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Audit : les commissaires aux comptes s’alarment d’un nouveau projet de relèvement des seuils de nomination

Audit. Après deux mesures successives intervenues en 2019 et en février 2024, Bercy projette de relever une nouvelle fois les seuils au-delà desquels la nomination d’un commissaire aux comptes devient obligatoire dans certaines sociétés. Menaçant à court terme toute la profession, le projet fait vivement réagir Laure Mulin, présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Toulouse.

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Photo d'une feuille montrant plusieurs graphiques
Dans le cadre de la future loi de simplification, les seuils de nomination des commissaires aux comptes pourraient passer à 7,5 M€ de total bilan, 15 M€ de CA et 50 salariés (©Pixabay).

Le ministère de l’Économie et des Finances a acté en février dernier un [nouveau relèvement des seuils de nomination d’un commissaire aux comptes. Certaines sociétés doivent en effet faire certifier leurs comptes annuels par un commissaire aux comptes. Un décret du 28 février 2024 a modifié les seuils à partir desquels cette formalité est obligatoire. Désormais, les entreprises qui dépassent deux des trois seuils suivants doivent désigner un commissaire aux comptes : un total bilan de 5 M€, un chiffre d’affaires de 10 M€ et 50 salariés. Ces seuils avaient déjà été relevés par la loi Pacte adoptée en 2019 à 4 M€ de total bilan, 8 M€ de CA et 50 salariés.

Cependant, la hausse intervenue en février ne semble pas suffisante aux yeux de Bercy qui projette, dans le cadre de la future loi de simplification, un nouveau relèvement des seuils, qui pourraient passer cet été à : 7,5 M€ de total bilan, 15 M€ de CA et 50 salariés. Un projet qui fait bondir la profession partout sur le territoire et notamment en Occitanie.

Un effet désastreux

Photo de Laure Mulin
Laure Mulin, présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Toulouse (© CRCC).

Aujourd’hui, on dénombre 7090 entités contrôlées par un auditeur légal membre de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC) de Toulouse, qui couvre quatre départements (Haute-Garonne, Ariège, Tarn, et Tarn-et-Garonne), dont 5 513 sociétés commerciales.

Si les seuils sont relevés à 7,5 M€ de total bilan, 15 M€ de chiffre d’affaires et 50 salariés, sur les 5 513 sociétés commerciales contrôlées à ce jour et concernées par ce projet de relèvement, 4044 sociétés ne feraient plus l’objet d’une certification des comptes par un commissaire aux comptes.

Ce nouveau relèvement des seuils fait peser un véritable risque sur l’économie française, selon Laure Mulin, présidente de la CRCC de Toulouse. « Le relèvement des seuils est un danger pour la sécurité financière et juridique des entreprises de notre territoire et un désastre pour la profession d’auditeur légal avec à la clé des emplois menacés à court terme. ». Et d’ajouter :

Relever les seuils reviendrait à fragiliser très fortement le socle de la profession à l’heure où elle investit massivement pour prendre le virage de la durabilité et développer son expertise en matière d’audit extra financier à grande échelle pour permettre une entrée en vigueur sereine de la directive CRSD. »

La profession a pourtant, selon Laure Mulin, un rôle majeur à jouer « dans la sensibilisation et l’accompagnement des chefs d’entreprise face aux enjeux de la durabilité. » En parallèle, alors que la croissance ralentit et que le nombre de défaillances d’entreprises repart à la hausse, pour la professionnelle, Bercy feint d’ignorer également le rôle prépondérant qu’assurent les commissaires aux comptes, en lien avec les Tribunaux de commerce, « pour prévenir les difficultés des entreprises et alerter lorsque cela est nécessaire. »

Une fausse mesure d’économie

Selon la présidente de la CRCC de Toulouse, le relèvement envisagé ne constitue ni une mesure de simplification, ni une mesure d’économie pour les entreprises. « La présence d’un commissaire aux comptes auprès des petites entreprises ne représente, en aucun cas, un élément de complexité, au contraire, poursuit-elle. Le commissaire aux comptes est un allié des dirigeants face à la complexité de l’environnement réglementaire. À l’échelle des entreprises et de l’économie, il est le meilleur garant de la transparence et de la confiance indispensables à une croissance durable. » Selon la présidente de la CRCC de Toulouse, c’est également une fausse mesure d’économie, puisque, précise-t-elle :

elle ne permettrait pas d’alléger les dépenses de l’État car cela reviendrait à affaiblir la crédibilité financière des entreprises vis-à-vis des financeurs, privés ou publics, à l’heure où la priorité est à la réindustrialisation et à la relocalisation des emplois dans les territoires, et où l’accès aux financements se resserre. »

Déjà mis à mal par la hausse intervenue le 28 février dernier, ce nouveau relèvement des seuils constitue une menace à court terme pour l’exercice libéral de la profession, selon ses représentants. Menace qui pourrait favoriser «  une dynamique de concentration, quand la force de l’audit en France et sa qualité reconnue reposent sur la diversité des modes d’exercices et un maillage territorial très fin. » Aujourd’hui, 85 % des professionnels ont moins de 50 mandats dans leur portefeuille, et deux tiers d’entre eux exercent plus de la moitié de leur activité auprès de PME qui sont ou seront sous les seuils dans les prochaines années.

La Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Toulouse regroupe 383 professionnels et 218 sociétés de commissariat aux comptes qui interviennent dans plus de 7 000 entités (encore à ce jour…).