Santé financière dégradée des Départements d’Occitanie : à qui la faute ?
Finances publiques. La chambre régionale des comptes d’Occitanie a dévoilé le 6 novembre dernier le contenu d’un rapport dans lequel elle livre ses conclusions sur la situation financière des 13 départements de la région. Le tableau dressé est alarmant. La faute à un modèle de financement inadapté avec des recettes jugées insuffisantes mais surtout volatiles et des dépenses qui, elles, ne cessent de croître.
Promesse de campagne du candidat Macron I, la suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale n’a pas fait que des heureux. Grands perdants de ce cadeau fiscal, les Départements. Au moment de l’adoption de la loi de finances 2020, qui est venue entériner cette réforme, la quasi totalité des présidents des Conseils départementaux (CD) étaient montés au créneau pour dénoncer une mesure inique.
Perte de l’autonomie fiscale
Et pour cause, pour compenser la suppression de cette fameuse taxe et donc le manque à gagner pour les communes bénéficiaires, le législateur s’est borné à utiliser le système des vases communicants. Concrètement, pour habiller Paul, il a déshabillé Pierre. Comment ? En privant les Départements d’une part de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) désormais reversée aux municipalités. Un transfert évalué en 2022 à 15 Md€. En échange, les conseils départementaux se sont vus attribuer une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), une ressource beaucoup plus aléatoire car dépendante de la conjoncture économique. Et qui les privent surtout de leur autonomie fiscale.
Si ce système de compensation a fonctionné entre 2020 et 2022, il a depuis marqué ses limites. En cause un retournement de conjoncture lié au début de la guerre en Ukraine, point de départ d’une crise économique, sociale, politique majeure : inflation, flambée des taux d’intérêt, hausse des défaillances d’entreprise, augmentation des coûts de l’énergie…
Avec en corollaire une chute de la consommation et surtout un effondrement du marché immobilier qui a plombé l’autre source de revenus des Départements, à savoir les droits de mutation à titre onéreux (DTMO) perçus sur les transactions immobilières (frais de notaires).
Hausse continue des dépenses sociales
Cette nouvelle réalité a fortement affecté les recettes des 13 Départements de la région Occitanie entre 2022 et 2024 avec une baisse de 34 % des droits de mutation et une diminution des produits de TVA avec en parallèle à une hausse continue des dépenses sociales. Les CD sont en effet depuis la loi de 2015 chefs de file en matière de solidarité et de cohésion territoriale.
À ce titre, on l’oublie, ils sont notamment responsables de la protection des personnes vulnérables : aide sociale à l’enfance (ASE), protection maternelle et infantile (PMI), personnes handicapées (prestation de compensation du handicap – PCH), personnes âgées (allocation personnalisée d’autonomie – APA), précarité (revenu de solidarité active – RSA).
C’est dans ce contexte que la chambre régionale des comptes d’Occitanie a publié le 6 novembre 2025 un rapport sur la situation financière et budgétaire des départements de la région. L’enquête couvre la période 2020-2025 avec pour cette dernière année les budgets prévisionnels comme base de travail. Objectif ? Apporter des réponses à plusieurs interrogations : ce nouveau modèle de financement a-t-il aggravé leur situation économique ? Les mécanismes nationaux de compensation ont-ils joué leur rôle ? Ou encore, les choix de gestion interne ont-il accentué cette dégradation ?
Le bilan dressé par la CRC est globalement alarmant. Sur les 13 collectivités contrôlées, cinq sont dans des « situations critiques » : le Gard, le Gers, la Haute-Garonne, l’Hérault, le Tarn. Tandis que les huit autres connaissent une dégradation, « mais partent d’une base financière très favorable et ne sont pas en danger immédiat », souligne la juridiction.
Certaines ont en effet subi des baisses de produits de droits de mutation plus importantes que d’autres, notamment les départements urbains comme l’Hérault (1,2 million d’habitants) et la Haute-Garonne (1,4 million d’habitants) présidés respectivement par Kléber Mesquida et Sébastien Vincini. Ces moteurs économiques de la région avec les métropoles de Toulouse et Montpellier connaissent depuis des trajectoires financières difficiles.
De fortes baisses des DMTO
Et pour cause, tous deux dépendent fortement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) puisque leur part dans les recettes de fonctionnement est supérieure à la moyenne nationale. Concrètement, dans le 31 la baisse des produits de DMTO entre 2022 et 2024 représente un manque à gagner de 137 M€ pour la collectivité versus -114 M€ dans le 34.
Autre indicateur important, le montant de la dette a bondi en quatre ans avec des progressions de 67 % en Haute-Garonne et de 46 % dans l’Hérault. Conséquence : la capacité de désendettement [1] des deux départements a littéralement explosé, très loin des 10 ans recommandés. Elle est ainsi passée selon les données de la CRC de 1,5 année à 28,6 ans dans le 31 et de 2,4 années à plus de 100 ans dans le 34 !
Plus de 100 ans, un dernier chiffre qui n’a plus de signification réelle autre que celle-ci : « L’Hérault ne dégageant plus d’épargne sur le dernier exercice n’a plus aucune somme disponible pour rembourser la dette », précise la chambre.
