Stations de sport d’hiver : vers une inéluctable transition
Environnement. Des chercheurs de l’Inrae et du centre d’études de la neige ont analysé les perspectives d’enneigement des Pyrénées pour les prochaines années. Leurs conclusions sont préoccupantes : les saisons défavorables vont se multiplier. Les stations, qui ont engagé des stratégies de diversification, doivent poursuivre leurs efforts mais aussi veiller à se démarquer.
Alors que se déroule à Glasgow un nouveau sommet sur le changement climatique, dans les Pyrénées, on mesure déjà très clairement les conséquences des évolutions à l’oeuvre. « Les perspectives d’enneigement sont en effet de plus en plus fragiles et interrogent le devenir des stations de sport d’hiver qui en sont directement dépendantes », expliquent en effet des équipes de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui ont mené des travaux en partenariat avec le Centre d’études de la neige (CNRM, Météo-France/CNRS), lesquels sont parus récemment dans le Cahier régional d’Occitanie des changements climatiques.
Les scientifiques ont ainsi modélisé les perspectives d’enneigement dans les Pyrénées pour le siècle à venir selon les scénarios d’émission de gaz à effet de serre (GES) utilisés par le Giec et, en parallèle, ont étudié la diversification touristique à l’oeuvre dans les stations de montagne. En synthèse, leurs résultats montrent que les pires conditions connues à l’exploitation des stations de sport d’hiver (une saison sur cinq actuellement) se produiront, à l’avenir, au moins toutes les deux à trois saisons dans le scénario le plus favorable et seront quasi-permanentes dans le scénario le plus défavorable.
Concernant le secteur touristique, les travaux réalisés dans différents massifs (les Alpes, les Pyrénées et le Massif Central) montrent une tendance à l’uniformisation des activités et prestations, essentiellement tournées vers des activités de pleine nature. L’enjeu pour les territoires est désormais de bien évaluer les recompositions à l’oeuvre en termes de bénéfices et impacts, notamment économiques.
Un futur défavorable pour l’enneigement des stations de ski dans les Pyrénées
En s’appuyant sur les observations météorologiques dans les Pyrénées depuis 1958, en intégrant les pratiques de gestion de la neige des stations de ski (damage, production de neige complémentaire…) et en prenant en compte les scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre qu’utilise le Giec, les scientifiques ont modélisé l’évolution des conditions d’enneigement entre1960 et 2100 dans les Pyrénées.
Ils ont envisagé trois scénarios contrastés : le premier qui suppose de fortes émissions de GES (RCP 8.5), le second qui suppose une stabilisation des émissions de GES à leur niveau actuel d’ici au milieu du siècle puis une diminution (RCP 4.5) et le troisième qui implique l’atteinte de la neutralité carbone planétaire d’ici le milieu du siècle environ (RCP 2.6). Pour leur analyse, ils définissent l’altitude de fiabilité d’enneigement qui est l’altitude à partir de laquelle l’enneigement (naturel ou avec production de neige additionnelle) est suffisamment abondant et fréquent pour permettre l’exploitation des stations de sport d’hiver.
« Dans tous les cas, les projections indiquent une dégradation des conditions d’enneigement, irréversible pour la première moitié du siècle au vu des scénarios considérés, expliquent-ils. Vers le milieu du siècle, la fiabilité de l’enneigement se situerait à partir de 2 300 m d’altitude sans production de neige et 1800m avec production ; dans le cas d’un scénario à forte émission de GES, ce n’est qu’à partir de 2750 m que l’on pourrait s’attendre à un enneigement fiable. Cette baisse de fiabilité d’enneigement s’accompagne de l’augmentation de la fréquence des saisons les plus défavorables pour l’exploitation des stations de ski, jusqu’à atteindre 100 % dès 2080 dans le cas du scénario de fortes émissions de GES. Même pour le scénario d’atteinte de la neutralité carbone, le retour des saisons défavorables se stabiliserait autour d’une saison toutes les deux à trois saisons. L’impact des émissions de GES sera déterminant pour la seconde moitié du XXIe siècle et souligne l’articulation indispensable entre adaptation et réduction de ces émissions pour toutes les activités humaines. Ces facteurs s’inscrivent et contribuent aux transitions territoriales et touristiques des stations de montagne pyrénéennes. »
Vers la diversification touristique dans les massifs
Les travaux des chercheurs ont aussi porté sur les stratégies de diversification menées par les stations de sport d’hiver. « Dès les années 1980, les premières difficultés sont apparues pour les stations de sports d’hiver, liées aux hivers sans neige successifs , au tassement de l a fréquentation touristique et à l’évolution de la demande touristique, conduisant à la fin de l’expansion des stations au profit de la période de gestion des stations existantes, constatent- ils. Dans ce contexte d’incertitudes, la diversification touristique s’est affirmée dès les années 2000 comme une stratégie visant à moins dépendre du ski ainsi qu’à répondre aux nouvelles attentes des touristes ».
Les chercheurs ont étudié les processus de diversification touristique à l’oeuvre dans le massif des Alpes et dans le Massif Central, et mis en perspective leurs travaux avec les dynamiques présentes en Occitanie. Avec un recul de plusieurs années, ils ont pu observer que la diversification touristique dans les massifs repose essentiellement sur des activités et prestations assez similaires.
« À l’avenir, l’objectif est de spécifier l’offre touristique dans la station, dans son territoire, en intégrant ses caractéristiques et son histoire, pour se démarquer des destinations voisines ou concurrentes. »
« Les activités de pleine nature (randonnées pédestres ou à vélo par exemple) constituent les principales activités développées, détaillentils. La diversification peut nécessiter la création d’équipements et d’infrastructures, à l’image des musées ou des centres aqualudiques, qui demandent des investissements et donc une forte implication des pouvoirs publics dans le domaine touristique. À l’avenir, l’objectif est de spécifier l’offre touristique dans la station, dans son territoire, en intégrant ses caractéristiques et son histoire, pour se démarquer des destinations voisines ou concurrentes. Une autre dimension concerne la capacité de la diversification touristique à générer des retombées économiques, mais également sociales et environnementales, dans une perspective de durabilité. »
Dans le contexte actuel de changement climatique, la diversification des activités constitue une piste d’adaptation explorée par les stations de montagne, aux côtés de la fiabilisation de l’exploitation des domaines skiables.
« Ces stratégies d’adaptation, souvent présentes conjointement dans les stations, témoignent de processus de transition en cours. Ces derniers dépassent le cadre du secteur touristique (relocalisation d’activités agricoles et artisanales, évolution des modes de vie et mobilités…), et impliquent un système d’acteurs variés et pouvant porter des visions différentes. L’enjeu pour les territoires de montagne est désormais d’amener les acteurs à travailler collectivement sur l’identification et la mise en oeuvre de la trajectoire envisagée pour le territoire. Dans ce cadre, la recherche et son expertise peuvent contribuer à une lecture des processus de transition touristique et territoriale en stations et à un accompagnement des acteurs territoriaux », concluent-ils.