Pierre-Yves Guise
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Pierre-Yves Guise

Navigation à vue entre ciel et mer.

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Photo de Pierre-Yves Guise
Pierre-Yves Guise (Crédit : MORGANE MONNERET)

Il tutoie le ciel autant qu’il fend les mers de glace, du continent austral au pôle Nord, contrées qui nourrissent l’imaginaire collectif. Des paysages presque vierges gravés sur la rétine, il en a revendre. Aventurier dans l’âme, il navigue, à l’année, entre deux activités : une partie en tant qu’officier de la marine marchande pour la compagnie de croisière Ponant et l’autre en tant que pilote de moto-planeur, avec sa structure Croisi’Air à Luchon qu’il a fondée en 2019.

Originaire de Nancy, Pierre-Yves Guise a choisi de poser ses valises au cœur de cette vallée encore « authentique », aux pieds des plus hauts sommets, pour proposer aux amoureux des Pyrénées, randonneurs et grimpeurs chevronnés, ou simples curieux, de découvrir les massifs sous un autre angle, en prenant le temps.

« Bien que je ne sois ni géographe nihistorien, etc., j’essaie d’apporter beaucoup d’informations sur le paysage qui se dévoile afin que ce dernier prenne plus de sens et une autre dimension, à l’instar de la compagnie Ponant qui propose des croisières dites d’expédition dans des endroits sauvages, avec des guides naturalistes qui fournissent moult explications. J’ai aussi beaucoup volé au-dessus des Alpes mais j’ai découvert il y a cinq ans à Luchon des paysages grandioses qui rivalisent avec eux et tous les autres que j’ai pu observer à l’autre bout du monde. J’avais envie de partager cette beauté avec un planeur, ce qui permet d’avoir la sensation que le temps s’arrête. »

« L’objectif n’est pas de réaliser un baptême de l’air mais d’en apprendre davantage sur les massifs. »

« Il n’y a que depuis Luchon qu’il est possible d’emmener les passagers survoler l’Aneto, le massif de Néouvielle et les Encantats, le pic du Midi, etc., car la réglementation interdit de s’éloigner de plus de 40 km du lieu de décollage lorsqu’il s’agit d’une prestation », souligne le pilote.

Un service novateur

Il est le seul à proposer une formule avec un planeur motorisé dans les Pyrénées. Le milieu aéronautique français est assez fermé. Ce dernier, fonctionnant notamment sur le principe du bénévolat, le trentenaire a dû ainsi faire preuve de pédagogie pour se faire une place.

« Les aéro-clubs sont des associations qui fonctionnent de façon bénévole. Peu d’instructeurs vivent de leur activité. Ils forment les pilotes en herbe ou proposent des sorties aux particuliers bénévolement. Ils ajoutent des heures à leur carnet de vol mais ne sont pas rémunérés. Une structure commerciale comme la mienne dans le paysage n’est pas forcément bien perçue. »

« J’ai dû montrer que je n’avais pas l’intention de faire concurrence à l’aéro-club, d’une part, parce que je propose une formule différente, et d’autre part, parce que mon activité draine un public complémentaire, et de fait permet de développer le tourisme dans la vallée. »

« L’aérodrome reçoit, lui, davantage les habitants en quête d’activités ou qui souhaitent se former et moi des Occitans, des Bordelais, des Parisiens, des Bretons, qui veulent s’en mettre plein la vue et vivre une expérience unique. »

Aujourd’hui, Pierre-Yves Guise veut développer davantage son activité, « en ouvrant des formations à ceux qui veulent découvrir le planeur sans s’y consacrer à 100 % », et voit un peu plus grand

Un intérêt pour les airs depuis l’adolescence

L’aîné d’une famille de quatre enfants, né de parents enseignants, s’est pris de passion pour l’aviation dès ses 14 ans. Aucun autre pilote dans son entourage pourtant à l’horizon. « Nous habitions en face d’un aérodrome, c’est ce qui a suscité l’envie de m’y mettre. À l’époque, l’idée avait un peu effrayé mes parents, car c’est une pratique qui peut être coûteuse, mais j’ai obtenu une aide. L’aviation est aussi catégorisée comme une activité « à risque », alors que ce n’est le cas. »

Pierre-Yves Guise persiste et ne quittera plus le cockpit. En 2011, il fait son premier vol seul avant d’obtenir son brevet de pilote de planeur un an après, alors tout juste âgé de 16 ans, et rejoint sept ans plus tard l’équipe d’instructeurs.

