Miren de Lorgeril
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Miren de Lorgeril

La haute couture du vin du Languedoc

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Miren de Lorgeril DR

Faire de la maison de Lorgeril, négociant vinificateur audois, une maison de haute couture des vins du Languedoc, telle est l’ambition de Miren de Lorgeril, aux manettes depuis près de trente ans. L’élégance est, sans conteste, le fil rouge personnel et professionnel de cette quinqua, à l’allure à la fois juvénile et classique, qui s’est imposée comme l’une des rares femmes à la tête d’un royaume viticole familial du Languedoc - Roussillon, lequel abrite le château de Pennautier et cinq autres domaines –domaine du Garille, château de Ciffre, domaine de la Borie Blanche, Mas des montagnes et château de Caunettes). Au total, les 300 hectares de vignes, nichés sur les coteaux audois, à la jonction des climats de la Méditerranée, de la Montagne noire et de l’Atlantique – véritable point d’équilibre – ont généré 12 M€ de CA en 2021.

Fille de bonne famille, née d’un père avocat et d’une mère professeure d’anglais, elle est devenue propriétaire par alliance de la maison familiale Lorgeril – qui plonge ses racines en 1620 –, au côté de son mari, Nicolas de Lorgeril, Xe génération d’une famille de vignerons fortement ancrée dans le territoire. De fait, cette femme de convictions et d’engagement, devenue par le hasard de l’amour, vigneronne et négociante, s’attache depuis 1987, année de passage de témoin, à faire rayonner cette tradition au-delà des frontières occitanes. Lorsque cette native de Versailles, aux origines basques et périgourdines, sixième d’une fratrie de sept enfants, épouse son partenaire – un ami de ses grands frères –à l’aube de ses 18 ans, elle ne s’imagine pas embrasser l’univers viticole et ses codes confidentiels, se rêvant davantage en diplomate.

« Un bac littéraire en poche, je me prédestinais aux relations internationales et au milieu de la géopolitique, qui du reste, est encore aujourd’hui un de mes sujets de prédilection. Après notre mariage, nous avons connu une parenthèse de six mois aux États-Unis pour le travail de mon mari. À cette époque, j’ai manqué les concours de Science Po. Au retour, je me suis donc inscrite à l’Institut libre des relations internationales et des sciences politiques. Puis, nous avons dû rejoindre Nîmes pour se rapprocher de l’entourage de mon mari. En parallèle de son métier de financier pour les PME, il devait reprendre la propriété familiale. Pour ma part, je n’avais aucunement l’intention de m’occuper de ses affaires. Je venais de devenir mère et n’ayant pas encore de réseau en région Paca, j’ai décidé de prolonger mes études en droit de la vigne et du vin au sein de l’université du vin à Suze-la-Rousse. »

Un travail de longue haleine

Ce qui s’apparentait au départ à une curiosité intellectuelle pour la jeune femme, s’est mué en véritable intérêt par le fruit d’une rencontre. Elle apprend le métier du vin au domaine de la Tuillerie (dans le Gard) aux côtés de Chantal Comte. « J’ai rencontré une femme engagée et passionnante. Je l’ai sollicitée pour réaliser un stage non rémunéré qui m’a emmené bien plus loin que je ne le pensais. Au bout de trois mois d’immersion, elle m’a proposé de me former à mon premier emploi en tant que chef de zones commerciales pour le nord de l’Europe et la France. Une expérience inattendue de trois ans qui m’a beaucoup appris, notamment sur la qualité gustative des vins, ce qui paraît évident mais qui est cependant l’une des clés fondamentales pour pénétrer les différents marchés. J’ai également appris à créer un lien durable et fort avec les clients dans les pays du monde entier, alors que je n’étais pas commerçante. Enfin, je retiens de cette femme ambitieuse sa capacité à porter haut et fort les couleurs des vins du Languedoc, bien que nous représentions une petite maison, et ainsi de ne jamais douter de pouvoir jouer dans la cour des grands. Cette fille d’armateur avait une vision très dynamique », se souvient-elle.

