Collectivités

Interview de Jean-Michel Lattes : « La ligne C sera celle de l’emploi »

Mobilité. Les travaux de prolongement de l’actuelle ligne B et de construction de la future ligne C battent leur plein dans l’agglomération toulousaine. Alors qu’ils devraient se poursuivre jusqu’en 2028, le président de Tisséo Ingénierie fait le point, notamment sur les questions qui fâchent relatives au planning, au financement et aux difficultés rencontrées par certains commerçants.

Lecture 15 min
Photo de Jean-Michel Lattes
Jean-Michel Lattes, président de Tisséo Ingénierie et Collectivités. (©La Gazette du Midi)

La création de cette troisième ligne de métro est dans les cartons depuis 2014. Avec le lancement des travaux, elle devient chaque jour un peu plus une réalité. Pouvez-vous revenir sur les enjeux derrière ce projet à plusieurs milliards d’euros ?
Jean-Michel Lattes : « Pour comprendre les enjeux de cette ligne C, il faut revenir sur l’histoire du réseau toulousain. La particularité de la ligne A, construite en 1993, et de la ligne B, en service depuis 2007, c’est qu’elles sont pénétrantes vers le centre-ville. Tous les jours, ce sont environ 230 000 usagers qui empruntent chacune de ces lignes, soit deux tiers des personnes transportées sur le réseau toulousain. Le tiers restant, c’est via le réseau de bus et le tram. Plébiscitées pour faire la connexion « domicile/centre-ville », ces deux lignes ne permettaient pas de connecter ce qu’on appelle le « domicile/travail ». D’où la nécessité de cette troisième ligne de métro qui reliera Colomiers à Labège en 20 minutes et desservira 21 stations, réparties sur un parcours de 27 km. Elle va permette de capter les grands bassins d’emploi de l’agglomération toulousaine. Pour ne vous donner qu’un exemple, alors qu’aujourd’hui les différents sites d’Airbus sont uniquement desservis par bus, d’ici 2028 les salariés auront le choix entre cinq connexions. Donc le premier enjeu était vraiment de renforcer ce maillage territorial en transports en commun pour faciliter les déplacements dans l’ensemble de l’agglomération. Le second enjeu est l’interconnexion avec le rail, puisque l’une des caractéristiques de notre troisième ligne est qu’elle est connectée à cinq gares. Et elle pourrait être aussi le support d’un futur RER à la toulousaine. Ensuite, il y avait bien sûr un enjeu environnemental avec un système de transport décarboné. Selon les études menées, 90 000 voitures jour seraient supprimées par l’arrivée de ce nouveau métro puisque sur la seule première année d’exploitation, Tisséo table sur 200 000 passagers par jour. »

Aujourd’hui, plusieurs chantiers sont en cours aux quatre coins de l’agglomération. Quels sont-ils ? Et surtout, quelles sont les prochaines grandes échéances ?
Jean-Michel Lattes : « Entre le grand débat public et l’enquête publique, avec notamment le volet environnemental, la phase administrative aura duré sept ans. Depuis l’année dernière, nous sommes rentrés dans une nouvelle phase, celle des travaux. Aujourd’hui, plus d’une quarantaine de chantiers, plus ou moins importants, sont en cours. Il y a bien sûr les travaux des 17 stations souterraines, comme ceux très spectaculaires au niveau de François Verdier qui ont nécessité de déplacer de 35 mètres le Monument aux morts. Nous avons aussi donné le coup d’envoi au chantier de la boucle de connexion entre la ligne B et la future ligne C, soit entre Ramonville-Saint-Agne et Labège via notamment la construction de 2,2 kilomètres de viaduc et 500 mètres de tunnel. Soutenu par 58 piles de 6 à 10 mètres de hauteur, il enjambera notamment plusieurs voies de circulation, dont la RD916. Autre chantier emblématique, la connexion avec la ligne A à Marengo-Matabiau avec plusieurs fers au feu puisque la Région est aussi engagée dans des travaux avec la création d’une Halle des Transports. Ce nouveau pôle d’échange multimodal doit permettre de connecter les différents moyens de transport que sont le métro, le train, les bus, les cars et les vélos. Autre prouesse technique, la future station Bonnefoy qui se trouve au sommet d’une colline. Enfin, à Colomiers, terminus de la future ligne C, une nouvelle phase de travaux a démarré en septembre. Elle durera environ 14 semaines et concerne la réalisation des murs en béton armé coulé dans le sol, appelés parois moulées. Les activités de réalisation des parois moulées, qui demande l’installation de grands silos en ciment, sont en cours ou sont sur le point de s’achever sur l’ensemble des stations. Ensuite, va commencer le terrassement puis les travaux de génie civil avec le creusement du tunnel principal. Autre chantier, moins spectaculaire mais tout aussi important, la construction d’un garage atelier aux Sept Deniers. C’est là que les futures rames de la ligne C seront acheminées pour la maintenance et le remisage. D’une superficie d’environ 12 ha, il pourra accueillir à terme jusqu’à 58 rames de métro. Enfin, comme sur les lignes A et B, la ligne C disposera de puits d’évacuation et de ventilation. Ces ouvrages souterrains sont nécessaires dès que la distance entre deux stations excède les 800 m. En tout, 16 puits seront construits sur la partie souterraine de la ligne. »

