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Manifestation des agriculteurs : la mobilisation partie pour durer ?

Interview. La grogne des agriculteurs se propage. Parti d’Occitanie le 16 janvier dernier, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur. Quelque peu débordés, les syndicats agricoles entendent pourtant bien profiter de cette forte mobilisation pour obtenir des avancées concrètes de la part du gouvernement, comme le confirme Philippe Jougla, président de la FRSEA Occitanie.

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Photo de la manifestation des agriculteurs au centre-ville de Toulouse
Mardi 16 janvier 2024, des milliers d’agriculteurs venus de toute la région Occitanie ont investi le centre-ville de Toulouse pour une journée d’action. (©La Gazette du Midi)

Comment expliquez-vous que l’Occitanie soit aujourd’hui l’épicentre de la colère des agriculteurs ? Et attendez-vous plus de solidarité de la part des agriculteurs des autres régions ?
Philippe Jougla : « Si aujourd’hui la situation s’embrase en Occitanie, c’est d’abord parce que nous sommes la région où les revenus agricoles sont parmi les plus bas de France. Ici plus qu’ailleurs, de nombreux agriculteurs ont fait le choix de structures plus petites et beaucoup se sont convertis au bio. Problème, face à une conjoncture qui se tend et se dégrade, nous sommes davantage pénalisés car nous disposons de moins de marge de manœuvre. Pour répondre à votre deuxième question, si c’est vrai que la mobilisation est partie d’ici, des actions similaires commencent à être menées dans d’autres régions, notamment à l’appel de la FRSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA). Clairement, on assiste à une montée en puissance d’un mouvement agricole d’ampleur nationale. Et comme je l’ai déjà dit, la manifestation régionale du 16 janvier a été le coup d’envoi d’une mobilisation qui se terminera au Salon de l’Agriculture à Paris [NDLR : le salon se tiendra Porte de Versailles du 24 février au 3 mars]. Objectif : remettre l’agriculture au centre des préoccupations du gouvernement actuel. »

Depuis le 16 janvier, les syndicats ont été reçus par le nouveau Premier ministre Gabriel Attal, et le ministre de l’Agriculture a annoncé le report du projet de loi sur l’installation de nouveaux agriculteurs afin d’ajouter un volet « simplification pour en finir avec le millefeuille administratif imposé aux agriculteurs ». Mais avez-vous obtenu de réelles avancées ?
Philippe Jougla : « Des annonces ont été faites mais elles ne sont pour le moment pas à la hauteur des enjeux. Le président de la République a demandé à tous les préfets d’organiser des réunions pour “écouter” les revendications des agriculteurs. Celles-ci ont bien eu lieu mais maintenant, on veut des actes. Le Premier ministre a indiqué de son côté réserver ses annonces pour la présentation de son discours de politique générale prévue le 30 janvier prochain. Là encore on attend des mesures concrètes. »

Photo de Philippe Jougla
Philippe Jougla, président de la FRSEA Occitanie. (©FRSEA Occitanie)

Quelles sont justement vos principales revendications ?
Philippe Jougla : « La première concerne la hausse du prix du gazole non routier (GNR). Au lieu de devoir demander le remboursement partiel de leur taxe sur le GNR, comme c’est le cas aujourd’hui, les agriculteurs réclament de pouvoir bénéficier d’une remise immédiate à la pompe. Concrètement, on parle de plus de 15 centimes de moins à payer. Cela permettrait aux agriculteurs de ne pas piocher dans leur trésorerie. Autre revendication majeure en Occitanie, une meilleure prise en charge des frais vétérinaires concernant la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui s’est propagée dans les élevages bovins pyrénéens, après avoir touché l’Espagne. Cette maladie virale coûte énormément en temps, en travail et en argent aux éleveurs qui attendent toujours d’être remboursés à hauteur de 80 %. Les fonds dédiés existent mais avec le remaniement ministériel tout a été mis en stand-by. On a perdu plus d’un mois ! La troisième revendication porte sur l’accès et le partage de l’eau. Il est devenu urgent de desserrer le carcan réglementaire dans lequel nous sommes actuellement sur le territoire pour pouvoir bénéficier de ressources supplémentaires. L’enjeu est vraiment d’avoir une politique de gestion de l’eau avec une vision à long terme.

Depuis maintenant plus d’une semaine, les actions se sont multipliées un peu partout sur le territoire occitan, avec la création de nombreux points de blocage aux abords de grandes villes et d’axes autoroutiers. Les syndicats sont-ils débordés par leur base ?
Philippe Jougla : « La mobilisation va effectivement bien au-delà de ce que l’on avait imaginé et même espéré. Donc dire que l’on a été débordé par notre base n’est pas complètement faux, mais ce n’est en rien problématique, bien au contraire. Les agriculteurs qui sont mobilisés depuis maintenant plusieurs jours sur les barrages sont des gens qui partagent nos valeurs et nos revendications. J’ai même envie de dire que leur détermination nous oblige à être plus ambitieux et tenaces dans les négociations que nous menons. Voilà pourquoi il ne faut pas se sentir déstabilisés. Ils nous donnent vraiment de la force. »

Si cette manifestation vise avant tout à mettre la pression sur le gouvernement, a-t-elle aussi pour but de pousser les citoyens, qui sont aussi des consommateurs, à acheter français ?
Philippe Jougla : « Nous ne sommes pas là pour jeter la pierre à nos concitoyens. Comme tout le monde, je fais mes courses. J’ai donc vu qu’avec l’inflation les prix de l’alimentation se sont envolés. Ce que l’on veut c’est avant tout une prise de conscience sur la réalité de notre métier. Que les décideurs, comme les consommateurs, arrêtent d’exiger de nous tout et son contraire. On ne peut pas sans cesse nous en demander toujours plus en matière de norme, de protection de l’environnement ou encore de service et ne pas le payer à la fin. »

Avec plus de 9 Mds€ d’aides versées par an, la France est la première bénéficiaire de la PAC. En tant que deuxième région agricole française, l’Occitanie en touche une bonne partie. Comment expliquez-vous alors que nos agriculteurs ne s’en sortent pas ? Y aurait-il un problème de ruissellement entre les petites et les grandes exploitations ?
Philippe Jougla : « Sur ces 9 Mds€, l’Occitanie - avec ses 13 départements - touche un peu plus d’un milliard par an. Pour reprendre vos mots, il n’est pas faux de sous-entendre que ces aides ne “ruissellent” pas de façon égale et homogène, non pas selon la taille des exploitations mais bien en fonction des productions. Les éleveurs et les céréaliers bénéficient par exemple davantage d’aides de la PAC que les viticulteurs et les maraîchers. Pour faire simple, l’obtention de ces aides financières - qui peuvent se cumuler - dépendent de plusieurs critères : nombre d’hectares exploités, nombre d’animaux élevés, choix du modèle agricole (conventionnelle, biologique, intégré…) ou encore type de cultures produit. Quant à savoir pourquoi les agriculteurs occitans ne s’en sortent pas malgré ce milliard d’euros annuel, c’est tout simplement parce que, réforme après réforme, la PAC se transforme et se complexifie. Nous sommes aujourd’hui mis en concurrence à l’échelle planétaire et surtout, on nous demande de produire toujours plus mais mieux, local mais à moindre coût…L’équation est difficile ! »