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Logement social en Occitanie : « 2024 est l’année de tous les dangers »

Interview. En Occitanie, le secteur du logement social est bloqué. Tous les indicateurs sont au rouge : chute drastique de la programmation, hausse de la demande, taux de rotation des locataires à la baisse... Vice-président d’Habitat social en Occitanie (HSO), Jean-Michel Fabre explique les raisons de cette crise profonde et avance des solutions concrètes pour en sortir.

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Photo de Jean-Michel Fabre
Jean-Michel Fabre, vice-président d’Habitat social en Occitanie (HSO).

Quel bilan tirez-vous de l’année 2023 concernant le logement social en Occitanie ?
Jean-Michel Fabre : « C’est très simple : on s’enfonce de plus en plus dans la crise. Certains territoires sont aujourd’hui dans des situations catastrophiques. Dans le 31, et plus précisément sur la métropole toulousaine, il y a un effondrement de la programmation de logements sociaux. Tous les indicateurs sont passés ou vont passer dans le rouge. Le premier indicateur, c’est l’explosion de la demande. En Occitanie, on atteint 189 000 demandeurs et 56 000 sur la seule Haute-Garonne, c’est 10% de plus que l’an dernier. À côté de cela, la programmation de logements sociaux n’a jamais été aussi basse depuis 20 ans avec 9 241 autorisations en 2023 pour l’Occitanie, contre 12 000 logements en 2017. Du coup, le nombre d’attribution est tombé à 30 000 l’année dernière (-6%). Pour résumer, nous avons de plus en plus de demandes, de moins en moins de construction lancée et donc mécaniquement une liste d’attente qui ne cesse de s’allonger. L’autre problématique à laquelle nous faisons face, c’est le faible taux de rotation, autrement dit le nombre de départs de locataires, et ce pour une raison simple : la difficulté de plus en plus grande des ménages à accéder à la propriété ou au logement locatif privé. Tous ces éléments font que l’on est dans une situation très difficile. Voilà pourquoi nous pensons que 2024 est l’année de tous les dangers. Si aucune mesure efficace n’est prise rapidement, nous allons continuer à nous enfoncer dans la crise à un rythme extrêmement inquiétant. »

La crise du logement social touche tous les territoires, mais quelles sont les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les bailleurs sociaux de la région ?
Jean-Michel Fabre : « Difficultés d’accès au logement social et privé mais aussi saturation de l’hébergement d’urgence, c’est la première fois que le marché est à ce point bloqué. La crise touche tous les parcours d’accès au logement. Elle est d’autant plus impactante en Occitanie que la région connaît l’une des plus fortes croissances démographiques de France. Quand chaque année, vous avez 50 000 nouveaux habitants qui s’y installent, dont 15 000 en Haute-Garonne, il faut arrêter de penser qu’il n’y a que des ingénieurs d’Airbus dans le lot. Il y a aussi des travailleurs “modestes” qui n’ont pas les moyens d’accéder au logement privé. Autre spécificité, l’Occitanie subit de plein fouet le réchauffement climatique avec des épisodes caniculaires plus fréquents et plus intenses qui nous obligent à adapter et à rénover notre parc social. C’est un défi monumental dont on ne parle pas assez. »

Justement, où en êtes-vous dans la rénovation énergétique du parc social occitan ?
Jean-Michel Fabre : « Avant toute chose, c’est important de souligner qu’en terme de rénovation énergétique, le logement social est très en avance par rapport à l’ensemble du parc. Nous sommes aux alentours des 4 500 à 5 000 logements réhabilités chaque année en Occitanie, avec comme priorité la rénovation de ceux classés F et G (entre 600 et 800 par an) qualifiés de « passoires thermiques ». Une cadence qui nous a permis de passer de 46% à 70% de logements classés A, B et C entre 2015 et 2023. Le travail a donc été fait de ce côté-là, mais il est encore loin d’être suffisant, notamment au regard des objectifs fixés par loi Climat et Résilience. Celle-ci prévoit que l’ensemble du parc de bâtiments devra atteindre la "basse consommation", soit la classe énergétique A ou B à horizon 2050. Pour y arriver, il faudrait monter jusqu’à 10 000 logements rénovés chaque année et ça, ça demande des investissements massifs. Or, les aides annoncées par le gouvernement ne sont pour l’heure pas à la hauteur des enjeux. Pour vous donner une idée du coût, sur les bâtiments les plus complexes, il faut compter environ 70 000 € de travaux par logement, contre 30 000€ il y a encore quelques années. »

Photo d'un logement social
En Occitanie, alors que la demande a augmenté de près de 10 % entre 2022 et 2023, les attributions ont baissé de près de 6 % sur la période. (©HSO)