De son côté, le CD 31 conteste le chiffre retenu par la juridiction financière, expliquant avoir réinjecté dans son budget 2025 une somme de 40 M€ issue des « réserves et provisions » passées en 2024. Une manœuvre budgétaire qui lui permet de ramener sa capacité de désendettement à huit ans seulement. Un calcul dont prend note la CRC tout en rappelant qu’elle n’a pas retenu cette épargne supplémentaire « pour des raisons de comparabilité entre les départements ».
Pour les deux collectivités, cette dégradation de leur santé financière s’explique aussi par la part élevée des dépenses sociales. Elles représentent 58 % des dépenses en Haute-Garonne alors que dans l’Hérault, 7e département le plus pauvre de France, celles-ci se montent à 72 % du fait également d’un vieillissement de sa population (28,2 % des habitants ont plus de 60 ans).
Envolée des charges
Ainsi, les charges sur ces deux territoires ont crevé le plafond : +189 M€ dans le 34 entre 2022 et 2024, et +162 M€ dans le 31. Une hausse liée à des facteurs aussi bien internes qu’externes : augmentation du nombre de bénéficiaires des dispositifs d’aides, du nombre de collégiens et de collèges, extension de compétences (transfert de la gestion de routes nationales), progression des dépenses de personnel due en partie à la revalorisation du point d’indice et du SMIC. Mais pas seulement, comme le souligne la CRC, « certains départements ont accru leurs effectifs, mis en place des régimes de primes plus généreux, ou étendu des mesures de revalorisation salariale au-delà des exigences réglementaires ». C’est le cas de l’Hérault et de la Haute-Garonne.
Autre point de vigilance pointé par la chambre : malgré ces contraintes budgétaires, la Haute-Garonne a relevé le niveau de ses investissements de près de 10 % entre 2022 et 2025 contrairement à l’Hérault qui lui a réduit la voilure de l’ordre de 6 %.
Des territoires ruraux également à la peine
Bien que moins impactés par la baisse du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les territoires ruraux connaissent eux aussi des trajectoires économiques compliquées. Et parfois divergentes à l’instar de celles que connaissent les Pyrénées-Orientales (504 000 habitants) et l’Ariège (157 000 habitants), qui expérimentent à leur demande depuis 2022 et 2023 avec la Seine-Saint-Denis la recentralisation du RSA. Cette dernière consiste à transférer à l’État les dépenses de RSA des départements concernés, à charge pour ces derniers de reverser des ressources équivalentes constituées notamment des DMTO.
L’idée étant pour ces trois territoires, parmi les plus pauvres de France, de réduire leurs charges liées aux dépenses sociales. Plus de deux ans après, le bilan à mi-parcours est encourageant : les dépenses de RSA recentralisées sont en effet supérieures aux ressources reprises par l’État en compensation. Soit une économie réalisée de 21,6 M€ pour les Pyrénées-Orientales et de 2,8 M€ pour l’Ariège en 2023 (Source commission des finances du Sénat).
Dans le détail, le Département des Pyrénées-Orientales, marqué par le plus fort taux de chômage de l’Hexagone (12,4 % au 3e trimestre 2024 selon l’Insee), est parvenu malgré une conjoncture défavorable à contenir le montant de sa dette (+38 %) ainsi que sa capacité de désendettement à 4,1 ans en 2025 contre 1,4 an en 2022.
De son côté, l’Ariège fait figure d’élève modèle avec une dette ramenée de 9,5 M€ fin 2022 à 0,4 M€ cette année et une capacité de désendettement pleine et entière. De quoi leur permettre de maintenir un haut niveau d’investissement. En quatre ans, celui-ci est passé de 48 M€ à 52 M€ pour le CD 09 et de 99 M€ à 120 M€ dans le CD 66.
Recentraliser certaines dépenses
Alors que cette expérimentation doit se poursuivre jusqu’à la fin de 2026 et qu’une extension du dispositif à d’autres départements sur des critères d’éligibilité actualisés est en pourparler, certains pourraient sauter le pas notamment en Occitanie compte tenu de l’effondrement des ressources tirées des DMTO. Alors que les dépenses sociales ne cessent, elles, de progresser.
Pour ne parler que du RSA, en Tarn-et-Garonne (266 000 habitants), il représente en 2025, d’après la CRC, une dépense annuelle de 7 262 € par bénéficiaire. À noter que dans sa réponse à ce rapport, le CD 82 avance d’autres chiffres, indiquant que « la notion de bénéficiaire varie selon les collectivités ». À fin 2025, il table sur une moyenne annuelle de 6 543 allocataires, pour une dépense de 6 597 €, soit un enveloppe globale dédiée estimée à 43,1 M€.
En comparaison, la Haute-Garonne a prévu de verser plus de 243 M€ d’allocations aux bénéficiaires du RSA, estimés au nombre de 38 000 en 2025. À noter que ces montants tiennent compte de la revalorisation du revenu de solidarité active de 4,6 % en avril 2024.
[1] La capacité de désendettement représente le nombre d’années nécessaires pour le remboursement complet de la dette par l’épargne brute d’une collectivité. Elle se calcule en divisant le montant de l’emprunt restant par l’épargne dégagée annuellement.