« J’ai souvent ressenti une différence avec mes homologues qui pour 90% d’entre eux étaient des hommes. J’avais un avantage sur eux car on se souvenait plus facilement de moi »

Des défis qui raisonnent encore dans l’esprit de la diplômée en droit, laquelle, aujourd’hui, brandit l’étendard de la maison de Lorgeril qui s’apprête à célébrer ses 400 printemps. De fait, la future vigneronne et présidente de l’appellation Cabardès, se laisse définitivement charmer par les atouts du Sud et devient à la fois créatrice d’une filière de distribution et négociante. « À l’issue de ma première expérience dans le domaine du vin, mon mari qui venait d’obtenir un poste à Toulouse, m’a demandé de réaliser une étude relative à la commercialisation des vins du domaine. Auparavant, la propriété, qui récoltait, vinifiait, et assemblait, vendait tout en vrac. J’ai ainsi créé une société de distribution afin d’insuffler une nouvelle dynamique. Je suis partie avec ma valise pour faire connaître nos vins sur le marché national et international et développer ainsi notre réseau de distributeurs, à savoir les cavistes, les restaurateurs, etc. Ce fut un travail de longue haleine », précise-t-elle.

Au fil des saisons et des cuvées, cette mère de quatre enfants parcourt le monde afin de représenter la signature de la maison familiale –l’élégance du Languedoc, la recherche de la finesse et de la légèreté que confèrent les coteaux perchés entre 200 et 400 mètres d’altitude, et le goût du terroir –, le tout sans rémunération. Au bout de cinq ans, se posent alors des questions stratégiques pour dessiner un avenir positif. « J’avais pour ambition, d’une part, de diversifier l’activité à travers la revente de vins et, d’autre part, de détenir plus d’appellations. Nous sommes aujourd’hui présents sur neuf appellations. Seules cinq entreprises sont présentes sur plus de cinq appellations en Languedoc. Nous avons donc racheté cinq autres domaines au cours de ces 20 dernières années en plus du négoce. Ces deux activités nous crédibilisent dans les échanges et m’ont amené à être très regardante sur la qualité des raisins et sur la manière d’exploiter les sols », explique-t-elle avant de poursuivre, « pour tenir ce rythme, j’ai, du reste, eu la chance d’être épaulé par mon mari qui a perdu son père très jeune. Il s’est, de fait, beaucoup investi dans l’éducation de nos enfants. Et puis, nous avons vraiment façonné notre histoire ensemble. Cela m’a permis de mener de front ma vie professionnelle et personnelle ».

Un grand respect du terroir

Un défi, que la jeune femme couronnée de responsabilités relève alors haut la main dans un milieu à l’époque plutôt réservé aux hommes. Pugnace et dotée désormais d’un fort leadership, la nouvelle ambassadrice de la maison Lorgeril, s’est ainsi fait une place. « J’ai souvent ressenti une différence avec mes homologues qui pour 90% d’entre eux étaient des hommes. J’avais un avantage sur eux car on se souvenait plus facilement de moi. Cependant, il a fallu que je m’affirme afin de crédibiliser ma position et que j’apprenne à mettre mon image de patron au-devant de la scène bien plus que je ne l’aurais souhaité. Cela ne fait pourtant pas parti de mes principes et de mon éducation, souligne la quinqua. Petite, je n’avais aucun mal à sortir de ma coquille mais je restais modeste. » Tandis qu’il y a vingt ans, les femmes dirigeantes ou celles qui écrivaient l’histoire du vin français n’étaient qu’une infime poignée, le secteur s’est rapidement féminisé.

