Oscar Garcia
Invités / Entretiens

Oscar Garcia

À la cueillette des étoiles.

Lecture 14 min
Portrait d'Oscar Garcia
(Crédit : DR)

Certaines vocations naissent de rien, et s’accrochent des années durant, sans qu’on en connaisse fondamentalement le point de départ. C’est exactement l’histoire du Toulousain Oscar Garcia qui, à peine âgé de six ans, rêvait d’endosser la toque de cuisinier, ce qui a suscité moult interrogations de la part de son père architecte – d’origine espagnole –, et de sa mère, responsable d’agences d’intérim. Pourtant, ce fantasme est devenu réalité, laquelle a peut-être bien surpassé le rêve. En effet, en 2014, aux commandes de la Maison d’Uzès dans le Gard depuis seulement un an, Oscar Garcia décroche sa première étoile Michelin, et devient, à l’âge de 25 ans, le plus jeune chef étoilé de France. Des paillettes plein les yeux, des sollicitations à foison, des événements qui s’enchaînent aux quatre coins de la France… il lui faudra quelques mois pour remettre les pieds sur terre, après une parenthèse grisante.

« De manière générale, les restaurants gastronomiques ont toujours été novateurs, mais notre rôle aujourd’hui est de pousser vers plus d’authenticité, de revenir à l’essentiel »

« Je me suis dit “Si tu en es là, c’est grâce à ta cuisine, si tu n’en fais plus, tu ne seras plus là”. J’ai alors émis beaucoup de refus et je me suis recentré sur ma passion », se souvient le professionnel. Une décennie plus tard, cet adepte des produits du terroir, de goûts francs et de technicité – qui aime particulièrement travailler et décliner l’oeuf dans toutes ses versions –, prend un nouveau virage aux côtés de sa compagne, Julie Pons. Ce cuisinier surdoué a, depuis cet été, ouvert un nouvel établissement, baptisé Cueillette, aux confins de la Corrèze et du Lot, dans un écrin de verdure à sa mesure. « Cela correspondait à l’idée du type d’établissement que nous souhaitions ouvrir. Nous avons eu quelques expériences à Toulouse mais qui ont pris fin. Cela me tenait à coeur d’y rester mais cette opportunité s’est présentée. Après avoir discuté de nos philosophies communes avec les propriétaires des lieux, une alchimie s’est créée », explique-t-il.

Tous deux – lui notamment en cuisine, elle à la gestion de l’établissement dans sa globalité – dirigent désormais un restaurant gastronomique d’une capacité d’une trentaine de couverts et cinq chambres de charme pour lesquelles ils visent la classification 4 étoiles. Cette nouvelle aventure, dans les murs du magnifique manoir XIXe de La Raufie, a nécessité 18 mois de travaux, avec la satisfaction d’avoir carte blanche. « Nous avons géré la fin du gros oeuvre, et l’ensemble de l’aménagement intérieur, ce qui nous a énormément plu. Nous avons collaboré avec un architecte d’intérieur qui dessine, conçoit, etc., ce qui nous a permis de coller véritablement à l’esprit de l’endroit et à l’âme que nous voulions lui donner, mêlant l’ancien et la modernité. Nous souhaitions que les matériaux, les mobiliers, les tenues du personnel, les arts de la table, etc., soient issus de France. Il n’y a que les chaises qui proviennent d’Italie, sourit-il. Notre objectif est de faire vivre une expérience aux clients et de les immerger totalement dans un univers français, local », souligne celui qui défend inébranlablement l’idée du terroir, des murs à l’assiette et veut s’affranchir des habitudes anciennes de la cuisine gastronomique française.

Défendre l’authenticité

Plus facile à dire qu’à faire, mais Oscar Garcia ne recule pas devant la difficulté d’être encore dépendant des arrivées des fournisseurs locaux. Se rendre auprès d’eux et voir les produits tous les matins avant même de concocter une recette, est pour lui une étape nécessaire. Pour poursuivre ses ambitions, il veut également tendre vers une quasi-autonomie végétale, à travers un potager de 1500 m2, commencé en juin, et un verger de 17 hectares qui ont vocation à grandir, sans pour autant se passer de certaines collaborations. Proposer à un Parisien de passage en Corrèze de déguster du homard breton, est devenu à ses yeux, une aberration. « C’est facile de proposer sur la carte du homard de Bretagne, du rouget de Méditerranée, mais dans le contexte actuel, nous ne pouvons plus nous permettre de faire transiter des produits sur des milliers de kilomètres, sous prétexte que ces propositions font “jolies” et soient rassurantes pour les clients. C’est un vrai parti pris de défendre l’authenticité, le circuit court. Cela représente un virage à 180° pour moi, car j’ai suivi une formation classique. De manière générale, les restaurants gastronomiques ont toujours été novateurs, mais notre rôle aujourd’hui est de pousser vers plus d’authenticité, de revenir à l’essentiel ».

