Fermeture du centre de santé Cap’ Rempart : la première d’une hécatombe annoncée ?
Santé. Ouvert en 2019 à l’initiative de Rempart Mutuelle, Cap’ Rempart a fermé ses portes à Toulouse. En cause, des difficultés financières liées au mode de rémunération de ces centres sur lesquels pèsent de nombreuses missions et obligations. Selon le délégué régional de la Fédération nationale des centres de santé, Jérémie Malek-Lamy, plusieurs structures, parmi la centaine que compte l’Occitanie, seraient ainsi menacées.

Selon l’Atlas de la démographie médicale en France, publié par le conseil national de l’Ordre des médecins, on comptait au 1er janvier 2025, 6 202 médecins en Haute-Garonne. Soit une densité de praticiens exerçant dans le département plus importante que la moyenne nationale avec 413 médecins pour 100 000 habitants, contre 339 dans le reste de l’Hexagone (chiffres Insee 2023).
Malgré ces chiffres, il est de plus en plus difficile de trouver un médecin et pas seulement en zone rurale. La désertification médicale gagne en effet le cœur des villes et notamment Toulouse où il peut s’avérer quasiment impossible de décrocher un rendez-vous avec un praticien. Et la situation pourrait rapidement s’aggraver puisque 33 % des médecins du territoire sont âgés de plus de 60 ans et que la population croît de manière exponentielle avec 15 000 nouveaux habitants chaque année dans l’agglomération.
Pour pallier ces difficultés liées aussi bien à la démographie médicale (numerus clausus) qu’à la cherté des loyers en centre ville et au profil des nouvelles générations de médecins très attachées à leur équilibre de vie, le nombre de maisons de santé où les médecins exercent en libéral et de centres de santé où ils sont au contraire salariés de la structure, a fortement progressé en France mais aussi à Toulouse. En 2014, il existait ainsi 17 maisons de santé pluriprofessionnelles dans la Ville rose et une dizaine de centres de santé. Et d’autres projets sont à l’étude.
Lutter contre les déserts médicaux
Alors qu’ils se multiplient, ces centres créés à l’initiative d’une collectivité, d’une association ou d’une mutuelle, « sont pourtant en situation précaire », assure Jérémie Malek-Lamy, délégué régional Occitanie de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). En témoigne la fermeture récente à Toulouse du centre de santé Cap’ Rempart qui laisse de très nombreux patients sans médecin traitant.
Situé place Wilson, ce centre a ouvert en 2019 à l’initiative de Rempart Mutuelle (ex Mutuelle du Rempart). Fondée en 1932 à Toulouse, cette dernière est implantée sur les champs de l’assurance complémentaire santé et de la prévoyance. Elle compte quelque 100 000 adhérents. Cap’ Rempart, lui, est un organisme mutualiste indépendant, dédié aux activités sanitaires et sociales. Il comprend un centre de santé pluridisciplinaire regroupant des généralistes et d’autres professionnels médicaux et paramédicaux tels que kinésithérapeute, orthophoniste, pédicure-podologue, psychologue, ostéopathe, dermatologue, audioprothésiste ainsi qu’un magasin d’optique et audition.
Après avoir pâti de la crise des gilets jaunes, puis du Covid, le centre a accueilli jusqu’à 3 000 patients et réalisé quelque 23 000 consultations par an. « Ce qui montre bien la légitimité de notre démarche, car à l’époque nous avions déjà anticipé la pénurie de médecins au centre ville de Toulouse », détaille David Ollivier, président de Cap’ Rempart.
Des centres structurellement déficitaires

Pour autant, soumis à de nombreuses contraintes (amplitude horaire, gestion du tiers payant notamment), le centre de santé n’est jamais parvenu à l’équilibre et ce, malgré un soutien financier de l’Agence régionale de santé (ARS) à hauteur de 80 K€ par an en moyenne, contrepartie de certaines de ces obligations. « En 2024, pour un chiffre d’affaires de 1,3 M€, nous avons enregistré un déficit de 500 K€ », résume Jean-Pierre Pailhol, directeur général de Cap’ Rempart. Intenable pour l’organisme mutualiste qui vient d’être mis en liquidation avec à la clé la suppression de 15 équivalents temps plein.
David Ollivier assure avoir cherché pendant des mois des solutions pour maintenir l’activité du centre de santé auprès d’autres acteurs privés tels que le groupe Ramsay, les collectivités et d’autres mutuelles, sans succès. L’ARS a, de son côté, proposé de rediriger les patients désormais sans médecin traitant vers d’autres centres ou maisons de santé. « Si aucune structure ne s’est positionnée, c’est bien que le modèle des centres de santé est structurellement déficitaire comme en témoigne la fermeture de plusieurs d’entre eux ailleurs en France », poursuit Jean-Pierre Pailhol qui prédit une « hécatombe » dans les prochaines années si rien n’est fait « alors même que les besoins sont là ».
De fait, plusieurs facteurs expliquent ces difficultés financières, selon les dirigeants de Cap’ Rempart. Au premier rang desquels « la difficulté de couvrir les charges de structures par le seul produit des activités de soins ». En d’autres termes, le mode de financement des centres [1], à savoir le paiement à l’acte, n’est plus adapté au fonctionnement des centres de santé sur lesquels reposent aujourd’hui de nombreuses missions : soin, prévention, coordination, accompagnement social, accueil de publics particulièrement vulnérables.
Un nouveau mode de financement à trouver
« L’objectif de qualité des soins, avec trois à quatre consultations par heure, est en contradiction avec l’impératif de rentabilité indispensable à la pérennisation du centre », renchérit Sandrine Tourillon, directrice adjointe de Cap’ Rempart. Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les centres de santé pluridisciplinaires pointe lui aussi les difficultés croissantes que connaissent ces derniers compte tenu de l’explosion du montant de leurs charges. Pour résoudre cette équation budgétaire, l’IGAS se dit favorable à « l’émergence d’un nouveau modèle de financement, fondé sur une composante de capitation ».
Entendez une rémunération au forfait, « c’est-à-dire en fonction de la pathologie et de la situation des patients », ajoute Jérémie Malek-Lamy. La FNCS souhaite, elle, renégocier l’accord de 2015 conclu avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) afin de généraliser la rémunération au forfait déjà expérimentée dans certains territoires. De telle sorte que le financement des centres de santé prenne mieux en compte « les missions sociales d’accès aux soins qui leur incombent, leurs coûts structurels et les missions d’intérêt général auxquels ils répondent » détaille l’intéressé.
Alors que la crainte d’une fermeture en série est donc clairement mise sur la table, le délégué régionale de la FNCS pointe le désengagement de l’État sur les questions d’accès aux soin dans les territoires. Prenant l’exemple des centres de santé créés par les collectivités, à l’image des 22 structures que la Région a ouvertes, il s’interroge : « en cas de déficit de la structure, il suffit aux élus de voter une subvention d’équilibre. Mais la santé étant une responsabilité régalienne, est-ce vraiment aux collectivités territoriales de porter ce sujet ? ».
[1] il est régi par un accord de 2015 entre la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM)