laquelle nous sommes investis depuis quelques années, et plus récemment la durabilité. Nous avons dans les années à venir un rôle central à jouer sur ces sujets-là », assure-t-elle.

Un rôle de réassurance que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’amplifier. « Dans le cadre de la certification des comptes, nous avons déjà un rôle d’alerte et de prévention des difficultés des entreprises, rappelle Laure Mulin. Nous pouvons mettre en place ce rôle de prévention dans le cadre d’une nouvelle mission contractuelle que nous avons appelée « prévention et relation de confiance », laquelle a été reprise dans le cadre du plan d’accompagnement des entreprises dans la sortie de crise voulu par le gouvernement. Il s’agit de réaliser un audit à date de la situation financière de l’entreprise ainsi qu’un entretien sur les risques liés à la continuité d’exploitation », lui permettant ainsi de trouver plus facilement les financements.

Un parcours personnel et professionnel aux antipodes

Pour la profession, devoir ainsi se réinventer est un travail « lourd », « de long terme ». Mais « c’est positif, assure Laure Mulin, car on s’inscrit dans une dynamique : la volonté d’aller de l’avant et de mettre en avant notre contribution à la relance. » Ce beau challenge n’effraie pas celle qui est impliquée depuis plusieurs années au sein des instances professionnelles. Elle a en effet intégré les commissions techniques de la Compagnie nationale dès 2006, avant d’être élue sur le plan régional en 2014. Une nouvelle étape dans un parcours personnel et professionnel parfois aux antipodes. Née à Guéret dans la Creuse – « comme mes parents et mes grands-parents » –, Laure Mulin a vécu une enfance au gré des déménagements imposés par l’activité professionnelle paternelle.

Dijon, La Rochelle, L’Isle-sur-Sorgue, Brive, Compiègne, l’ont vu grandir. Avant que père et mère ne fassent un choix de vie radical : « ils ont vendu tous leurs biens pour acheter des billets d’avion et partir en Polynésie française. J’ai fini ma scolarité au lycée Gauguin à Papeete », se souvient-elle. Ses parents resteront 35 ans sur les Îles du Vent. En 1989, le Bac en poche, pour la jeune fille, c’est déjà l’heure du retour en métropole, en classes prépas, au lycée Ozenne. Cette indépendance complète à 17 ans n’est pas toujours facile à gérer.

Laure Mulin obtient en fin de deuxième année, son sésame pour Sup de co Lyon, aujourd’hui l’EM Lyon. Avant de partir pour la capitale des Gaules, elle rencontre son futur mari, étudiant en hydraulique et mécanique des fluides à l’Enseeiht. Au bout d’un an en marketing, comme le lui permet son cursus, la jeune femme fait une année de césure « dans une entreprise qui n’existe plus aujourd’hui, Digital Equipement, un distributeur informatique, explique-t-elle. Je travaillais en direct avec le responsable du marketing stratégique. Nous étions en charge de tout ce qui était marketing relationnel, principalement avec les grands cabinets de conseil en organisation et informatique. Il m’avait demandé de faire une étude de marché sur les Big Eight devenus les Big Six, puis les Big Four. J’avais trouvé l’expérience très intéressante mais je ne m’étais pas particulièrement épanouie. J’ai eu alors un entretien avec mon manager qui avait bien analysé la façon dont je fonctionnais. Il m’a dit : “Laure, il faut que tu puisses t’appuyer sur une technique et mettre à profit ton relationnel. Il faut que tu trouves un autre métier parce que le marketing ne va pas te plaire !” C’est au retour à l’EM Lyon que j’ai choisi de m’orienter vers la comptabilité et la gestion et de suivre le cursus DECF et DESCF, aujourd’hui DCG et DSCG. »

Le monde de l’audit

Diplômée en 1995, elle fait son stage d’expertise comptable chez Salustro-Reydel, un cabinet d’audit français de renom basé à Paris. Avec son conjoint, elle restera cinq ans dans la capitale avant que l’envie de bouger ne les prenne. « Nous ne sommes pas des citadins, assure-t-elle, nous sommes tous les deux plutôt provinciaux et avions pour objectif de retourner en province, si possible au sud de la Garonne, mon mari étant né à Talence, en région bordelaise et ayant vécu une bonne partie de sa vie à Arcachon. »

De retour dans la Ville rose, elle intègre le cabinet Ernst & Young, un des fameux Big Four. Nous sommes en mars 2001 : huit mois plus tard, le scandale Enron secoue le monde de l’audit. « C’était assez perturbant, se souvient-elle, parce que pour nous, la disparition d’un cabinet comme Arthur Andersen n’était pas envisageable. On avait l’impression de vivre dans un film de fiction. Mais cela s’est finalement réalisé. Nous l’avons vécu très directement puisqu’un associé Arthur Andersen est venu à Toulouse. Nous avons donc eu à vivre un rapprochement des cultures, puisque les deux cabinets bien que de culture anglo-saxonne n’avaient pas la même approche. »

La déflagration est planétaire. « Cela a été un grand choc, à la fois pour nous et pour nos métiers, puisqu’ont suivi les loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis et de Sécurité financière en France en 2003, qui sont venues faire évoluer notre environnement et la façon dont le métier était régulé avec la naissance du H3C (Haut conseil au commissariat aux comptes). Jusque-là, la profession était régulée par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. On a donc vu apparaître une nouvelle autorité administrative indépendante constituée de magistrats, de représentants de l’AMF et d’entreprises, et qui n’était donc pas majoritairement composée de professionnels. Cette régulation nouvelle a changé notre façon d’exercer le métier avec le contrôle d’activité désormais supervisé par le H3C, lequel a pris peu à peu un rôle de plus en plus important. »

S’impliquer pour la profession

Un bouleversement perçu comme une ingérence ? « Nous ne l’avons pas bien perçu à ce moment-là. Pour autant, comme me l’avait bien expliqué, à l’époque, Michel Tudel, grande figure de la profession puisqu’il était président de la Compagnie nationale au moment du vote de la loi de Sécurité financière et avec qui j’ai travaillé lorsque je suis arrivée chez Sygnatures, si cette autorité indépendante a été mise en place, c’est justement pour renforcer notre statut, nous donner un crédit supplémentaire, en garantissant vis-à-vis des tiers la qualité de nos audits. »

En 2006, faute de possibilité d’évolution chez EY, Laure Mulin a le choix entre « soit aller en entreprise pour assurer une direction financière et ainsi occuper un poste plus stable, soit cette opportunité chez Sygnatures, à savoir la possibilité de poursuivre dans l’activité de commissariat aux comptes mais aussi de structurer un pôle doctrine et qualité, l’équivalent des directions techniques dans les Bigs. J’ai fait le second choix ». Qu’elle ne regrette pas : « le métier de commissaire aux comptes me plaît beaucoup parce qu’il est très riche dans le contact que nous avons avec nos clients, dans la connaissance que l’on peut avoir des différents secteurs d’activité, des divers modes d’organisation, dans la pluralité des équipes intervenantes… Si j’ai préféré intégrer un cabinet comme celui-ci, c’est aussi parce que j’avais l’opportunité d’évoluer dans une entreprise au sein de laquelle je serais en mesure d’être impliquée dans les choix stratégiques, de développement et cela me séduisait. » Vice-présidente de la CRCC depuis 2017, et désormais présidente, elle a trouvé une autre façon de s’impliquer pour la profession.