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Comment Prodigy Agency est devenue l’une des agences de représentation de joueurs esport les plus influentes au monde

Interview. Dans le monde de l’esport il y a les joueurs bien sûr, mais aussi ceux qui les représentent. Créée à Toulouse en 2019 par Jérôme Coupez, Prodigy Agency fait partie des acteurs majeurs du secteur. Elle développe les intérêts, les carrières et la performance de plus de 200 gamers et a enregistré en 2023 un chiffre d’affaires de 4 M€.

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Photo de Mathieu Herbault
Prodigy Agency représente 200 joueurs(ses), parmi lesquels le Français Mathieu Herbault, alias « Zywoo », qui a été élu pour la troisième fois meilleur joueur du monde sur le jeu vidéo Counter-Strike. Ou encore le Canadien TenZ, suivi par plus de 10 millions de personnes sur ses réseaux sociaux. (©Vakarm)

Encore méconnu du grand public et victime de nombreuses idées reçues, l’esport désigne le monde des compétitions de jeux vidéo. Il peut se jouer en solo ou en équipe, à distance ou dans des arènes devant des dizaines de milliers de spectateurs lors d’événements appelés « LANs », mais il se pratique toujours en réseau contre de vrais joueurs.

Loin d’être un secteur de niche, l’industrie du « sport électronique » connaît depuis plusieurs années une croissance insolente. Le marché – dont la valeur globale était estimée à plus d’1,7 Md$ en 2023 – fait même partie des grands gagnants de la crise sanitaire et de ses multiples confinements. L’engouement pour cette discipline n’est depuis pas retombé, bien au contraire. Et la France ne fait pas exception avec des revenus évalués l’année dernière à 150 M$ (croissance de 37 % attendue d’ici 2027).

Une vingtaine de collaborateurs dans le monde

Comme le souligne une étude publiée le 7 mars 2024 par l’institut Statista, le développement économique de la pratique esport, avec notamment l’arrivée massive d’investisseurs, a accéléré sa professionnalisation. « Les joueurs ne dépendent plus uniquement des gains des tournois pour leurs rentrées d’argent : ils ont désormais des salaires versés directement par leurs équipes », auxquels s’ajoutent les revenus publicitaires et les revenus issus de partenariats avec différentes marques. À l’image des joueurs de foot ou de rugby, ces professionnels de l’esport sont aujourd’hui représentés par des agents.

Et cocorico, l’une des plus importantes et influentes agences de représentation de joueurs esport est toulousaine. Elle s’appelle Prodigy Agency et a été fondée en 2019 par Jérôme Coupez, un ancien joueur (Counter-Strike) qui a longtemps travaillé dans le sport de haut niveau, notamment en Formule 1. Installée dans le quartier Basso Combo, l’agence représente environ 200 joueurs(ses) en France et à l’étranger, dont Mathieu Herbaut alias « Zywoo », élu pour la troisième fois meilleur joueur du monde sur le jeu vidéo Counter-Strike. La société compte plus d’une vingtaine de collaborateurs dans le monde entier, dont une quinzaine dans l’Hexagone.

Une levée de fonds de 1 M€ en 2020

Photo de Jérôme Coupez et Manon Lagarrigue aux côtés d'Alexis Bernier
Jérôme Coupez (à gauche) et Manon Lagarrigue, les co-fondateurs de Prodigy Agency aux côtés d’Alexis Bernier, alias Zen, champion du monde 2023 de Rocket League. (Prodigy Agency)

Prodigy Agency est une société de gestion de carrière pour les joueurs esport, mais encore ? Quels services proposez-vous à vos clients ?
Jérôme Coupez, PDG : « Prodigy Agency représente aujourd’hui les meilleurs joueurs de jeux vidéo au monde, les équivalents d’un Lionel Messi ou d’un Kylian Mbappé mais sur écrans. Nos équipes les accompagnent eux, ainsi que leurs familles, sur tous les aspects, en direct ou via des partenaires, avec évidemment une expertise centrale autour de la gestion de carrière (trouver des équipes, négocier les meilleurs contrats, etc.) mais pas uniquement. Nous les conseillons aussi en matière de gestion d’image, de sponsoring, de patrimoine, de développement de contenu et leur proposons un soutien psychologique. Notre objectif est de permettre aux joueurs de se concentrer sur le plus important : jouer, performer et gagner. Nous nous occupons du reste. »

