Thierry Pszonka
Invités / Entretiens

Thierry Pszonka

Chef à l’état brut.

Lecture 7 min
Photo de Thierry Pszonka
Thierry Pszonka (Crédit : CLÉMENCE SAHUC)

Thierry Pszonka a gardé un léger accent franccomtois, mais il aurait pu aussi prendre l’accent espagnol. Il faut dire que le chef du restaurant Les Sens à Puylaroque, en Tarn-et-Garonne, a pas mal roulé sa bosse. « J’ai vécu 25 ans dans le territoire de Belfort, le bien manger et le bien vivre, ça me parle, s’enthousiasme le cuisinier. Je suis tombé dans la marmite, mes parents avaient un hôtel restaurant à Giromagny. Papa était chef de cuisine et maman maître d’hôtel. »

À 16 ans, il obtient son CAP en service, il est repéré par un restaurant deux étoiles Michelin à Belfort. « Je devais rester en service, mais mon père, qui pensait déjà à sa succession, m’incitait à me former en cuisine. Si je voulais reprendre l’affaire familiale, je devais avoir plusieurs cordes à mon arc. » Thierry Pszonka enchaînera sur un CAP cuisine chez Jean Crotet, deux étoiles Michelin, à Nuits-Saint-Georges.

« C’était un bel apprentissage, mais je travaillais comme un fou, j’étais considéré comme un ouvrier. Ce n’est pas facile d’être fils de restaurateur, on attend beaucoup de toi. J’appelais ma mère en lui disant, ce n’est pas pour moi ce boulot, ça va se terminer avec des baffes. Elle me disait : tiens le coup, tu as du talent, ne lâche pas. »

Devenu chef de partie, Thierry Pszonka a suivi son patron à l’Hôtellerie de Levernois à Beaune, un Relais Château. « Jean Crotet me disait : on n’est pas des stars, nous sommes des cuisiniers, des artisans du goût. Nous sommes là pour magnifier un produit. Mon père utilisait les légumes du jardin depuis longtemps, mes parents m’ont transmis cette culture de la terre. J’ai un immense respect pour Dame Nature. »

Thierry Pszonka restera trois ans à Beaune puis rejoindra la brigade de Jacques Lameloise à Chagny, un trois étoiles Michelin. « Je retiendrais de ces chefs un formidable esprit d’équipe et beaucoup d’humilité. Ça a façonné toute ma carrière. »

Reprendre l’affaire familiale

En 1993, son père décide de vendre l’hôtel-restaurant, Thierry Pszonka va devoir se retrousser les manches, « pourtant, ce n’était pas mon choix. Je rêvais de travailler avec des chefs comme Robuchon, mais l’expérience a été extraordinaire. J’ai appris à travailler au jardin… Et, on a fait une table fabuleuse, en famille. »

Assoiffé de découvertes, le Franc-comtois décide alors de partir pour le Luxembourg, chez Michel Bering. Puis retour en France pour rejoindre un service de traiteur haut-de-gamme à la Saline royale d’Arc-et-Senans. « C’était la première fois que je dirigeais une brigade de 15 cuisiniers. »

« Sortir de sa zone de confort »

Mais Thierry Pszonka a la bougeotte, il veut découvrir le monde. Comme il sait saisir les opportunités, il part sur le bateau de croisière Le Ponant. « Avec mon caractère très affirmé, j’ai appris à composer, à vivre H 24 avec des gens de cultures différentes, avec des professionnels de la voile, un sacré challenge. »

Ses multiples expériences de cuisine au Costa Rica, au Panama, en Jamaïque ont été un élément déclencheur, une source d’inspiration dans la vie du chef. « Le début de mon expérience humaine, toutes ces rencontres m’ont appris la tolérance, la gentillesse, l’écoute. Et, je me suis dit qu’on était bien petit face à tout ce qui nous entoure. »

Thierry Pszonka rentre en France, mais pas pour très longtemps. Il prend contact avec Jean-Paul Bondoux installé en Argentine et part pour une saison. « En fait, j’y suis resté 12 ans, et pourtant je ne parlais pas espagnol, je connaissais l’Argentine par le foot et la viande. »

Il a fait l’ouverture du premier restaurant français.

« Nous avons été classés parmi les 10 meilleurs restaurants de Buenos Aires. »

Puis, nouveau défi pour le chef téméraire qui s’installe pour six ans à la direction des cuisines du Sofitel à Buenos Aires. La France commençant à lui manquer, le chef revient, loue une moto et réactive son réseau.

« J’ai redécouvert mon pays, je me suis posé près de Cahors pendant cinq ans à la Table de Haute Serre à Cieurac dans le Lot. » Un client lui glisse à l’oreille que le maire d’un petit village du Tarn-et-Garonne cherche un chef pour le restaurant fermé depuis longtemps. « Ce fut l’une des plus belles rencontres de ma carrière, Gilles Valette, un maire engagé qui se bat pour son village. » Thierry Pszonka ouvrira Les Sens en 2016.

L’essentiel est là, à Puylaroque

Le chef est reconnu par de nombreux guides. Il a reçu le Trophée Terroir d’Exception décerné par le Gault & Millau, mais n’a jamais couru après les étoiles. « Un jour une cliente m’a dit : les étoiles, vous les avez dans les yeux de vos clients, pourquoi aller les chercher ? » Entre sa fille Lola, sa compagne Ludivine qui l’a rejoint au restaurant et son équipe, Thierry Pszonka a trouvé son équilibre et sa clientèle. Le chiffre d’affaires est en augmentation chaque année.

Des gourmets viennent de toute la France pour ses plats à la truffe, une véritable cuisine d’émotions. La devise du chef : bien s’entourer et croquer la vie. « C’est simple, si tu ne bouffes pas la vie, elle te bouffe. J’ai trouvé mon port d’attache, ici. Je n’ai pas la nostalgie des grandes villes. C’est tellement superficiel, ce n’est pas moi. Mon plaisir est d’aller chercher les asperges sauvages, respirer l’air pur, me sentir vivant et ne pas avoir besoin du regard des autres pour exister. »