Esclarmonde Léger Alibert
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Esclarmonde Léger Alibert

La volonté d’entreprendre au féminin.

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Photo d'Esclarmonde Leger Alibert
A la tête de CPI Consultant, Esclarmonde Leger Alibert est la fondatrice de Legallys (© Bpifrance).

À la tête du cabinet CPI Consultant depuis 2010, Esclarmonde Léger Alibert est aussi la fondatrice de Legallys, un éditeur de logiciel toulousain. Créée en 2023, la start-up est spécialisée dans la rédaction des règlements de copropriété et des états descriptifs de division pour les professionnels. À 47 ans, elle vient d’être désignée lauréate, pour la Haute-Garonne, du concours « 101 Femmes Entrepreneures  ». L’occasion pour l’intéressée de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur.

L’envie d’être libre

« J’ai toujours été un très bon petit soldat pour les structures dans lesquelles j’ai exercé, se souvient la quadra. Pourtant, c’est comme si je ne me sentais pas à ma place. Au lycée, je répondais déjà que je voulais avoir ma propre affaire. En fait, j’ai depuis longtemps l’envie d’être libre ». Depuis, cette mère de deux enfants l’assure : dépasser ses peurs a toujours été son moteur, une sorte de fil rouge dans sa trajectoire professionnelle.

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la cheffe d’entreprise a été reçue à Matignon pour la remise des prix du concours organisé par le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, avec l’appui de Bpifrance. Il a pour objectif de valoriser 101 femmes entrepreneures sur l’ensemble du territoire français et pourquoi pas de susciter des vocations ?

Rôle modèle

« Je suis très fière d’être lauréate du concours et de porter haut les couleurs de la Haute-Garonne, affirme Esclarmonde Léger Alibert. Cette récompense renforce l’objectif de mes associées et moi-même d’asseoir notre notoriété en Occitanie et de mettre en lumière nos ambitions nationales, se réjouit-elle. Au travers de cette distinction, j’espère inciter d’autres femmes à entreprendre ! »

Une expérience qui lui a donné le goût du mentorat. Et la quadra d’ajouter :

« À l’occasion de cette journée singulière, j’ai rencontré beaucoup de femmes entrepreneures dans des domaines variés. Je trouve malheureusement qu’elles doutent encore beaucoup de leurs capacités, elles sont plus enclines à se sous-estimer et sont plus touchées par le syndrome de l’imposteur. Elles n’osent pas assez. Or, le frein pour passer le cap ou aller plus loin se trouve souvent en elles ».

À la tête de deux entreprises, Esclarmonde Léger Alibert affiche de belles ambitions. Gérante d’un cabinet de rédaction de règlements de copropriété depuis 14 ans et forte d’une expertise juridique significative dans ce domaine, elle a créé en janvier 2023 une legaltech qui automatise la rédaction des règlements de copropriété et des états descriptifs de division. « Cette tâche est souvent laborieuse, avec des heures d’adaptation des matrices à la copropriété, des calculs peu automatisés sources d’erreurs et un contexte législatif en constante évolution, détaille la cheffe d’entreprise. Cette complexité entrave l’efficacité des rédacteurs professionnels que sont les géomètres, les notaires ou les cabinets tels que le mien, qui se trouvent contraints de consacrer un temps précieux à des tâches sans valeur ajoutée ».

La jeune femme a alors cherché sur le marché un outil qui lui permette de gagner du temps, mais faute de trouver une solution adaptée à ses besoins, elle a décidé de développer sa propre solution. « La legaltech s’est réveillée un peu tard sur le sujet, les éditeurs de logiciels s’étant davantage tournés vers l’open data ou la rédaction de statuts de société, constate-t-elle. Avec Legallys, nous voulons révolutionner la manière de rédiger les règlements de copropriété. » Résultat : la rédaction prend deux fois moins de temps. Et Esclarmonde Léger Alibert d’ajouter :

Nous souhaitons développer de nouvelles fonctionnalités car les demandes affluent. »

