Claire Roserot de Melin
Invités / Entretiens

Claire Roserot de Melin

L’âme du collectif.

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Photo de Claire Roserot de Melin
(Crédit : PIERRE BETEILLE)

Pour rencontrer la directrice générale de l’Établissement public du Capitole, il faut plonger de l’autre côté du miroir, côté coulisses. Arpenter les couloirs d’ordinaire réservés aux équipes et aux artistes, avec, si la (mal) chance est avec vous, le bonheur de vous perdre et de tomber sur des danseurs du corps de ballet en pleine répétition.

Le bureau de Claire Roserot de Melin se trouve deux étages plus haut. Grand et lumineux, avec une hauteur sous plafond démesurée, il offre une vue imprenable sur le square Charles de Gaulle. Toujours entre deux réunions, c’est les bras chargés de dossiers que la responsable des lieux arrive pour l’interview.

Une heure plus tard, l’entretien est à peine terminé qu’elle doit déjà repartir. Un autre rendez-vous l’attend. Jongler entre plusieurs impératifs c’est son quotidien et ce n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire. Claire Roserot de Melin a en effet une âme de leader et ce, depuis toujours. C’est d’ailleurs cette appétence pour piloter et mener à bien des projets qui lui a permis de gravir les échelons.

Vite, très vite. Hautboïste de talent diplômée du Conservatoire de Saint-Étienne, c’est en passant les concours d’entrée dans les orchestres que « jeme suis rendue compte que je prenais plus de plaisir à organiser des concerts qu’à les donner. Il m’a fallu deux ans pour le reconnaître et puis surtout accepter de l’assumer vis-à-vis de mon entourage, notamment celui du conservatoire parce que quand vous faites partie des bons élèves il y a beaucoup d’attente autour de vous. »

Une préférence pour les coulisses

Elle a 20 ans quand elle prend la décision de changer de voie… enfin pas totalement. « Je voulais rester dans le milieu de la musique mais pas être sur le devant de la scène, plutôt en coulisses. » Brillante, elle passe de nombreux con cours et est reçue partout. Alors amoureuse, elle écoute son coeur est pose finalement ses valises à Dijon où elle intègre un institut universitaire professionnel.

Une formation de trois ans en alternance où elle apprend la gestion, le management et l’administration des entreprises culturelles. Si les débuts de sa vie à la fac sont difficiles, assise toute la journée derrière un bureau, « j’ai compensé en jouant trois heures de hautbois tous les soirs dans ma petite chambre d’étudiante. Je m’en souviens encore très bien, mes voisins aussi sûrement », se remémore amusée Claire Roserot de Melin.

Et de poursuivre : « Tout a changé une fois que je me suis retrouvée sur le terrain en stage, puis comme bénévole tous les étés dans des festivals. » Ces différentes expériences lui permettent de découvrir et d’appréhender les innombrables métiers du secteur culturel.

Confortée dans son choix de carrière, elle décide à 23 ans de poursuivre ses études avec un master en administration de la musique à la Sorbonne, à Paris. « J’ai fait mon alternance à l’Opéra de Paris. C’était une expérience extraordinaire. J’en garde encore le souvenir d’un fourmillement. Une espèce d’énergie créatrice constante absolument incroyable. »

À 24 ans, son master en poche, elle entre sur le marché du travail et décroche très rapidement deux propositions : un poste de gestion à l’Opéra de Paris et un poste de chargée de production aux Percussions Claviers de Lyon, un petit ensemble.

« J’ai demandé conseil auprès d’un ancien professeur qui a beaucoup compté pour moi.

« Il m’a dit : “pour prétendre être un jour un gros rouage dans une grande institution, il faut d’abord être un gros rouage dans une petite institution”. Un super conseil que je donne encore aujourd’hui aux jeunes que je rencontre. »

De grandes responsabilités pour une petite entreprise

Désormais en poste à Lyon, elle a pour mission de gérer l’organisation des répétitions et des tournées du groupe, leurs contrats de travail… « J’ai adoré l’équipe et le projet artistique même si je ne gagnais pas un rond ! Mais très vite, j’ai vu passer une annonce pour une compagnie lyrique à Besançon où j’ai candidaté pour le poste d’administratrice et de secrétaire générale. »

Nouvelle vie, nouveau challenge. Pendant deux ans, Claire Roserot de Melin à la lourde responsabilité de remettre sur les bons rails cette compagnie qui, bien que réputée, est en délicatesse avec la Drac. « Ça a été une expérience hyper riche. Je me suis retrouvée tout de suite dans une vision stratégique des choses : comment relancer la compagnie ? Quel poste on recrute ? L’idée était vraiment de repartir d’une page blanche. »

Et alors qu’elle adore sa vie à Besançon, elle voit passer une annonce pour un poste de directrice des formations musicales (choeur et orchestre) à l’Opéra de Rouen. Le job de ses rêves. Malgré sa jeunesse et son manque d’expérience, elle finit par candidater, poussée notamment par Laurence Lamberger-Cohen, la directrice de la Réunion des Opéras de France, « une femme qui a beaucoup compté dans mon début de carrière », souligne l’intéressée encore reconnaissante. Son audace est récompensée puisque trois mois plus tard, elle prend ses fonctions dans l’équipe de direction et se retrouve en face de 40 musiciens, sans compter les équipes administratives et techniques.

