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Manifestation des agriculteurs à Toulouse : les prémices d’un durcissement ?

Mobilisation. Mardi 16 janvier 2024 a été une journée noire à Toulouse et son agglomération. Près de 400 tracteurs et 2 000 agriculteurs venus de toute la région ont convergé vers le centre-ville pour une journée d’action de grande envergure. À bout, ils dénoncent l’augmentation de la redevance sur l’eau, la hausse de leurs coûts de production ou encore une surcharge administrative.

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Photo de manifestation des agriculteurs au centre-ville de Toulouse
Mardi 16 janvier 2024, des milliers d’agriculteurs venus de toute la région Occitanie ont investi le centre-ville de Toulouse pour une journée d’action. (©La Gazette du Midi)

L’accalmie aura été de courte durée. Mises entre parenthèses après la réunion du 5 décembre dernier entre les représentants des Jeunes Agriculteurs (JA), la FNSEA et Élisabeth Borne - alors Première ministre - qui avait abouti à des avancées majeures sur la non augmentation de la redevance sur l’eau et celle pour pollution diffuse (RPD), les manifestations agricoles reprennent de l’ampleur en Occitanie.

Mardi 16 janvier, un peu plus de 400 tracteurs et quelque 2 000 agriculteurs venus de toute la région ont convergé direction le centre-ville de Toulouse. Objectif pour les organisateurs : obtenir de la part du gouvernement des avancées concrètes et des garanties sur plusieurs dossiers chauds. Parmi eux : « La non application des hausses annoncées sur la redevance sur l’eau par le Bassin Adour-Garonne qui n’a toujours pas modifié son budget malgré l’engagement de l’État sur ce sujet », dénonce Jean-Baptiste Gibert, président des JA 82 et producteur bio de raisin de table, de céréales et de légumes de plein champ dans le nord du Tarn-et-Garonne. Autre cheval de bataille, la renégociation des compensations liées à la fin annoncée de la défiscalisation sur le gazole non-routier (GNR).

« Nous demandons également que l’État applique ce sur quoi il s’était engagé concernant la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui s’est propagée dans les élevages bovins du Sud-Ouest, à savoir une prise en charge des frais vétérinaires pour les animaux malades et une indemnisation pour les animaux morts », détaille l’intéressé. Enfin, les syndicats somment le gouvernement de publier les décrets d’application relatifs aux lois EGAlim 1 et 2 « qui devraient notamment permettre à la filière bio de s’en sortir beaucoup mieux puisque celles-ci imposent un minimum de 20 % de produits bio dans les repas servis dans la restauration collective ».

« Nous n’avons aucune perspective d’avenir »

Lassés par les effets d’annonce qui ne débouchent sur rien ou pas grand-chose, les agriculteurs de la région se disent prêts à s’engager dans un bras de fer. « Avec plus de 165 000 emplois, l’agriculture et l’agroalimentaire constituent le premier secteur économique de la région Occitanie. Malgré cela et le fait que l’on pratique l’agriculture la plus vertueuse de France, nous avons les revenus agricoles les plus bas du pays. Donc, oui nous créons énormément de richesses mais pour les autres », tempête Jean-Baptiste Gibert qui l’assure : « Avec des revenus qui oscillent entre 700 € et 1 500€, pour 56 heures de travail par semaine en moyenne on fait clairement partie des travailleurs pauvres ! »

Photo de défilé de tracteurs
Près de 400 tracteurs et 2 000 agriculteurs ont défilé dans le centre-ville de Toulouse. (©La Gazette du Midi)

Présent dans la manifestation aux côtés de ses collègues tarnais, Sylvain Laganthe a du mal à cacher son désarroi et aussi sa colère. Éleveur de brebis et producteur de céréales, il a repris en 2011 l’exploitation de son père. « Depuis mon installation, la France a perdu 100 000 exploitations agricoles et les projections pour les 10 prochaines années sont tout aussi catastrophiques », lâche-t-il avec consternation. Et de poursuivre : « Nous n’avons aucune perspective d’avenir. On ne sait pas quelle politique est menée et ce qu’on veut faire de nous. En tant que membre des JA, on est là pour favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et faciliter le renouvellement des générations mais franchement c’est de plus en plus difficile car on n’a rien à leur faire miroiter. »

Productrice de volailles et aussi viticultrice dans le Gers, Muriel Pelizza a, elle, opté pour la méthode Coué. Malgré un quotidien rythmé par la hausse des taxes, les crises sanitaires à répétition sans parler des normes qui s’accumulent, la présidente de la FDSEA 32 garde en effet le sourire. Déterminée à se rappeler au bon souvenir du gouvernement mais aussi des instances régionales, elle veut croire à une sortie de crise pour elle, ses collègues et surtout pour son fils qui ambitionne de reprendre l’exploitation familiale.

« Honnêtement, au vu de la conjoncture actuelle et des incertitudes qui pèsent sur notre métier, je ne souhaite pas qu’il s’installe mais je ferai tout pour que son avenir soit le plus beau possible », lance l’agricultrice pour qui l’urgence est de faciliter l’accès et le partage de l’eau sur le territoire mais aussi d’en finir avec une surcharge administrative qui vire à l’absurde. « Dans une autre vie, j’étais secrétaire commerciale et pourtant je n’ai jamais autant rempli de papier que maintenant ! Nous croulons littéralement sous trop de règles et une surtransposition de directives. »

Réunion infructueuse avec le préfet de région

Photo de la manifestation des agriculteurs à Toulouse
En fin de journée, les tracteurs ont commencé à quitter Jean-Jaurès. (©Gazette du Midi)

En début d’après-midi, une délégation composée de membres des JA et de la FRSEA a été reçue en préfecture pendant près de deux heures par Pierre-André Durand, préfet de région. Florent Guhl, directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de la région Occitanie (Draaf) et Guillaume Choisy, directeur de l’agence de l’eau Adour-Garonne, étaient également présents.

« Très tendue », la réunion n’a débouché sur aucune avancée concrète selon les représentants. « Nous avons eu quelques annonces sur le sujet de l’eau mais rien de pérenne et c’est bien là le problème. Donc encore une fois, nous ne sommes pas écoutés sur la nécessité d’avoir une vision sur le long terme, regrette Jean-Baptiste Gibert. Car même si en 2024 il n’y a pas d’augmentation des différentes taxes concernant l’accès à l’eau, de nouvelles négociations devront encore être malgré tout menées dès 2025. »

Concernant les dossiers relatifs au gazole non-routier, à la filière bio et à la maladie hémorragique épizootique (MHE), « le préfet n’a pas souhaité en débattre au motif qu’il s’agit de sujets nationaux et suite au changement de gouvernement aucune décision de l’État ne sera prise pour l’heure ». Seule consolation pour les agriculteurs, « nous avons obtenu gain de cause sur les zones humides avec un report de la mesure jusqu’à ce que des études d’impact soient réalisées ».

Pour rappel, afin de lutter contre la sécheresse et renouveler la biodiversité, la décision a été prise d’étendre ces zones humides. Problème, cette mesure implique de restreindre le recours à des produits phytosanitaires aux alentours de ces zones, « et par conséquence prive de fonciers agricoles de nombreux agriculteurs et on parle là de milliers d’hectares », affirme le président des JA 82.

Suite à la réunion, une prise de parole s’est tenue place du Capitole pour résumer les échanges. En colère, plusieurs agriculteurs ont appelé à bloquer le périphérique toulousain. À 18 h 15, des dizaines de tracteurs étaient toujours immobilisées, moteurs allumés, sur les allées Jean-Jaurès.