En 2023, vous avez annoncé un chiffre d’affaires de 4 M€, contre 3 M€ en 2022, et 1 M€ en 2020. Comment avez-vous financé votre croissance ? Pour quelle stratégie de développement avez-vous opté ?
Jérôme Coupez : « Nous avons connu une croissance très rapide qui nous a permis de gagner en visibilité et donc de susciter l’intérêt de nombreux investisseurs, en France et à l’étranger. Et même si cela ne faisait pas partie de notre stratégie initiale, nous avons réalisé en décembre 2020 une levée de fonds de plus d’1 M€ auprès de Trust Esport, un fonds d’investissement français spécialisé dans l’esport et dirigé par Matthieu Dallon, un pionnier du secteur. Ce tour de table nous a permis de mettre en place une véritable stratégie d’implantation à travers le monde, de nous positionner sur tous les jeux et donc d’accélérer notre développement avec le recrutement d’experts dans chaque domaine (agents, marketing, partenariats, etc.). Désormais, nous visons la profitabilité qui doit nous permettre de nous autofinancer et d’être pérenne sur le long terme, ce que nous devrions atteindre dès 2024. »

Quelles sont vos sources de revenus ?
Jérôme Coupez : « Prodigy Agency dispose de différentes sources de revenues liées à ses différentes activités et prestations de services pour les joueurs. On retrouve notamment deux verticales principales : la commission sur le salaire des joueurs, qu’il s’agisse des montants fixes ou variables selon les performances, ainsi que la commission sur les opportunités commerciales (partenariats, sponsorings, commercialisation de la marque des joueurs, lancement de produits dérivés, création de contenu et monétisation, etc.) »

Alors que le marché mondial de l’esport devrait atteindre 5,27 Md$ d’ici 2029, quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
Jérôme Coupez : « Notre ambition est bien sûr de continuer à se développer en poursuivant notamment notre stratégie de diversification. Condition sine qua non pour assurer notre place de numéro un mondial dans la représentation de joueurs esports. Nous avons par exemple en projet la création de produits vendus sous la marque de nos joueurs (tapis de souris, souris, claviers…) que nous développons nous-mêmes avec nos ingénieurs ou en collaboration avec d’autres partenaires. Dans les mois à venir, nous allons également intensifier notre présence en Asie, et plus particulièrement en Corée du Sud, pays pionnier de l’esport. Autres objectifs, se positionner sur d’autres jeux et ceux à venir. »

Enfin, que répondez-vous à ceux qui affirment que les joueurs d’esports professionnels ne sont pas des athlètes de haut niveau mais juste des « geeks » ? Et que donc l’esport n’est pas vraiment un sport ?
Jérôme Coupez : « Ce sont de simples clichés. Les joueurs professionnels d’esports sont aujourd’hui des athlètes de haut niveau à part entière. Simplement, il ne leur est pas demandé les mêmes qualités athlétiques qu’un sportif traditionnel. Les qualités neuro-cognitives sont cruciales pour être un bon joueur d’esport. Il faut en effet faire preuve de réactivité, de concentration, d’endurance et être capable d’assimiler des dizaines d’informations en même temps. Certains matchs sont joués devant plus de 10 000 spectateurs, au milieu d’une foule en délire, et peuvent durer de trois à cinq heures. Cela demande donc de l’entraînement pour gérer tout ceci et performer à son maximum. D’ailleurs, les joueurs sont de plus en plus accompagnés par des nutritionnistes, des préparateurs physique et mentaux ainsi que des coachs sportifs pour les aider à garder un mode de vie sain et équilibré. »