Le planning prévu est-il respecté ?
Jean-Michel Lattes : « Oui, pour le moment le planning est respecté. Jusqu’ici, nous avons eu un seul petit incident à déplorer. Au mois de novembre, une cuve s’est rompue et a entraîné le déversement de boue naturelle dans l’emprise du chantier de la future station Montaudran gare-Piste des Géants. Mais tout est rentré dans l’ordre très rapidement. Les entreprises en charge des différents chantiers n’ont de toute façon aucun intérêt à perdre du temps. Les prix énoncés dans l’appel d’offres étant fixes. Plus, entre guillemets, elles iront vite, plus elles pourront au contraire réduire leurs coûts. Après, des incidents sont toujours possibles mais pour l’heure nous n’avons aucun retard significatif. » 

Photo des travaux de la ligne C
Depuis le 2 novembre 2023, une nouvelle phase de travaux va démarrer au sein de l’emprise de la future station François Verdier. Elle concerne la réalisation des murs en béton armés coulés dans le sol, appelés parois moulées. (©La Gazette du Midi)

Quid du budget ? D’abord estimé à 2,3 Mds€ au tout début du projet, à combien se chiffre-t-il aujourd’hui ? Comment s’expliquent les surcoûts ? Et plus important, où avez-vous trouvé l’argent ?
Jean-Michel Lattes : « Lors d’un vote à Toulouse Métropole il y a un peu plus d’un an, nous avons voté un recalage du budget alloué à ce projet de troisième ligne de métro. Donc oui, le budget a été revu à la hausse pour atteindre les 3,2 Mds€, mais il est aujourd’hui à l’équilibre. Ce surcoût important s’explique par la crise covid, la guerre en Ukraine, l’inflation, la flambée des prix des matériaux… Pour pouvoir gérer au mieux ces évolutions financières et absorber ces hausses, nous avons fait le choix d’allonger la durée du chantier avec une mise en service attendue en 2028 au lieu de 2026. Après, il faut bien comprendre que ces surcoûts ne sont pas propres au projet de la ligne C. Grosso modo en France, les grands chantiers ont connu une augmentation de 18 à 20 %. Donc comme bon nombre de collectivités, nous avons dû nous adapter aux nouvelles donnes économiques. Sur cette question du budget, c’est Sacha Briand, vice-président de la Métropole aux Finances, qui est aux manettes. Il a fait évaluer la solidité de notre plan de financement du métro par l’agence de notation Moody’s. Celle-ci a rendu un avis très positif. Par ailleurs, à chaque évolution significative, il réunit un conseil pour faire un suivi de la dette. Nous avons déjà eu cinq modifications majeures du budget et il y en aura d’autres. C’est tout à fait normal pour un chantier de cette envergure. »

D’accord, mais quel est ce plan de financement ? Dans un article paru en juin, le magazine Challenges a avancé le chiffre de 600 M€ qui resteraient à trouver pour mener à bien le chantier. Qu’en est-il réellement ?
Jean-Michel Lattes : « Nous devons faire face à un surcoût estimé entre 500 et 600 M€. Plusieurs mesures ont été prises et d’autres leviers sont en train d’être activés pour finaliser l’investissement : aides de l’État, de l’Europe… Tisséo bénéficie par ailleurs de trois sources de financement. La première c’est le versement mobilité, sorte de « taxe transport », prélevé sur les entreprises qui emploient 11 salariés et plus. Rien que sur 2023, ce dernier va dépasser les 300 M€ à Toulouse. La deuxième, c’est la part versée par les collectivités qui avoisine les 110 M€. Et là, les collectivités, aussi bien Toulouse Métropole que le Sicoval, se sont engagées à augmenter leur participation pour répondre aux besoins. La troisième ressource, ce sont les usagers qui utilisent les différents réseaux de transport. Et là, on a dépassé cette année les 100 M€. Le prix du ticket unitaire augmente tous les cinq ans. Il est aujourd’hui à 1,80€. Les titres avec abonnement, augmentent eux d’environ 2 % par an. »

