Laurent Granel
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Laurent Granel

Passage de témoin au tribunal de commerce de Toulouse.

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Laurent Granel quittera en janvier la présidence du tribunal de commerce de Toulouse (©La Gazette du Midi).

Après une quinzaine d’années passées comme juge consulaire au sein du tribunal de commerce de Toulouse, dont quatre ans à la présidence de l’institution, Laurent Granel passera le relais en janvier prochain à Philippe Dedieu, son nouveau président. Il fait le bilan de ce mandat fortement marqué par les conséquences de la crise du Covid.

Quel bilan tirez-vous de la période Covid ?
Laurent Granel : Je suis entré en fonction en tant que président le 20 janvier 2020. Le Covid a commencé en mars, cela ne m’a pas laissé beaucoup de répit !

Les juges du tribunal de commerce sont bénévoles, y compris le président. Durant cette période, les juges ont tous été très proactifs. J’ai dû, en effet, rédiger beaucoup de notes et mes collègues n’ont cessé de proposer des solutions afin d’être encore plus efficaces dans notre mission de soutien aux entreprises malgré le distanciel.

Le tribunal n’a donc jamais cessé de fonctionner ?
L. G. : En effet, il n’a jamais été fermé. Cela a permis le développement du travail en visioconférence, à la fois pour les entretiens avec les chefs d’entreprise mais aussi pour les audiences et aussi parfois dans le cadre des délibérés. En période de crise majeure il était impensable de laisser les chefs d’entreprise livrés à eux-mêmes.

Ce que je retiens de cette période, c’est que les juges ont été concernés, passionnés et jamais avares de leur temps. Cela est d’autant plus remarquable que certains mènent de front une activité professionnelle et leur activité au tribunal.
Le public ne s’en rend pas forcément compte. Pourtant, rédiger un jugement est un énorme travail qui occupe souvent les soirées, les week-ends, sans compter les éventuelles incidences sur la vie de famille.

Le tribunal aux côtés des chefs d’entreprise

« Les tribunaux de commerce ont une mauvaise image, parce qu’on ne parle d’eux qu’en cas de faillite », expliquait en 2020 un de vos homologues dans la Dépêche. Comment faire pour changer cette image ?
L. G. : Devant différents publics, j’insiste toujours sur le fait que le tribunal peut aider les chefs d’entreprise. Dans le domaine du contentieux d’une part : les personnes soumises à une assignation peuvent en effet choisir la conciliation contentieuse, plutôt que le procès, du moins si les deux parties sont d’accord pour le faire. Dans ce cadre, elles trouvent elles-mêmes la solution à leur litige sous l’égide d’un juge spécialisé. C’est tout à fait dans l’esprit des nouvelles dispositions gouvernementales où l’on veut favoriser ce mode amiable de règlement des conflits.

En cas de difficultés de l’entreprise d’autre part, le tribunal peut aider les dirigeants en les incitant à bénéficier des procédures amiables que sont le mandat ad hoc et la conciliation/prévention. Ce sont des procédures confidentielles, gratuites qui sont efficaces, si on a suffisamment de bras de levier, car elles permettent de sortir de l’ornière dans laquelle l’entreprise se trouve. Actuellement, nous avons beaucoup de conciliations/préventions pour sortir des difficultés liées aux échéances de remboursement des PGE.

Selon la Banque de France, le taux de défaut des entreprises en matière de remboursement des PGE est relativement faible, autour de 4 %. Que constatez-vous sur le terrain ?
L. G. : On rencontre beaucoup de cas de chefs d’entreprise qui ont des difficultés à faire face aux premières échéances. Or, la seule façon pour eux de pouvoir négocier un étalement est d’entrer dans un processus de conciliation/prévention. Dans ce cas seulement, les banques gardent la garantie de l’État et n’ont toujours que 10 % à leur charge. L’étalement du PGE est alors négocié en considérant aussi l’endettement global de la structure concernée. Pour résumer, il faut anticiper, ne pas attendre que des jours meilleurs se produisent et, il faut bien sûr ne pas être en état de cessation de paiement.

Cette invitation à anticiper n’est pas nouvelle. Les chefs d’entreprise, sont-ils aujourd’hui plus réceptifs à ces messages ?
L. G. : Je mène beaucoup d’actions auprès des organisations professionnelles comme le Medef, la CPME, la Fédération du bâtiment, l’UIMM, l’UMIH, la CMA, la CCI pour les sensibiliser et pour qu’ils puissent relayer ces informations auprès de leurs adhérents. Mais c’est effectivement un travail de longue haleine.

