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La stratégie aéroportuaire dans le viseur de la chambre régionale des comptes

Enquête. Outre Toulouse et Montpellier, la région Occitanie compte sept aéroports qui accueillent 1,9 million de passagers par an via les vols low cost. Un trafic qui coûte cher aux finances publiques : de l’ordre de 30 M€ par an. À l’heure de la transition écologique, ce modèle est de moins en moins soutenable. C’est ce que rappelle la chambre régionale des comptes.

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L’aéroport de Perpignan-Rivesaltes accueille, comme celui de Tarbes, un tissu industriel spécifique au secteur aérien. Il dispose également d’un pélicandrome (© Aéroport de Perpignan).

Peut-on et doit-on continuer à financer les déficits des aéroports de Tarbes-Lourdes, Carcassonne, Perpignan, Béziers, Nîmes, Rodez et Castres ? Ces questions méritent d’être posées à la lecture d’un rapport de la chambre régionale des comptes d’Occitanie publié le 23 octobre 2023 dans lequel la juridiction financière a examiné la stratégie aéroportuaire du Conseil régional. Ce rapport s’inscrit dans le cadre d’une enquête nationale menée par la Cour des comptes et les chambres régionales sur le maillage aéroportuaire.

De fait, les magistrats financiers s’inquiètent de « la soutenabilité » de la politique publique menée par la Région Occitanie en la matière. Le Conseil régional a en effet adopté en 2018 une stratégie qui vise à soutenir le maillage aéroportuaire actuel. Lequel « n’a pas bougé depuis les années 2000 », pointe Valérie Renet, présidente de la chambre régionale des comptes. Outre les plateformes internationales de Toulouse et Montpellier, il comprend sept aéroports de plus petite taille que sont ceux de Tarbes-Lourdes, Carcassonne, Perpignan, Béziers, Nîmes, Rodez et Castres. Cette stratégie aéroportuaire vise trois objectifs : le désenclavement des territoires, le développement économique et touristique et l’ouverture vers le monde.

Pour asseoir sa politique, la Région a conforté son implication dans la gouvernance des plateformes aéroportuaires, d’une part en intégrant les conseils syndicaux propriétaires des aéroports, d’autre part en confiant à une société publique locale aéroportuaire régionale (SPLAR), créée à cet effet, l’exploitation des plateformes de Perpignan, Carcassonne et Tarbes-Lourdes. Selon les calculs de la Chambre, ce sont ainsi près de 30 M€ de fonds publics qui sont versés chaque année sous diverses formes pour soutenir les aéroports occitans (hors Montpellier et Toulouse).

Des entités qui, compte tenu de la faiblesse du trafic, sont structurellement déficitaires. Ces sept plateformes prises dans leur ensemble représentent en effet seulement 14 % du trafic aéroportuaire régional (évalué à 13,3 millions de passagers en moyenne entre 2017 et 2019), contre 71,5 % pour celui de Toulouse et 14,4 % celui de Montpellier. Soit pour les sept plateformes réunies quelque 1,9 million de passagers enregistrés dont près de 400 000 pour Carcassonne, Tarbes et Perpignan, moins de 250 000 pour Nîmes et Béziers, moins de 100 000 pour Rodez et Castres (trafic annuel avant la crise sanitaire).

Or le droit européen stipule qu’aucune aide au fonctionnement ne peut être octroyée aux aéroports qui ont enregistré un trafic annuel moyen de plus de 200 000 passagers. En Occitanie, ces aides au fonctionnement représentent 17,2 M€ sur les 30 M€ déjà cités. En 2014, la Commission européenne a toutefois instauré une période transitoire de dix ans durant laquelle les aides au fonctionnement octroyées aux aéroports demeurent, sous certaines conditions, compatibles avec le marché.

