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Ehpad publics d’Occitanie, y a-t-il péril en la demeure ?

Interview. Dans sa dernière enquête, la Fédération Hospitalière de France (FHF) Occitanie sonne l’alerte sur la situation financière des Ehpad publics. Malgré une activité qui continue à progresser, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de la région sont en effet confrontés à une dégradation massive, rapide et profonde de leur équilibre budgétaire.

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Photo de la présentation de l'enquête de la FHF lors d'une conférence de presse
L’enquête de la FHF a été présentée lors d’une conférence de presse par Emilie Berard, déléguée régionale FHF Occitanie, Éric Ponce, directeur de l’Ehpad Jean Péridier, Xavier Morel, délégué régional adjoint FHF Occitanie et Cyril Bride, directeur de l’Ehpad la Castellane à Port-Vendres. (©FHF Occitanie)

La Fédération Hospitalière de France (FHF) a conduit entre les mois de février et de mars 2024 une enquête sur la situation budgétaire des Ehpad publics à fin 2023. Plus de 730 établissements y ont participé, dont 80 en Occitanie (issus des 13 départements) qu’ils soient autonomes ou rattachés à un établissement public de santé, représentant près de 9 000 lits d’hébergement permanent dans la région. Un échantillon jugé « suffisant » pour faire un état des lieux général pour Xavier Morel, délégué régional adjoint FHF Occitanie. « Pour s’assurer de la pertinence des résultats, nous avons regardé s’ils étaient concordants avec les résultats au niveau national, et c’est le cas », indique l’intéressé.

Quels chiffres ou tendances faut-il retenir de cette dernière étude ?
Xavier Morel : « Deux grandes tendances se dégagent. La première, c’est qu’année après année, le pourcentage des Ehpad publics en situation de déficit est de plus en plus important. Là où en 2019 nous avions 40 % d’établissements déficitaires, en 2023 le taux grimpe à 89 %. La seconde tendance, c’est l’augmentation du niveau de déficit moyen par place et par an. En 2023, il est de 2 750€ en Occitanie, versus 1 200 € en 2019, avant la crise sanitaire. Déjà alarmant, ce dernier résultat tient en plus compte des aides versées en fin d’année par l’Agence régionale de santé (ARS). L’année dernière, un fonds d’urgence a en effet été débloqué à l’échelle nationale précisément parce que leur situation financière était dégradée. Les Ehpad ont été aidés à hauteur de 100 M€ pour améliorer leur trésorerie. 12,7 M€ ont été alloués par l’ARS Occitanie à 34 établissements de la région. Autrement dit, sans ces aides, le déficit par place dépasserait les 3 000 €. Autre élément, l’enquête démontre que les structures ayant un fort taux d’occupation (supérieur à 97 %) accusent elles aussi un déficit de l’ordre de 2 400 € en moyenne par place. Cela veut dire qu’aujourd’hui, il y a une décorrélation totale entre le niveau d’activité des Ehpad et leur situation financière qui ne cesse de s’aggraver. »

Cela veut dire que les Ehpad font face, non pas à une crise conjoncturelle comme certains le pensent, mais bien à une crise structurelle ?
Xavier Morel : « Cette question amène deux réponses. Il y a depuis longtemps, et donc de manière structurelle, un sous-financement du secteur des Ehpad. Cela a été objectivé dans de nombreux rapports réalisés notamment par la Cour des Comptes. Après, la situation s’est aggravée depuis 2022 et le début de la guerre en Ukraine. Ce conflit a eu plusieurs conséquences sur l’économie mondiale notamment avec l’inflation. Les structures médico-sociales, comme d’autres secteurs, ont été fortement impactées avec des niveaux de charge qui ont considérablement augmenté. Et malgré une reprise d’activité post-covid, les recettes dégagées ne permettent pas de couvrir cette forte hausse. »

Pour bien comprendre, quelles sont les principales causes du déficit des Ehpad publics relevant de la fonction publique hospitalière ?
Xavier Morel : « Il y a trois causes principales. La première, c’est la faible évolution des tarifs d’hébergement par rapport à la hausse des charges. Entre 2020 et 2023, dans les établissements habilités totalement ou partiellement au titre de l’aide sociale, les tarifs ont connu une évolution de plus 7,7 % sur la période alors que dans le même temps, l’évolution des charges constatées avoisine les 18 % à 20 %. La deuxième, c’est l’absence de contrepartie financière suite aux revalorisations salariales qui ont été accordées ces dernières années : le complément de traitement indiciaire, la prime grand âge ainsi que les augmentations du point d’indice. Si nous nous réjouissons bien évidemment de ces augmentations de salaire qui sont de nature à favoriser l’attractivité du secteur, cela ne s’est pas traduit par une compensation réelle de ces charges nouvelles. Enfin, à cela s’ajoute des niveaux de charges socio-fiscales plus élevés que dans d’autres secteurs. Sur les salaires par exemple nous ne bénéficions pas d’abattement de charge. Si on prend le cumul de ces trois causes, nous en arrivons à cette situation où les Ehpad se retrouvent en difficulté sur le plan financier. »

