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« Bloquons tout » à Toulouse : un mouvement parti pour durer ?

Reportage. Le mercredi 10 septembre à Toulouse comme dans tout l’Hexagone, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour une journée de blocages en réaction au plan budgétaire du gouvernement Bayrou. Un mouvement parti de la base auquel les syndicats se sont tardivement ralliés et dont les revendications sont très diverses à l’image des personnes rencontrées sur le pavé toulousain.

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Le mouvement Bloquons tout a réuni des milliers de personnes à Toulouse le mercredi 10 septembre 2025. (©Gazette du Midi)

Comme le passage aux 80 km et la hausse des prix à la pompe ont servi de déclencheurs à la crise des gilets jaunes en novembre 2018, la proposition du supprimer deux jours fériés par François Bayrou a été l’étincelle d’un nouvel embrasement social dont l’ampleur reste encore à mesurer. Fortement décriée dans l’opinion publique, cette proposition devait permettre à l’État de réaliser 4,2 Md€ d’économies, sur les 44 milliards escomptés dans le budget 2026. Un tour de vis budgétaire qui a fini par raviver la colère d’une partie de la population contre Emmanuel Macron et son gouvernement. La chute du Premier ministre, après sa mise en minorité lors d’un vote de confiance à l’Assemblée nationale le 8 septembre, n’aura pas éteint l’incendie.

Le premier acte de ce mouvement de contestation national, parti de la base, a eu lieu ce mercredi 10 septembre. À l’origine de la mobilisation, dont le mot d’ordre est « Bloquons tout », deux groupes : « Indignons nous » et « Les Essentiels » qui balaient tout le spectre politique, agglomérant aussi de nombreux collectifs, d’anciennes figures des gilets jaunes ainsi que des anti-pass sanitaire. Une colère qui a pris de l’ampleur et s’est organisée via les réseaux sociaux, d’abord sur Tiktok puis sur Telegram avec des fils de discussion structurés par département réunissant plus de 100 000 abonnés. Plusieurs syndicats ont depuis emboité le pas.

Entre 13 000 et 30 000 manifestants

(©Gazette du Midi)

À Toulouse et les communes alentours la mobilisation a été particulièrement importante avec des milliers de personnes dans la rue : 30 000 selon les syndicats, 13 000 d’après la Préfecture. Avec dès 4 h 30 du matin et tout au long de la journée, plusieurs actions coup de poing menées sur le territoire (blocages de ronds-points, de routes et de péages) ainsi que la tenue de rassemblements aux abords des points stratégiques de la Ville rose : stations de métro, préfecture, CPAM, Hôtel-Dieu, gare Matabiau ou encore lycées et universités.

C’est en début d’après-midi que le gros des troupes a convergé vers les allées Jean-Jaurès. Dans les rangs du cortège, des gens de tous âges et de diverses catégories sociales. Parmi eux, des habitués des mouvements sociaux à l’image de François qui voit dans ce rassemblement « le début d’un changement possible ». Aujourd’hui à la retraite, cet ancien syndiqué ne décolère pas de la nomination à Matignon de Sébastien Lecornu, ex ministre des Armées. « C’est tout bonnement une nouvelle provocation de la part de Macron », fustige l’intéressé qui reproche au président de la République un déni des urnes et d’avoir bloqué les institutions. « Bayrou est parti, maintenant c’est à son tour ! »

Valérie, elle, défile pour la première fois. « Je suis là pour défendre la retraite de mes parents, la mienne et celle de mes petits-enfants. Mais aussi pour que l’on garde l’ensemble de nos acquis sociaux pour lesquels les générations précédentes se sont battues », explique la quinquagénaire qui a posé un jour de congés pour être présente ce 10 septembre. Secrétaire médicale depuis plus de 30 ans, l’intéressée entend aussi alerter sur la dégradation du système de santé, et avec lui l’accès aux soins et la prise en charge des patients. « La situation est vraiment alarmante, d’autant que les médecins et les infirmiers ne comptent pas leurs heures, au risque de s’épuiser mentalement et aussi physiquement. Je manifeste aussi pour eux, car beaucoup ne peuvent pas le faire. »

La psychiatrie : angle mort de la politique française ?

