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Droit à congés pendant un arrêt de travail : la Cour de cassation a tranché. Et après ?

Ressources humaines. La haute juridiction a rendu le 13 septembre 2023 plusieurs arrêts dans lesquels elle améliore les droits des salariés aux congés payés. Le groupe de travail Social de Walter France, réseau de cabinets d’expertise comptable, en explique les applications pratiques pour les entreprises et leurs salariés.

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Toutes les entreprises relevant du droit du travail français sont concernées par ces arrêts de la Cour de cassation et ont dû, normalement, s’y conformer dès le dernier trimestre 2023 (©Pixabay).

C’est peu de dire que les organisations patronales sont vent debout con­tre les arrêts rendus à l’automne dernier par la Cour de cassation. Ils imposent en effet aux employeurs d’appliquer les règles suivantes : le salarié acquiert des congés payés lorsqu’il est malade, quelles que soient la durée et l’origine de l’arrêt, et la prescription de ce droit de trois ans ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ce droit c’est-à-dire en l’informant.
Le Medef s’inquiète « des conséquences extrêmement pénalisantes » que cette jurisprudence pourrait avoir pour les entreprises. De son côté, la CPME chiffre de 2 à plus de 3 Mds€ par an le coût supplémentaire pour les entreprises. Tous deux ont entrepris des démarches auprès du gouvernement afin de trouver des solutions pour limiter l’impact de ces décisions. En attendant qu’elles aboutissent, il n’est pas inutile de rappeler les fondements de cette jurisprudence.

Ainsi, l’Union européenne impose à tous les États mem­bres de prendre «  les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». La Cour de Justice de l’Union Européenne en 2012 avait déjà sanctionné l’État français en raison de la non-conformité de notre droit national à la directive européenne.
Par ailleurs, la Charte des droits fondamentaux de l’Union prévoit notamment que tout travailleur a droit à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. Ce texte est un des fondements principaux sur lesquels s’est appuyée la Cour de cassation pour écarter l’application des dispositions du droit français.
Les dispositions contestées dans les décisions étaient les suivantes :

  • Selon le droit français, un salarié atteint d’une maladie non-professionnelle ne pouvait acquérir de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail ;
  • Par ailleurs, l’acquisition de congés payés devait être limitée à une seule année de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;
  • Enfin, était également remis en cause le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés.

La Cour de cassation a mis définitivement fin à ces non-conformités

La haute juridiction considère désormais que :

  • Les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non), doivent acquérir des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler – selon le droit de l’Union européenne, l’arrêt de travail étant indépendant de la volonté du salarié, il ne peut avoir d’impact sur le calcul des droits à congés payés ;
  • En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an – et doit pouvoir bénéficier d’un droit à congés payés couvrant l’intégralité de son arrêt de travail.

Délai de prescription

Si les droits à congés payés sont assimilés à des créances salariales et se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de la période où ils auraient dû être pris, la Cour de cassation a restreint la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la prescription en la matière.
La prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile. L’employeur, confronté à une demande de rappel de congés, ne peut donc invoquer la prescription triennale que s’il justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent pour mettre le salarié en mesure de prendre ses congés. Ce qui, par définition, semble difficile voire impossible pour le passé.

Quelles conséquences pour les entreprises ?

Toutes les entreprises relevant du droit du travail français sont concernées par ces décisions et ont dû, normalement, s’y conformer dès le dernier trimestre 2023.
Pour le passé, les services de ressources humaines risquent d’être confrontés à des demandes de régularisation de la part de salariés ou d’anciens salariés ayant vu leur droit à congés annuels limités en raison d’un arrêt maladie ou d’un arrêt accident du travail supérieur à un an.
On peut également s’interroger sur l’impact particulier de ces décisions dans les professions pour lesquelles les congés payés sont gérés et mutualisés par le biais d’un système de caisses. Un récent flash info de la caisse congés intempéries du BTP sur le sujet annonce que « la décision fait l’objet de nombreuses analyses de la part des professionnels du droit en général et des experts du réseau CIBTP en particulier, en lien avec les pouvoirs publics et les organisations professionnelles » et explique « qu’en l’état, les effets concrets et les modalités d’application de ces évolutions du régime juridique sont en cours d’évaluation ».

Dans l’attente de nouvelles décisions de la Cour de cassation et d’une hypothétique mais fortement souhaitée intervention de l’exécutif ou des branches professionnelles (le 30 novembre 2023, Élisabeth Borne avait annoncé pour la fin du premier trimestre 2024 une mise en conformité du droit français mais en réduisant « au maximum l’impact pour les entreprises »), demeurent un grand nombre de questions qui ne manqueront pas d’occuper les entreprises et les praticiens, voire les juridictions sociales, dans les prochains mois.
En tout état de cause, ces arrêts d’une grande importance pratique peuvent représenter un coût financier important pour les entreprises qu’il peut s’avérer judicieux d’évaluer sans attendre.