Si les collectivités sont prêtes à mettre la main au portefeuille, quid des entreprises ? Jean-Luc Moudenc plaide pour une augmentation du plafond du versement mobilité aujourd’hui fixé à 2 %. Le Medef 31, par la voix de son président Pierre-Olivier Nau, s’est dit contre toute hausse. En revanche, il plaide pour intégrer la gouvernance de Tisséo. Qu’en est-il ?
Jean-Michel Lattes : « C’est encore en cours de négociation. Les responsables des grandes agglomérations demandent au gouvernement une égalité de traitement avec Paris qui a été autorisée à déplafonner ce taux de versement pour financer le fonctionnement des nouvelles lignes de métro du Grand Paris, alors même que celui-ci était plus élevé. Elle va ainsi passer de 2,9 à 3,3 %. Et comme la ligne C a été pensée comme la ligne de l’emploi pour permettre de transporter des milliers de salariés par jour, nous souhaitons une plus grande participation des entreprises. Et même si aujourd’hui Bruno Le Maire se montre réticent à toute fiscalité nouvelle, les ministres des Transports et de l’Environnement se montrent plus ouverts. Et que l’on soit bien d’accord, on ne demande pas aux entreprises de l’agglomération d’éponger les surcoûts mais de participer à l’investissement de transport lourd. Enfin, pour répondre à votre question sur le Medef 31 qui souhaite intégrer la gouvernance de Tisséo la réponse est simple : c’est statutairement impossible à l’heure actuelle. Néanmoins, il a un droit de parole puisqu’il siège déjà au sein de deux structures : le Comité des grands emplo­yeurs, qui regroupent des entreprises d’au moins de 500 salariés et le Conseil des partenaires, dans lequel on retrouve aussi des syndicats de salariés ou encore la CPME 31. Ces structures permettent aux employeurs, entre autres, d’avoir à l’avance la présentation des projets pour qu’ils puissent nous donner leur avis. »

Photo de l'affiche des travaux promouvant les commerces de proximité
(©La Gazette du Midi)

Enfin, ces travaux engendrent des nuisances, avec notamment des difficultés d’accès et de visibilité pour de nombreux commerçants. Entendez-vous leurs inquiétudes ? Avez-vous activé tous les leviers pour les accompagner et les aider financièrement ?
Jean-Michel Lattes : « Nos leviers sont limités tout simplement parce que le système d’indemnisation est très encadré légalement, pour éviter tout copinage. Mis en place lors des travaux de la ligne A et de la ligne B, il avait plutôt très bien fonctionné. D’ailleurs, l’ensemble des procédures mises en place a été validé par la chambre de commerce et la chambre des métiers. Après c’est vrai que ces travaux arrivent après les crises des gilets jaunes et du covid qui ont déjà fortement impacté les commerces mais une ville comme Toulouse ne peut pas mettre sur pause des chantiers de construction ou de démolition. Elle a besoin de poursuivre sa transformation, son évolution. Voilà pourquoi Tisséo a mis en place un dispositif d’avances pour aider les commerçants impactés. Cette avance peut être perçue après une expertise réalisée par un expert désigné par une commission présidée par un magistrat au sein du tribunal administratif. C’est lui qui analyse les comptes de chaque chef d’entreprise qui dépose un dossier. Aujourd’hui, une trentaine de dossiers sont ouverts et les premiers versements ont déjà été effectués. À chaque conseil syndical, c’est-à-dire une fois par trimestre, une délibération est votée pour abonder le financement des commerçants. Il y a ceux qui reçoivent des indemnisations ponctuelles et ceux qui bénéficieront de plusieurs versements. Pour accompagner les commerçants dans leurs démarches administratives mais aussi remonter des problématiques de terrain, liées notamment à la signalétique, des médiateurs ont été désignés. Ils sont tous les jours sur le terrain. »