« Cet univers a évolué très vite du fait de la transmission familiale. Désormais ce sont les femmes qui prennent les rênes alors qu’auparavant, il s’agissait de leur mari. La féminisation du secteur est également liée à la nature du métier. En effet, près de 70 % d’oenologues sont aujourd’hui des femmes, car il s’agit d’un métier rigoureux, et qui demande beaucoup de sensibilité… des qualités qui relèvent souvent de la gente féminine. Beaucoup de femmes excellent dans ce domaine », affirme la PDG. L’export représente aujourd’hui 60% du marché de la maison Lorgeril qui séduit notamment le Canada, les États-Unis, l’Angleterre, l’Europe de l’est et les pays asiatiques. « Nous entendons approfondir notre implantation en Asie et conforter notre présence outre-Atlantique, qui est un marché en croissance. À ce titre, nous avons signé fin 2021 un partenariat avec une grande maison bourguignonne française implantée là-bas. »

« Ces regards extérieurs nous permettent de progresser. Car si on accumule un savoir-faire, il est très facile aussi de commettre des erreurs »

La pandémie n’aura, du reste, pas fragilisée l’activité. « Nous avons perdu 10% de CA en 2020, que nous avons retrouvé en 2021. Nous avons réussi à nous maintenir la tête hors de l’eau, car si les restaurateurs ont dû fermer leur porte un temps, les cavistes prenaient le relais avec la consommation à domicile. Les chaînes de magasins ont aussi accéléré leur tournant digital ce qui nous a permis de réaliser des ventes. » Si la Maison Lorgeril continue d’asseoir sa notoriété, c’est notamment grâce à sa vision du respect du terroir, au-delà de sa réputation. En effet, il y a cinq ans, la dirigeante a entamé une reconversion vers l’agriculture raisonnée et biologique sur l’ensemble des domaines.

Faire de la région une destination incontournable de l’oenotourisme

« Auparavant, nous étions déjà soucieux de la manière dont nous abordions le travail de la vigne, mais nous étions beaucoup moins sensibilisés et formés qu’aujourd’hui. Depuis cinq ans, nous avons mis le pied sur l’accélérateur car les vignobles en avaient grandement besoin, à cause des conséquences des aléas climatiques répétitifs. Nous avons aussi remarqué que les vignes subissaient un vieillissement précoce partout en Europe. Cette évolution de la vie de la vigne nous interrogeait beaucoup. Cela demande plus d’attention et de travail, pour un rendement moins important, mais la qualité prime. L’objectif est de trouver la bonne équation entre le cépage, le terroir et le vin qu’on veut produire. » En parallèle, la dirigeante a à coeur de s’entourer des meilleurs, tels que les laboratoires oenologiques Dubernet et le vinificateur Stéphane Derenoncourt.

« Ces regards extérieurs nous permettent de progresser. Car si on accumule un savoir-faire, il est très facile aussi de commettre des erreurs. Nous avons également réalisé 160 fosses pédologiques dans les vignes pour regarder la qualité géologique de nos terroirs. Une belle découverte qui nous permet pour l’avenir de préparer les encépagements et de nous adapter au terroir et à l’évolution du climat. Nous nous tournons aussi vers une nouvelle approche du vignoble, à savoir le substrat naturel, pour faire vivre le sol ». Exigeante, celle qui s’est également forgée grâce à sept ans de scoutisme pendant sa jeunesse, et qui a appris « à ne pas avoir les pieds dans le même sabot » voit toujours plus loin. Si elle vient de remettre son mandat de trois ans au sein du Comité interprofessionnel des vins du Languedoc, une mission qu’elle a particulièrement adoré, elle s’attache à faire de la région une destination incontournable de l’oenotourisme.

« À ce titre, nous avons mené une vaste restauration du château de Pennautier dans les années 90. Je me suis régalée à le faire sans l’aide d’un architecte, car la restauration ne relevait pas de la conservation des monuments historiques. Nous voulions transformer le domaine en atout. De plus, j’ai ramené le concept du bar à vins en France. Nous avons aussi développé des chambres d’hôtes et des gîtes. Nous en avons sept actuellement sur l’ensemble des domaines et nous en aurons bientôt quatre de plus. Par ailleurs, nous planchons aussi sur un spectacle pour mettre en lumière l’histoire du château de Pennautier ». Quant à la transmission, celle-ci relève de la volonté des descendants, « qui ont pris le temps de voir le monde, mais y pensent fortement d’ici à l’horizon de cinq ans », conclut-elle.