Ensuite, il est fondamental pour les chefs d’entreprise d’être en contact permanent avec leur expert-comptable et leur avocat qui ont une vision précise de la situation de l’entreprise au jour le jour.

Il n’est cependant pas facile pour les dirigeants d’entreprise d’admettre qu’ils ont besoin d’aide. La plupart du temps, ils ne peuvent pas parler de leurs difficultés dans la sphère familiale et au final, ils n’en parlent souvent à personne. Depuis le Covid, à l’audience d’ouverture de procédure, nous constatons que beaucoup de personnes peuvent avoir besoin d’un soutien psychologique. C’est un moment difficile à gérer pour le chef d’entreprise, qui n’a pas d’autre choix que de faire face et c’est alors aussi compliqué pour le juge.

Des situations parfois difficiles

On imagine que vous n’êtes pas formés ni préparés à ce genre de situation…
L. G. : Effectivement, ces situations sont difficiles à gérer. C’est la raison pour laquelle, ces deux dernières années, nous avons fait intervenir un médecin psychiatre au tribunal lors d’une formation. Il nous a expliqué comment réagir et surtout ce qu’il ne fallait pas faire dans de pareilles circonstances. Et, quand la situation est très compliquée sur le plan psychologique, nous orientons les personnes vers des organismes spécialisés extérieurs tels que Prevaly, avec son dispositif Adele.

Ensuite, une fois que les chefs d’entreprise ont fait le « deuil » de la situation, ils peuvent éventuellement s’orienter vers des associations telles que Second Souffle ou 60 000 Rebonds qui accompagnent bénévolement les chefs d’entreprise à trouver une voie nouvelle.

Peut-on considérer le tribunal de commerce comme un des maillons d’une chaîne au service des chefs d’entreprise ?
L. G. : Il est effectivement intéressant de noter qu’en Haute-Garonne, tous les organismes concernés par le soutien aux entreprises travaillent efficacement et en parfaite harmonie. Les relations sont très fluides par exemple, avec le directeur de l’Urssaf, celui des impôts ou le président des experts-comptables et permettent une grande efficacité dans le traitement des dossiers.

Le nombre de procédures collectives avait fortement baissé pendant le Covid. Qu’en est-il aujourd’hui ?
L. G. : Durant cette période, on a pu constater l’existence de nombreuses entreprises que l’on appelle « entreprises zombies », c’est-à-dire, maintenues en vie artificiellement grâce aux dispositifs mis en place par le gouvernement. Cela explique qu’aujourd’hui nous ayons beaucoup d’entreprises qui, à l’ouverture d’une procédure collective, vont directement en liquidation judiciaire. Il y a en quelque sorte un phénomène de rattrapage.

Cela signifie-t-il que le nombre des procédures collectives a retrouvé son niveau d’avant crise ?
L. G. : De janvier à octobre 2023, on a enregistré 987 dossiers d’ouverture de procédures collectives (sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire), soit une hausse de 34 % par rapport à 2019. Cette tendance est malheureusement générale en France. Certaines professions qui jusque-là étaient épargnées sont désormais impactées. C’est le cas, par exemple des études notariales, des promoteurs immobiliers, des constructeurs de maisons individuelles ou de transporteurs.

La hausse exponentielle du prix de l’électricité due à la guerre en Ukraine, n’est pas un élément positif. D’une certaine façon, on peut toutefois estimer que cette situation permet d’assainir le marché, dans la mesure où certaines entreprises soutenues à bout de bras, ont profité d’un effet d’aubaine.

Où en est-on de la création, voulue par le garde des Sceaux, des tribunaux des affaires économiques (TAE), ces tribunaux de commerce dont les compétences seraient élargies en matière de procédures amiables et collectives à l’ensemble des acteurs économiques : agriculteurs, associations, professions libérales ?
L. G. : Le parlement s’est prononcé en faveur d’une expérimentation pendant quatre ans. Douze TAE seront désignés par la Chancellerie en 2024.

Le parlement a reconnu la spécificité des tribunaux de commerce, qui sont une juridiction composée de juges bénévoles spécialisés dans le domaine économique. C’est essentiel pour nous. Nous faisons en effet un travail très important, reconnu, avec un taux de réformation, en appel, très faible.

La Conférence Générale des Juges Consulaires de France redoutait l’arrivée de magistrats professionnels au sein des TAE. Qu’en est-il de cet échevinage « déguisé » ?
L. G. : Cette disposition a été abandonnée. Le parlement s’est rendu compte que notre travail était efficace et que placer au sein de ces tribunaux de commerce des juges non spécialisés dans le domaine économique pouvait être dangereux. La qualité de notre travail en matière économique a été reconnue. C’est une vraie source de satisfaction.