Y a-t-il aujourd’hui péril dans la demeure ?
Xavier Morel : « Si on regarde la réalité en face, la situation déficitaire des structures ne fait que s’aggraver depuis 2019. De telle sorte qu’effectivement aujourd’hui nous avons des situations de trésorerie qui sont extrêmement tendues pour certaines. En 2023, 22,5 % des Ehpad publics hospitaliers d’Occitanie ont eu recours à une ligne de trésorerie, aussi appelée crédit de trésorerie, et 33,7 % ont dû différer le paiement de certaines charges. Il faut avoir conscience qu’à un moment ou un autre ça ne tiendra plus. Les directeurs s’acharnent au quotidien pour maintenir un niveau de qualité de prise en charge qui soit à la hauteur des attentes, mais combien de temps pourront-ils encore le faire, c’est ça la question car financièrement c’est de plus en plus compliqué. »

Nous le savons, le vieillissement de la population française va accroître considérablement les besoins en hospitalisation dans les années à venir. Quel peut-être l’impact sur les structures de soins en Occitanie ?
Xavier Morel : « Selon les données de l’Insee, il y avait en 2019 en Occitanie, 230 000 habitants âgés de plus de 85 ans, cela représentait 3,9 % de la population. En 2024, ils seront 407 000, soit 6,3 %. Nous allons avoir un effet particulièrement important entre l’année 2031 et 2032, puisque c’est à cette période que la première génération des baby-boomers, née entre 1946 et 1947, va atteindre les 85 ans. Autrement dit, sur ces deux années, nous allons faire un saut de 18 500 personnes âgées en plus. Et même si l’Ehpad n’est pas la seule réponse pour les personnes en situation de dépendance ou en perte d’autonomie, 19 % d’entre elles étaient hébergées dans un service de moyen ou de long séjour en 2023. La question est maintenant de savoir, comment allons-nous collectivement pourvoir assumer ce besoin croissant et de plus en plus diversifié. »

Justement quelles solutions préconisez-vous pour répondre à ce besoin croissant et surtout pour sortir de cette spirale déficitaire ?
Xavier Morel : « La première demande de la FHF concerne l’élaboration d’une loi de programmation pour le grand âge. Objectif, avoir une vision prévisionnelle qui permettent d’engager les moyens nécessaires comme par exemple le recrutement, d’ici 2030, de 50 000 professionnels supplémentaires comme cela avait été annoncé en 2017 par Emmanuel Macron. Aujourd’hui, nous ne sommes pas du tout dans cette visibilité à long terme puisque l’on vote tous les ans une enveloppe pour l’année qui suit. Deuxième demande, la pérennisation des financements de la branche autonomie liés à l’investissement. En 2019 déjà, le rapport Libault préconisait la mobilisation d’un plan de soutien de 3 Mds€ sur dix ans pour rénover 150 000 places d’Ehpad. Et s’il y a eu depuis une première réponse avec le plan d’investissement du Ségur doté de 1,6 Md€ pour assurer la modernisation de l’offre de santé en Occitanie, dont 220 M€ pour le secteur médico-social, cet effort s’arrête en 2024. Or, encore une fois, si on s’inscrit dans une démarche prévisionnelle, nous estimons qu’il faudrait pouvoir abonder de 500 M€ au niveau national tous les ans pour reconstruire et rénover le parc existant. Troisième demande, mieux prendre en compte et corriger les différents statuts socio-fiscaux entre l’ensemble des structures d’hébergement médicalisées. Enfin, nous demandons une simplification du cadre de financement des Ehpad aujourd’hui scindé entre trois sections : dépendance, soin et hébergement, avec trois financeurs différents. Le système actuel est peu lisible pour le grand public mais aussi pour les directeurs d’établissement. Enfin, dans l’attente d’une réforme globale du financement des Ehpad, nous demandons à minima d’avoir des tarifs d’hébergement qui soient à la hauteur de l’inflation. »