« Quand j’y repense, c’est assez fou d’avoir décroché cette opportunité. D’ailleurs, les personnes en charge du recrutement m’avaient prévenu que c’était un pari de me confier ce poste et j’étais d’accord avec eux. »

Confiante en ses capacités mais loin d’arriver en terrain conquis, elle passe les premiers mois à rencontrer les gens, à observer le fonctionnement de l’institution, ce qui marche et ce qui ne marche pas, comme elle le fera à son arrivée à Toulouse.

« Pour moi, les institutions nous dépassent, il faut donc commencer par s’acculturer à l’endroit où on arrive. À Rouen, mon rôle était vraiment le pilotage de la partie artistique de la maison, la participation et la mise en oeuvre de la programmation et surtout l’encadrement des artistes. J’étais comme un poisson dans l’eau ! Ce qui m’a fait progresser aussi très vite c’est que des membres importants de la direction sont partis quelques mois plus tard après mon arrivée. J’étais encore en période d’essai ! Je me suis donc retrouvée à travailler avec une nouvelle équipe de direction et de facto avec une montée en responsabilité. »

L’arrivée à Toulouse

Dix ans après son arrivée à l’Opéra de Rouen et deux maternités plus tard, l’envie de bouger se fait de plus en plus pressante. Après une première candidature avortée en 2016 à cause d’un impératif familial, elle (re)postule en 2018 pour le poste d’administratrice général du théâtre et de l’orchestre national du Capitole, alors géré en régie directe par Toulouse Métropole.

Elle prend ses fonctions à peine six mois plus tard, le 21 janvier 2019. « Le changement de vie en cours d’année scolaire a été un peu rock’n’roll mais on ne regrette rien », confie Claire Roserot de Melin qui n’avait encore jamais mis les pieds à Toulouse. « Si mon mari connaissait un peu la région, moi pas du tout. Mais quand on aime la musique, Toulouse est une ville qui fait de toute façon rêver. Et puis après dix ans passés en Normandie, le sud, ça attire aussi ! »

Si la réputation de la Maison Capitole n’est plus à faire, la jeune femme arrive dans un contexte tendu avec une feuille de route ambitieuse à remplir et beaucoup de dysfonctionnements à régler.

« Bon nombre d’entre eux étaient liés à notre mode de gouvernance et de gestion. Le fait d’obtenir le label opéra national en 2021 nous a permis de réunir l’opéra et l’orchestre sous une seule et même entité dont je suis devenue la directrice générale. Désormais, nous avons notre propre conseil d’administration. Plus restreint, cet organe permet d’aller plus vite dans la prise de décision et surtout il est centré exclusivement sur des questions portant sur le fonctionnement de l’institution. Mais avant même de travailler sur l’obtention de ce label, ma mission première a été de remettre l’humain au coeur de la Maison Capitole et de fédérer les équipes. Je crois profondément en l’intelligence collective, en la capacité de faire les choses ensemble. Ça n’a pas été tous les jours facile, a fortiori avec le covid qui est arrivé un an après mon arrivée. »

Si Claire Roserot de Melin aime les challenges, elle l’assure : « Je me serais bien passée de celui-ci ! Le cauchemar a duré deux ans pendant lesquels je me suis transformée en épidémiologiste et où l’ARS est devenue ma meilleure amie ! Nous avons passé notre temps à nous réinventer pour continuer à faire vivre coûte que coûte la culture. »

Son obsession et celle de ses équipes : ne pas perdre la relation avec le public. Là encore mission accomplie. L’année dernière l’Établissement public du Capitole a retrouvé non seulement son rythme d’avant crise, « mais nous avons fait mieux avec plus de 150 levées de rideaux, des tournées et plus de 200 000 spectateurs. Nous avons vraiment la chance d’avoir un public de passionnés qui aime la musique et le ballet. »

Et qui aime surtout être saisi par l’émotion. « Avec Christophe Ghristi, le directeur artistique de l’Opéra, Tarmo Peltokoski, le directeur musical de l’Orchestre et Beate Vollack, la directrice de la danse, nous travaillons justement au quotidien pour proposer des programmations marquées par la diversité et l’ouverture avec pour fil rouge : la beauté. Notre rôle - qui est aussi sociétal je le pense sincèrement-, est de faire vivre aux gens un moment d’émotion et de partage. Que cela soit dans une cour d’école avec le bus Figaro devant 200 gamins assis par terre en tailleur ou à la Halle aux Grains avec une standing ovation après un concert de Tugan Sokhiev ou encore au Capitole, après une nouvelle création, c’est la même chose. »

Claire Roserot de Melin est aussi habitée par le sens du collectif et pas seulement au sein des murs de la maison Capitole.

« Lorsque l’on est la plus grosse institution locale et régionale, c’est important de fédérer et d’être moteur de partenariats mais pas uniquement. Cela veut dire aussi être un modèle et une ressource. »

« Nous jouissons d’un niveau d’expertise et de professionnalisme très élevé qui doivent aussi pouvoir bénéficier à tout un tissu local. Être une institution ouverte au service d’un territoire c’est vraiment quelque chose qui me tient à coeur. »