Alors que l’échéance approchait à grand pas, dans un contexte marqué par une succession de crises (pandémie de Covid et guerre en Ukraine notamment) qui affectent fortement l’activité des aéroports régionaux, un délai supplémentaire vient d’être accordé aux collectivités qui ont désormais jusqu’en 2027 pour trouver des solutions alternatives. Or, estime Valérie Renet, « pour l’instant les collectivités ne semblent avoir pris en compte le fait qu’il y a cette date butoir ».

Aéroports intermédiaires : un modèle économique pas viable

Les contrats de marketing pris en charge par les aéroports contrôlés représentent 11 M€ par an d’argent public versés aux compagnies low-cost (et plus particulièrement Ryanair en Occitanie). Ici l’arrivée d’un vol à l’aéroport de Béziers Cap d’Agde en provenance de Bristol (© Clem Rutter, Rochester, Kent, CC BY-SA 4.0)

Pour la présidente de la chambre, c’est la densité de ce maillage aéroportuaire lui-même qui interroge, avec des situations de concurrence entre de nombreux aéroports. Sur le littoral comme à l’ouest de la région, plusieurs zones de desserte se chevauchent. Nîmes est concurrencé à la fois par Marseille et Montpellier. Béziers, Montpellier, Perpignan et Carcassonne ont également des zones de desserte qui se chevauchent. À l’ouest, ce sont les aéroports de Pau et de Tarbes qui sont en concurrence. 

Ce que nous avons pu constater c’est que le modèle économique de ces sept aéroports est déséquilibré. Il repose sur les vols commerciaux à bas coûts financés par des subventions publiques dont la régularité n’est pas certaine », estime Valérie Renet.

Concurrence entre les plateformes, faiblesse du trafic conduisent en effet les plateformes à dépendre des compagnies low cost. Or, « leur modèle repose sur l’optimisation des coûts et des recettes. Pour attirer ces compagnies, les exploitants utilisent des procédés incitatifs : remises sur les frais d’aéroport ou contrat de marketing par lequel l’exploitant verse de l’argent aux compagnies en échange de prestations de marketing pour développer les lignes. Le problème, c’est que ces procédés ne sont pas toujours légaux. »

On se souvient que la Commission européenne avait estimé irréguliers les montants versés par l’aéroport de Montpellier à Ryanair ce qui avait eu pour conséquence le départ de la compagnie pour Béziers. « Ensuite, ces contrats ont un coût disproportionné par rapport aux charges réellement induites », pointe la chambre régionale des comptes qui estime également que l’efficacité de ces contrats marketing (qui représentent, avec les remises, 11 M€, versés plus particulièrement Ryanair en Occitanie) n’est pas démontrée. Et Valérie Renet d’ajouter :

Ces procédés coûtent cher aux exploitants d’aéroport : ils créent des déficits d’exploitation estimés en moyenne à 2,2 M€ annuels par aéroport. Et pour couvrir ces déficits, on fait appel aux fonds publics : ce sont les collectivités partenaires, présentes dans la gouvernance de ces aéroports, qui financent. Ce sont des subventions publiques qui viennent équilibrer ces déficits d’exploitation. Au total, ce sont près de 30 M€ de fonds publics qui sont versés sous diverses formes dans les aéroports occitans, hors Montpellier et Toulouse. »

Une dépense dont la pertinence fait débat

Pour justifier l’ampleur des financements publics versés, la Région fait réaliser des études pour mesurer les retombées économiques de cette politique aéroportuaire. Elles sont chiffrées à plus de 1,5 Md€ sur le territoire, représentant près de 27 000 emplois induits. Sur ce point aussi, la chambre régionale des comptes n’apparaît pas convaincue par l’argument avancé.

