Collectivités

Très fortement subventionnées, les stations des Pyrénées sommées de se diversifier

Prospective. Subventionnées à hauteur d’un quart de leur chiffre d’affaires soit plus de 25 M€ par an, les stations de montagne des Pyrénées sont fortement dépendantes des fonds publics. Des aides qui, selon la Chambre régionale des comptes, pourraient être mieux employées, notamment pour soutenir les stratégies d’adaptation au changement climatique.

Lecture 10 min
Photo de remontée mécanique
Selon les données du comité régional du tourisme d’Occitanie, en 2019, près de 62 % de la fréquentation en montagne occitane a lieu l’été et 38 % l’hiver (©Pixabay).

Hausse des températures annuelles, baisse de l’enneigement, raréfaction de la ressources en eau, érosion de la clientèle de skieurs, concurrence internationale, gouvernance atomisée, forte dépendance aux financements publics… Dans son rapport sur l’adaptation des stations de montagne au changement climatique publié le 6 février 2024, la Cour des comptes alerte sur leur extrême fragilité. Au point que « la viabilité économique d’un grand nombre de ces stations de montagne est d’ores et déjà fortement compromise à court terme », écrit la juridiction financière.

Les stations des Pyrénées sont à peine mieux loties, à en croire la Chambre régionale des comptes (CRC) d’Occitanie qui a participé à cette grande enquête nationale. Pour l’occasion, elle a mené des contrôles sur 17 des 38 domaines skiables des Pyrénées françaises. Marquées par une population vieillissante, un parc immobilier dégradé et particulièrement exposées au changement climatique, les stations occitanes doivent, selon la chambre, accélérer leurs efforts de diversification pour tendre vers un tourisme dit quatre saisons. Et force est de constater que si, dans les Pyrénées, cette diversification est en marche, elle n’est pas à la hauteur des défis à relever.

Un déni de réalité

En premier lieu parce que tous les acteurs n’ont pas pris la mesure de l’enjeu. « Nous avons constaté un certain déni parmi les gestionnaires de stations, déplore Valérie Renet, présidente de la CRC d’Occitanie, qui a présenté le 13 mars 2024 à Toulouse, le résultats de ces travaux. Il y a certainement une prise de conscience, mais on ne sent pas encore la volonté de prendre en compte toutes ces données ».

Elle en veut pour preuve les prévisions d’activité très optimistes de la station de Font-Romeu Pyrénées 2000 (66) qui table sur « une clientèle stable sur 25 ans. Or, on peut considérer que cette prévision est à risque, à la fois en raison des perspectives d’enneigement et aussi du fait de la chute du nombre des skieurs. » En dix ans, cinq millions de journées skieurs ont en effet été perdus à l’échelon national, pointe la juridiction qui parle d’un « vieillissement des skieurs  » et d’une « absence de renouvellement des générations ».

Une multitude d’acteurs

Alors que la concurrence internationale (en Espagne et en Andorre notamment, mais aussi en Italie) tend vers la constitution de grands ensembles intégrés, un des freins à l’adaptation des stations pyrénéennes au changement climatique est le morcellement des structures. Malheureusement, «  on raisonne souvent à l’échelon de la commune, un périmètre beaucoup trop petit, relève Hervé Bournoville, président de section au sein de la CRC d’Occitanie. Il serait plus efficace de construire les projets sur des ensembles plus vastes de telle sorte que les collectivités ne se fassent pas concurrence : au niveau de l’espace valléen ou à l’échelle d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un département ».

Cette concertation permettrait de « proposer un bouquet d’offres compétitives car combinées et coordonnées au sein d’un territoire. » Et d’éviter que chacune dans son coin construise une piste de luge qui, faute de visibilité au plan régional ou national, peine à trouver sa rentabilité.

« La majorité des collectivités reste encore sur une logique où la diversification est accessoire par rapport à l’activité ski, ajoute de son côté Nicolas Parneix, premier conseiller de la CRC d’Occitanie. Il faut vraiment que le risque climatique soit d’avantage pris en compte et que l’avenir des stations soit construit sur des modèles économiques un peu plus solides et réalistes ».