Selon l’urbaniste François Rochon, l’habitat social est confronté à une crise de son organisation et de son financement. Il pointe notamment le regroupement des organismes bailleurs ou encore la réduction du loyer de solidarité (RLS). Êtes-vous d’accord avec lui ?
Jean-Michel Fabre : « Ce mouvement de concentration a été décidé par l’État à travers la loi Elan de 2018 qui oblige les bailleurs ayant un parc inférieur à 12 000 logements à se regrouper au sein de ce que l’on appelle des sociétés de coordination. Aujourd’hui, je suis moi-même président d’une de ces sociétés, donc je suis bien placé pour vous dire que c’était une illusion de croire que, par je ne sais quelle opération du saint esprit, regrouper des structures en difficulté allaient leur permettre d’aller mieux. Ça ne marche pas comme ça ! Ensuite, s’agissant des difficultés financières rencontrées par les bailleurs sociaux, là encore c’est l’État le principal coupable. Cela fait des années que nous sommes maltraités. La seule mise en place du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), issu de la loi de finances pour 2018, a amputé les recettes des organismes de 10 % en moyenne. Au niveau national, cela représente un manque à gagner de 1,3 Md€ par an. C’est autant d’argent que nous ne pouvons pas réinvestir dans la gestion du parc social français. »

Que pensez-vous de l’annonce « surprise » faite par le nouveau Premier ministre sur l’intégration du logement locatif intermédiaire (LLI) dévolu aux classes moyennes dans le contingent obligatoire de HLM assigné aux communes ?
Jean-Michel Fabre : « C’est une catastrophe car cette mesure ne crée pas un seul logement. C’est simplement la mise à mal de la loi SRU qui impose aux communes au moins 25 % de logements sociaux. Ça va juste permettre à certains élus d’estimer qu’ils ont produit assez de HLM en privilégiant en fait les LLI. Or, parmi les ménages qui font une demande de logement social en Haute-Garonne, seuls 3% peuvent être intéressés par le logement intermédiaire ! Et que l’on soit bien d’accord, je ne suis pas du tout défavorable au développement du logement locatif intermédiaire. Mais si c’est juste pour dire comme ça on va pouvoir construire moins de HLM, c’est une arnaque. Et surtout, ça n’apporte aucune solution aux 189 000 demandeurs de logement social d’Occitanie. »

Quelles sont vos marges de manœuvre pour sortir le logement social de la crise ? Et quelles sont vos attentes à l’égard du gouvernement ? Quelles sont les mesures d’urgence à prendre selon vous ?
Jean-Michel Fabre : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple, disait l’Abbé Pierre, et en particulier les classes populaires ainsi que les personnes en difficulté. Alors, de deux choses l’une, ou c’est un sujet qui intéresse le gouvernement et dans ce cas il doit relancer la machine à construire, notamment en matière de production de logements sociaux à travers une politique de l’habitat ambitieuse et volontariste. Ou bien il considère que c’est le marché qui va tout réguler et dans ce cas, ce n’est pas un problème pour lui. Il faut qu’il soit clair sur ce sujet, parce que les dernières mesures annoncées, concernant la loi SRU et le LLI ne règlent rien ou sont complètement décalées par rapport aux besoins alors même que des leviers d’action existent. La première chose à faire pour sortir de cette crise est d’arrêter la ponction sur le logement social de 1,3 Md€ chaque année et donc abroger la RLS afin de permettre aux organismes de logement social de retrouver des capacités de financement. Autre priorité, remettre la TVA à 5% pour tous types de travaux et aussi faciliter l’accès à des ressources foncières de l’État à prix maîtrisé. Concernant nos marges de manœuvre, elles sont limitées. Notre priorité est donc que les 690 000 personnes qui habitent dans les 325 000 logements sociaux d’Occitanie vivent dans les meilleures conditions possibles. On se concentre sur ça. On va essayer de tenir, mais si les choses ne bougent pas, on va le payer cash dans deux, trois, quatre ans. C’est pour cela que les professionnels du secteur alertent et parlent de 2024 comme l’année de la dernière chance. »

Et concrètement si rien “ne bouge”, quel est le risque ?
Jean-Michel Fabre : « On va s’enfoncer encore un peu plus dans la crise avec toujours plus de demandeurs qui n’auront pas accès à un logement social et qui vont donc se retrouver en situation de grande précarité. En 2023, nous avons eu l’autorisation de construire 2 500 logements en Haute-Garonne et 1 387 sur la métropole toulousaine, pour une livraison prévue dans deux à trois ans. Cela représente une chute de 40% ! Il ne faut pas que l’on enchaîne plusieurs années comme cela, sinon on court à la catastrophe. Et que l’on ne s’y trompe pas, nous traversons déjà la plus grave crise du logement qu’ait connue notre pays depuis les années 50. Il y a donc urgence à agir. »