« Nous avons cherché à objectiver ces retombées économiques, poursuit Valérie Renet. Or, on s’aperçoit que c’est difficile à faire. Si des retombées sont indéniables, il est difficile de les chiffrer. Qui plus est, ces études sont entachées de biais. Elles montrent bien qu’il y a des retombées économiques mais elles ne démontrent pas qu’il y a un lien entre le fait d’avoir une pluralité d’aéroports et ces retombées économiques. On peut aussi souligner que les cabinets qui livrent ces études sont parfois liés avec des compagnies qui ont des intérêts dans l’aéronautique. »

Si l’Occitanie n’est pas la seule région à essuyer les critiques de la Cour des comptes, « dans certaines régions, la coordination entre plateformes aéroportuaires a été réalisée de façon plus optimale, observe la présidente de la chambre régionale. En Normandie et en Bretagne, deux territoires également très touristiques, les Régions se sont beaucoup impliquées pour coordonner les plateformes et les mutualiser et pour qu’on n’ait pas ces situations de concurrence qu’on connaît en Occitanie. »

Parmi les recommandations qu’adresse la chambre à la Région, figure ainsi celle de « réinitier et développer la collaboration entre l’aéroport de Tarbes-Lourdes et celui de Pau, en liaison avec la région Nouvelle-Aquitaine. » Ces deux aéroports, distants de 45 kilomètres, desservent tous les deux Paris. Mais alors que Pau fonctionne sans subvention, Tarbes-Lourdes perçoit des fonds publics, comme Castres et Rodez, au titre des lignes d’aménagement du territoire (LAT). Pour les trois aéroports, ces subventions, qui se chiffraient jusque-là à 6,4 M€, ont fortement progressé, elles se montent à 10 M€ en 2023.

La chambre s’interroge dès lors sur le bien-fondé de cette LAT au départ de Tarbes ainsi que sur le projet de 4e LAT sous obligations de service public au départ de Carcassonne, projet porté par la Région et dont l’utilité peut, elle aussi, faire débat. La Région, elle, a tranché. Avec le Département de l’Aude, Carcassonne Agglo et le Grand Narbonne, elle vient d’investir 11 M€ dans la construction du nouveau terminal de l’aéroport de Carcassonne, inauguré en septembre 2023.

Le coût pour les finances publiques : 16€ par passager

« La chambre régionale des comptes ne préconise en aucun cas la fermeture des aéroports, tient à préciser Valérie Renet. Certains d’entre eux répondent d’ailleurs à des besoins spécifiques du territoire autre que l’import de passagers et de touristes d’Europe du nord. »

Nîmes accueille de fait le pôle national pour les opérations aériennes de secours et de sécurité civile. Certains sont des pélicandromes, c’est-à-dire qu’ils servent de bases aux opérations de lutte contre les incendies, c’est le cas de Béziers, Perpignan et Carcassonne. D’autres accueillent des activités militaires et enfin d’autres hébergent un tissu industriel spécifique lié au secteur aérien, tels ceux de Tarbes ou Perpignan. Rodez et Castres sont, eux, dans un cas particulier parce qu’ils répondent à un besoin de désenclavement de territoires moins bien desservis. 

Il s’agit simplement de savoir si l’argent public est bien employé et s’il peut être employé à meilleur escient. Ces plateformes attirent des compagnies à bas coût qui fonctionnent sur un prix du billet très bas. Mais là, en l’occurrence, c’est comme si la subvention publique venait compenser ce prix bas. Avec des subventions publiques estimées à 30 M€ par an, on a calculé qu’en 2021, cela représente de l’ordre de 16 € par passager. C’est comme si on subventionnait grâce à l’argent du contribuable un billet moins cher pour rendre la région attractive pour les touristes d’Europe du nord. »

Et l’environnement ?

Dernier point soulevé par la chambre : l’impact environnemental du trafic aérien comparé au train. « Nous avons calculé, que le gain de temps réalisé, comparé au train, n’est pas supérieur à une heure. Sur un Tarbes Paris, tout mis bout à bout, la différence est de 21 minutes pour 107 fois plus d’émission de CO2 ! », assure-t-elle.

Sur ce point-là aussi, la chambre régionale des comptes formule une recommandation à l’attention de la Région qui devra « intégrer un axe stratégique aéroportuaire spécifique en cette matière, en cohérence avec les autres modes de transport, au travers des orientations du pacte vert régional et des objectifs du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) Occitanie 2040 ».