« Il ne s’agit pas de sport à sensation forte, on ne ressent pas la vitesse, ni le vertige mais plutôt le sentiment d’évoluer dans une bulle. C’est une évasion, un vrai sentiment de liberté. Cependant, le planeur devait être un premier palier pour ensuite apprendre à piloter un avion mais, infine, j’y suis resté car son pilotage est beaucoup plus technique, stratégique et intéressant. En effet, il faut savoir exploiter les ressources naturelles, prendre les courants ascendants, etc. Le planeur est bien plus aérodynamique que l’avion », précise le Nancéien, qui n’avait pas cependant pour intention d’en faire un plan de carrière.

Après une période à l’université, avec toutefois l’obtention d’un deug en sciences cognitives puis d’une licence en maths informatiques appliqués à la gestion en entreprise, il découvre au hasard d’une discussion l’univers de la marine marchande. Plus d’hésitation, l’aventure l’appelle, il met le cap sur Marseille et intègrel’École nationale supérieure maritime (ENSM) avec un premier embarquement en tant qu’élève officier à bord d’un navire de la compagnie Ponant.

La découverte d’une passion

« Je ne connaissais absolument pas le milieu maritime mais j’ai eu une sorte de déclic, cela m’a tout de suite séduit. Cela a été trois années très enrichissantes avec une formation sur le terrain. Le métier de marin conjugue plusieurs disciplines, mécanicien, capitaine, logisticien, DRH, etc. On apprend également le secourisme. J’ai effectué un premier embarquement en pour l’Antarctique comme élève officier passerelle avec cette compagnie, ce qui laisse des étoiles dans les yeux, se souvient-il. À l’époque où j’ai intégré l’école, les armateurs rencontraient des difficultés à recruter des officiers et venaient présenter leur entreprise. C’était facile d’avoir un emploi dès la sortie de l’école. »

Son brevet d’officier chef de quart de passerelle en poche, il devient en 2012 officier de la marine marchande pont pour la même compagnie sur des navires à taille humaine. « Pendant mon quart, je suis en charge de la conduite et de la sécurité du navire. Et le reste du temps, je forme l’équipage à la sécurité, en cas d’incendie, voie d’eau, etc. »

En tant que freelance, le marin qui n’a pas froid aux yeux, passe, dans un premier temps, une moitié de l’année aux Antilles et l’autre en Méditerranée avant d’évoluer dans les pôles et de devenir un lieutenant expérimenté en navigation polaire.

« J’ai attrapé le virus polaire, sourit-il. Nous naviguons à vue dans des endroits très peu cartographiés. C’est la même philosophie en planeur, on doit savoir analyser l’environnement autour de soi pour en tirer parti. » En 2016, il obtient un diplôme de capitaine, mais ce costume n’est finalement pas taillé pour lui. Il continue alors de s’épanouir au grade d’officier. Entre deux, ce mordu de voyages nourrit ses rêves d’évasion, sac au dos, partout autour du globe.

« En tant qu’officier, nous bénéficions de beaucoup de congés ce qui laisse du temps libre pour soi et nous avons la chance de pouvoir résider où l’on veut. Et aujourd’hui, je négocie mes disponibilités, mon objectif étant de réduire mon temps en mer. »

Ce passionné de photo et vidéo ne veut pourtant pas tomber dans le cliché du tourisme de masse, à travers ses voyages et ses activités. « Lors de mon premier stage dans l’Antarctique, j’ai le souvenir d’une terre vierge où la présence humaine était quasi inexistante, nous avions croisé deux bateaux tout au long de la saison. Depuis, le tourisme polaire s’est vraiment développé, nous sommes près d’une cinquantaine de bateaux à la même période. »

« La péninsule Antarctique est désormais fortement exploitée alors qu’il s’agit d’une petite zone. C’est ce qui m’a guidé dans la création de Croisi’Air, je ne voulais pas reproduire cela et aussi ce qui se passe dans les Alpes. »

« En effet, à Chamonix, il y a beaucoup de vols touristiques autour du mont-Blanc, le massif est saturé d’engins, ce qui engendre beaucoup de nuisances sonores dans la vallée. Avec l’aéronef que j’utilise, un moto-planeur, très peu répandu en Europe – il est fabriqué en petite série, il y en a une petite dizaine seulement en France –, en pleine puissance, nous sommes environ à 70 dcb, ce qui n’est rien. On monte jusqu’à 3600 mètres, avant de couper le moteur. Cela permet ainsi d’avoir un vol agréable et confortable pendant une heure, sans passer son temps, à “spiraler” comme un planeur. »

Pilote depuis plus de 20 ans, le trentenaire a à cœur de prouver que voler n’est pas forcément synonyme de pollution. « On peut faire cette activité de façon responsable et respectueuse » Il a encore de beaux projets pour poursuivre ses actions dans ce sens et s’aventurer plus loin.