L’ambition de cet enfant de la Ville rose, aurait pu être mise à rude épreuve depuis longtemps, mais c’est sans compter le soutien sans faille de ses proches. « Mon instituteur en CM2 avait dit à ma mère : “Il veut devenir cuisinier, certes, mais vous n’avez pas plus d’ambition que ça pour votre fils ?” ». Des mots qui résonnent mais n’y changent rien. Malgré une profession ternie à l’époque, le jeune homme s’accroche pour se faire une place dans cet univers huilé. À 14 ans, il observe le métier au côté de la brigade de Dominique Toulousy, ancien chef de Philippe Etchebest, au restaurant Les Jardins de l’Opéra, à Toulouse. « Mon père travaillait avec la soeur de celui-ci, ce qui m’a permis d’approcher ce milieu. Je devais réaliser un stage d’une semaine, au final, j’y suis resté un mois. Une chance, qui a véritablement confirmé mon envie. »

L’adolescent intègre alors le lycée hôtelier à Toulouse, pour trois ans, avec d’autres stages à la clé, dont notamment un à l’Hôtel de la Cité à Carcassonne, aux côtés de Franck Putelat qui marquera les contours de sa vie professionnelle. Lors de son Bac pro turbo, formation gastronomique, il retourne auprès de son mentor, lequel deviendra doublement étoilé en 2012. « À la base, je devais faire mon stage avec Philippe Etchebest mais la période coïncidait au final avec la fermeture de son établissement, ce qui m’a conduit de nouveau à Carcassonne, avec l’un de mes camarades. Puis, Franck Putelat m’a dit “À la fin de tes études, je t’embauche”. Chose promise, chose due. Oscar Garcia intègre l’Hôtel le Parc, la table de Franck Putelat, pendant deux ans où il continue de faire ses preuves. Puis, l’appel d’air et l’envie de voir autre chose l’amènent à faire des saisons dans les Pyrénées et sur la côte Basque. En 2010, celui qui l’a notamment formé lui propose une nouvelle aventure, qu’Oscar Garcia ne refuse pas.

Des expériences qui forgent

« Il avait pour projet d’ouvrir un deuxième restaurant, lequel ne s’est finalement pas concrétisé, ce qui fut pour moi une grande déception. Mais en attendant le début de cette aventure avortée, j’ai pris le poste de sous-chef de partie, avant de devenir sous chef en 2011 et d’accepter une autre opportunité qu’il m’a tendue. » Longtemps second de Franck Putelat, le jeune professionnel est placé par le cuisinier audois à la Table d’Uzès, aux commandes d’une équipe de 12 collaborateurs, où après seulement quelques mois d’activité, il reçoit le Graal, sa première étoile Michelin. Deux ans plus tard, alors que l’établissement bat son plein, midi et soir, Oscar Garcia se voit obligé de refermer définitivement cette porte, à la suite d’un changement de propriétaire.

« Notre métier a de nouveau perdu de son souffle, notamment dû aux conséquences de la Covid. Nous avons également trop tiré sur la corde, côté horaires et salaires, pendant des années »

Après quelques mois de flottement, il rejoint sa ville natale pour tenter de créer un restaurant gastronomique, dans son quartier d’origine, à Lardenne. Lassé des difficultés qu’il rencontre autour du projet, avec « des promoteurs qui savent faire tourner le vent dans leur sens », il ouvre en 2017, Bonbonne, une épicerie fine et cave à vin. Une sorte de « laboratoire d’expérimentation de 4 m2 », haut de gamme, qui lui permet d’être plus proche de sa clientèle et d’avoir une autre approche pendant trois ans. S’ensuit, en pleine période Covid, la reprise avec sa partenaire de vie, de l’Hôtel-restaurant Le Pier, un paquebot amarré en bord de Garonne, rebaptisé Ortus. Une aventure qui tourne court. « À l’époque, nous pensions comme beaucoup, que la crise se résorberait plus vite, et nous nous sommes trompés. Au bout de six mois le propriétaire a transformé les lieux en bureaux. Un mal pour un bien, puisqu’aujourd’hui, nous avons un projet qui colle vraiment à notre vision. Et toutes ces expériences nous ont forgées ».

Le recrutement pose problème

Pour l’heure, celui qui conjugue deux passions, la gastronomie, et son penchant pour les 2Cv, le sport mécanique et les rallyes – transmis par ses parents férus de voyage en 2Cv –, entend stabiliser l’activité de son nouvel établissement, fidéliser sa clientèle et son équipe (quatre personnes en cuisine, trois en service et une à la gestion des chambres). Le chef consent toutefois que le recrutement est une problématique de plus en plus pesante. « Nous sommes obligés de réduire la masse et le nombre d’heures, donc le nombre de couverts, car nous manquons de personnel ». À la question de savoir si ce manque provient d’un problème de formation ou d’attractivité, Oscar Garcia ne mâche pas ses mots.

« Il existe un manque de compétences. En effet, lorsque je siégeais au conseil d’administration du Lycée hôtelier à Toulouse, j’ai remarqué une baisse du niveau de formation. Il y a 14 ans, ce qu’on faisait en pratique en un an, se fait actuellement en trois ans. Et malgré les émissions de TV, notre métier a de nouveau perdu de son souffle, notamment dû aux conséquences de la Covid. Nous avons également trop tiré sur la corde, côté horaires et salaires, pendant des années. » Après avoir été jury d’examen et conférencier afin d’impulser une motivation à la jeunesse, il souhaite porter le flambeau de la transmission, au sein de Cueillette, en attendant de fonder une famille.