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Télésuivi des patients : Sêmeia veut révolutionner la médecine de ville

Santé. La start-up toulousaine conçoit et déploie une plateforme numérique de télésurveillance des patients atteints de maladies chroniques. 10 000 sont déjà suivis en France.

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Sêmeia développe une plateforme numérique de suivi des patients atteints de pathologies chroniques (© Sêmeia).

La télésurveillance médicale va-t-elle dans les prochaines années bouleverser notre approche de la médecine de ville ? Pierre Hornus, qui a cofondé Sêmeia avec Mathieu Godart et Daniel Szeftel, veut y croire.

La start-up, fondée en 2017 à Toulouse (Haute-Garonne), développe une plateforme numérique, dénommée Wise, qui transforme profondément le suivi médical des patients. Basée sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, la solution collecte automatiquement les données des patients en cours de traitement et les structures pour les restituer ensuite de manière intelligente et – intelligible – aux soignants.

Gain de temps et d’efficacité

Data scientist de formation et fils de médecins, Pierre Hornus est parti d’un constat simple alors qu’il travaillait pour l’Assurance maladie sur ses données. « Il y avait un écart important entre les données disponibles sur les patients et ce à quoi avaient accès les médecins », explique-t-il. Pourtant, l’Assurance Maladie dispose de très nombreuses données puisque c’est elle qui rembourse les médicaments ou paie les actes médicaux.

Avec un peu d’intelligence artificielle, il nous est apparu que l’on pouvait utiliser ces données de facturation, mais aussi les actes de biologie, pour en faire des données médicales utiles pour le médecin. »

Au-delà de réunir et de rendre lisibles des données qui ne le sont pas toujours, la plateforme génère également des notifications. « En fonction de la pathologie, du médecin qui les consulte, qu’il soit psychiatre ou néphrologue, l’outil génère des alertes lorsqu’il y a un écart à la norme », poursuit Pierre Hornus. C’est le cas par exemple lorsqu’un patient atteint d’un cancer n’est pas allé chercher son traitement à la pharmacie depuis trois mois, ou bien lorsque les constantes biologiques d’une personne qui a des problèmes rénaux commencent à s’écarter de la norme.

Avec à la clé pour les médecins, un gain de temps et d’efficacité, les éventuelles altérations de l’état de santé du patient étant détectées plus précocement ; et pour le patient, un meilleur suivi. Comme le reconnait le Dr Dorra Kanoun, vice-présidente de l’Institut du Sein du Grand Toulouse, qui suit aujourd’hui près de 2 000 patientes atteintes du cancer du sein, grâce à l’application OncoWise. « Elle nous permet d’automatiser le suivi du parcours des patientes et ainsi de nous concentrer sur l’écoute et l’accompagnement de ces dernières », détaille-t-elle.

La néphrologie et le cancer du sein ont été les premières pathologies abordées par l’équipe de Sêmeia. Les premiers déploiements importants de l’application datent de 2020. Avec des résultats extrêmement concluants au point que, note Pierre Hornus, « pour certaines équipes médicales, c’est devenu un outil de base de leur fonctionnement ».

Remboursement depuis le 1er juillet

Pierre Hornus, CEO de Sêmeia, ici au dernier salon Viva Technology (© Sêmeia).

Autre motif de satisfaction, depuis juillet 2023, l’Assurance Maladie prend en charge l’utilisation de ce dispositif de télésurveillance prescrit par le médecin dans quatre pathologies : la néphrologie (un domaine dans lequel Sêmeia est aujourd’hui en France un des leaders), l’insuffisance cardiaque, les maladies respiratoires et certains types de diabète

Un montant forfaitaire nous est versé par patient ainsi qu’au médecin en charge du télésuivi. Jusque-là, nous étions dans une phase expérimentale : le remboursement pouvait cesser. Aujourd’hui, il est pérenne. »

L’Assurance Maladie garde cependant la main sur les tarifs, elle peut donc les modifier. « Dans l’accord signé, il est d’ailleurs prévu que les tarifs baissent en fonction du nombre total de patients télésurveillés », précise Pierre Hornus. Aujourd’hui près de 10 000 patients sont suivis grâce à la plateforme de télésuivi de Sêmeia, dont 2 500 femmes atteintes du cancer du sein, à Toulouse, Bordeaux et Paris, via l’application OncoWise.

La jeune pousse, qui emploie aujourd’hui 35 personnes à Toulouse et une quinzaine en région parisienne, a enchainé deux levées de fonds en 2020 et 2022 auprès de la Banque des Territoires (groupe Caisse des Dépôts), d’Orange et de Malakoff Mederic, pour un total de 8 M€. Elle travaille aujourd’hui sur d’autres pathologies, telles que les AVC et le diabète.

Nous attendons la validation du remboursement pour l’oncologie et le diabète de type 2, précise le dirigeant. Et nous avons également des contrats expérimentaux avec l’Assurance Maladie pour la psychiatrie et pour le suivi de greffes d’organes (poumon, cœur et foie). »

L’autre enjeu, outre l’extension des cas de prise en charge, est de passer de l’hôpital à la médecine de ville, auprès des spécialistes et des généralistes. Mais dans ce cas, « l’étendue des pathologies traitées est beaucoup plus large. Si nous envoyons toutes les données disponibles sur un patient, le généraliste risque de s’y perdre. Il nous faut donc organiser, trier ces données, trouver comment attirer son attention sur celles qui posent problème, comment détecter la pathologie et, en fonction, afficher au généraliste les données liées. C’est un travail de R&D très important qui, pour nous, peut changer l’approche de la médecine de ville en France », conclut Pierre Hornus.

La mise en place des assistants médicaux projetée par le gouvernement pourrait, selon lui, également contribuer à l’essor de la télésurveillance.