Être bien accompagnée

Pour entamer ce nouveau virage, la quadra, qui a récemment intégré la French Tech, a bénéficié du soutien du programme Go de l’incubateur Les Premières Occitanie. « Au départ, je voulais me lancer dans cette aventure en duo. Mais l’incubateur m’a conseillée de m’entourer davantage, ce que j’ai entendu. En effet, il aurait été plus difficile de faire avancer et grandir les deux structures en parallèle. Être accompagnée et savoir s’entourer est une force pour tous les porteurs de projets, et notamment les femmes qui veulent se lancer. »

Cette aveyronnaise née d’une mère professeure d’anglais et d’un père cadre chez EDF a pris le chemin de la fac de droit par défaut. « Je ne voulais pas m’orienter vers la science ni les études littéraires. Alors j’ai opté pour le droit et j’ai adoré ! », lance-t-elle dans un sourire. Après quatre ans à Montpellier, elle traverse la Manche pour sa dernière année d’études, à l’université de Newcastle, où elle se frotte au droit public international. Lors de son cursus, elle réalise différents stages : à Londres, à Miami, à Paris… « Je souhaitais m’ouvrir au monde, mais avec le recul, je pense qu’il s’agissait d’une projection familiale. J’ai appris l’anglais avec ma mère. Pour elle, le fait de voyager, de parler plusieurs langues et d’avoir des expériences à l’étranger était primordial. » En parallèle, l’étudiante passe un diplôme universitaire (DU) en sciences politiques.

Femme de conciliation, elle ne s’imagine pas porter la robe d’avocate mais plutôt devenir magistrate. Elle suit alors une année de préparation au concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature qui se solde par un échec. « J’ai cependant beaucoup appris. Je suis devenue une juriste complète, avec une vision globale. »

Juriste multitâche

Diplômes en poche, la jeune femme devient juriste « multitâche » pour le groupe bordelais Triangle Investissements. Le monde de l’immobilier deviendra le sien. « Cette expérience a été formidable et marquante car j’ai travaillé pour une des rares femmes promoteurs à Bordeaux. Une femme puissante qui savait mener sa barque même s’il s’agissait d’une petite structure. Avec le recul, si j’ai osé entreprendre, c’est aussi grâce à elle ».

Dans le même temps, Esclarmonde Léger Alibert rencontre celui qui deviendra son mari. Le couple pose ses valises dans la Ville rose et ne la quittera plus. Responsable des acquisitions foncières chez le promoteur toulousain Monné Decroix, la jeune femme bénéficie de l’expérience d’un visionnaire, l’inventeur des fameuses résidences éponyme, « une figure de l’immobilier, un mentor. Avec lui, il fallait être efficace. »

Deux ans plus tard, elle est chassée par un cabinet de recrutement. Elle prend alors, pendant quatre ans, la responsabilité d’un service juridique chez Tagerim Promotion. « Je gérais une équipe de six collaborateurs, mais je n’y trouvais pas vraiment mon compte. Le management, à l’époque, ne résonnait pas en moi. » Un jour pourtant sa vie bascule. Ainsi se souvient la quadra :

J’ai reçu un coup de fil qui a changé ma vie. Le gérant du cabinet CPI Consultant, avec lequel tous les promoteurs collaboraient, cherchait un repreneur. Je savais interpréter mais pas rédiger des règlements de copropriété. Qu’importe, j’ai saisi l’opportunité. Il m’a formé pendant six mois. »

La trentenaire qui devient maman pour la deuxième fois travaille sans relâche pendant trois ans afin d’abord de consolider la clientèle, puis de la faire grossir. « Une aventure qui n’aurait pas été possible sans l’aide de mon mari. D’ailleurs, j’ai refusé qu’il se porte caution. J’ai dû batailler sur les dossiers de financements, mais c’était pour moi important de faire ça seule… On dit que, derrière le succès d’un homme se cache une femme, mais l’inverse est aussi très vrai », conclut cette passionnée.