De l’argent public mal ciblé

L’enquête menée par la Cour des comptes et les chambres régionales met également en lumière le poids de la manne publique dans l’économie des stations de montagne, voire leur dépendance à son égard. À l’échelle nationale, les magistrats financiers chiffrent à 124 M€ le montant des subventions distribuées aux opérateurs des remontées mécaniques, ce qui représente 23 % du chiffre d’affaires global des stations. Dans les Pyrénées, sur 100 M€ de CA généré au titre de l’activité ski, les subventions publiques en représentent un quart, soit 25,5 M€.

Qui plus est, ajoute Valérie Renet :« Du fait de la multiplicité des acteurs, les financements sont saupoudrés (État, Région, Départements, communes…). L’action publique devrait être davantage pilotée et mise en cohérence. » La chambre régionale des comptes salue toutefois le rôle moteur joué par la Région« Depuis 2016, elle s’est dotée d’une politique montagne avec un fléchage des financements à travers différents plans, pour développer et soutenir les stations de montagne ». Au total, la chambre évalue à 43,3 M € le niveau d’intervention régionale au cours de la période 2018-2022. Pour autant, ajoute la présidente :

Cette politique d’attribution des aides régionales devrait être mieux ciblée. On constate en effet que la Région attribue ces aides quelle que soit la situation de la station au regard du changement climatique et donc y compris aux stations dont la pérennité n’est pas assurée. »

Autre paradoxe : alors que la Région s’est fixée pour objectif de ne pas investir dans la neige de culture, sur le terrain, les subventions régionales ont pu parfois servir au développement de parcs d’enneigeurs, notamment au Grand Tourmalet (65), « y compris dans des zones où ces équipements pourraient ne plus être utiles à court terme comme à Cambre-d’Aze (66) », lit-on dans le rapport de la cour.

Besoin de cohérence

La présidente de la CRC d’Occitanie se veut toutefois rassurante. Rappelant que « d’autres formes de tourismes préexistaient au ski dans le massif des Pyrénées », elle cite notamment les données du comité régional du tourisme d’Occitanie selon lesquelles, en 2019, près de 62 % de la fréquentation en montagne occitane a lieu l’été et 38 % l’hiver. Et Valérie Renet de conclure :

C’est une spécificité du massif et un atout. Cela doit encourager les stations à une diversification vers un tourisme quatre saisons qui exploite l’hiver et l’été ainsi que les ailes de saison. Les Pyrénées ont une carte à jouer aussi dans ce domaine. L’autre atout, c’est le volontarisme de la Région avec la possibilité de financer la diversification, d’accompagner les stations en fonction de leur vulnérabilité vers un modèle qui tienne la route. »

Indice de vulnérabilité élevé

Les juridictions financières ont établi une classification des stations selon le risque auxquelles elles sont exposées. Cet indice de vulnérabilité prend en compte le poids économique de la station, la surface financière de l’autorité organisatrice et le niveau d’exposition au changement climatique de la station. Les stations des Pyrénées dans leur ensemble occupent une « position intermédiaire » au regard de cet indice de vulnérabilité. Elles se situent ainsi entre les grandes stations des Alpes qui obtiennent les scores les plus bas (0,83 pour Tignes, 0,90 pour Val Thorens, 1,05 pour Val d’Isère, etc.) et celles des Alpes du sud, dont les scores sont parmi les plus élevés, telle Roubion-les-Buisses, dans les Alpes-Maritimes affectée d’un score de 30,56.

En Occitanie, avec des scores de 11,11 pour Formiguères, 16,30 pour Font Romeu, les stations des Pyrénées-Atlantiques se révèlent plus vulnérables que leurs consœurs des Hautes-Pyrénées (3,76 pour Piau Engaly, 5,67 pour Cauterets, 6,33 pour Saint-Lary, 8 pour le Grand Tourmalet, etc). Peyragudes a toutefois une place à part : la station des Hautes-Pyrénées figure parmi les 10 stations présentant l’indice de vulnérabilité le plus élevé de France avec un score de 24,56.