(©Gazette du Midi)

À quelques mètres d’elle, c’est un groupe d’amis, âgé de 25 à 40 ans, qui bat le pavé, pancartes à la main. Tous évoluent dans le secteur médico-social. Psychologue, Charlotte, travaille dans un centre d’hébergement d’urgence et de stabilisation pour les femmes victimes de violence. « Nous faisons face à d’importantes coupes budgétaires depuis maintenant plusieurs mois qui mettent à mal les équipes et notre capacité à accomplir notre mission d’accompagnement social. » Un manque de moyens qui n’est pas sans conséquences.

Nous avons de plus en plus de mal à orienter ces femmes vers certains services, notamment la psychiatrie qui souffre d’un sous-investissement chronique depuis des années. Concrètement, en ce moment, je n’ai aucun psychiatre vers lesquels orienter mes patientes. Par manque de médecins généralistes, on se retrouve même à travailler avec Médecins du Monde. Tous les jours, c’est un combat ! »

Quant à savoir s’il faut renverser le gouvernement, « franchement je n’ai pas envie de me positionner là-dessus », lâche la trentenaire. « Ce que je sais, poursuit-elle, c’est qu’il faut repenser le fonctionnement des institutions et surtout revoir à la hausse les moyens alloués à la santé mentale et plus largement à l’accès aux soins. » Un cri du cœur partagé par Laëtitia.

Actuellement en poste à l’unité d’hospitalisation psychiatrique fermée de Montauban, la jeune professionnelle a travaillé au sein de plusieurs établissements et unités. Elle aussi dénonce un manque d’investissement. « Les urgences sont débordées faute de lits d’hospitalisation suffisants. Cette surcharge a un impact direct sur les patients qui se retrouvent à rencontrer des médecins différents tous les jours. Or, en psychiatrie, un suivi continu et coordonné est indispensable. » Pour inverser la tendance, Laëtitia enjoint le gouvernement « à arrêter de donner autant d’argent aux grandes entreprises » et à commencer à les taxer davantage « comme le prévoyait le projet de loi Zucman, qui a malheureusement été refusé », regrette-t-elle.

La jeunesse en première ligne

Âgées de 18 et 19 ans, Célie et Angélina sont, elles, étudiantes à Toulouse et font partie de cette nouvelle génération de jeunes informés et engagés. « Y en a marre que le gouvernement nous prenne pour des quiches. Que les politiques au pouvoir arrêtent de dire qu’ils nous écoutent alors que non. » Si Angélina explique avoir la chance de pouvoir compter sur le soutien de ses parents, ce n’est pas le cas de plusieurs de ses des amis qui subissent de plein fouet la précarité étudiante :

Blandine · Manifestation 10 septembre

En première ligne avec les étudiants et les lycéens, les enseignants étaient aussi nombreux à manifester leur colère et crier leur ras-le-bol ce 10 septembre. Professeure d’anglais au lycée, Nathanaëlle (29 ans) fustige l’inaction du gouvernement, alertant au passage sur la baisse du niveau scolaire :

Blandine · Manifestation 10 septembre - Nathanaëlle

Et maintenant ?

Très suivi à Toulouse, le mouvement "Bloquons tout" l’a aussi été au niveau national avec plus de 175 000 participants recensés à travers la France selon le ministère de l’Intérieur. Reste à savoir maintenant si cette journée de manifestation et de blocages était la première d’une longue liste à venir ou non. Hier soir, les instigateurs de ce mouvement de révolte populaire n’avaient en tout cas laissé filtrer aucune information. De son côté, l’intersyndicale avait d’ores et déjà annoncé une journée de mobilisation le 18 septembre prochain.