Toulouse. Assiste-t-on à la fin des zones « hyper-commerciales » ?
C’est en tout cas un enjeu majeur pour les collectivités en quête de foncier. Le gouvernement vient d’ailleurs de lancer un plan de transformation à l’échelle nationale de ces zones commerciales, symboles de la France moche. A Toulouse (Haute-Garonne), plusieurs sites sont susceptibles d’être concernés.
24 millions d’euros. C’est la somme débloquée par le gouvernement pour lancer son plan de transformation des zones commerciales.
Symboles de la consommation de masse et de l’avènement de la voiture, celles-ci génèrent quelque 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Pour autant, toujours selon les chiffres du ministère des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, entre « 9 à 15 % des 1 800 zones commerciales implantées en France » seraient en mauvais état, voire en décrépitude.
Désignées comme la « France moche », ces friches construites dans les années 60 sont désormais un frein à la résolution des enjeux fonciers et environnementaux. « Nous posons sur la table ces 24 millions d’euros pour financer des diagnostics et potentiellement des chargés de projet pour accompagner l’opération. On a partout le sentiment, le besoin qu’il y ait des mutations », a ainsi expliqué le lundi 11 septembre 2023 Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Pour l’heure, une trentaine de villes seront choisies pour expérimenter des projets pilotes. A charge pour les collectivités intéressées de déposer des dossiers auprès des préfectures.
Répondre aux enjeux environnementaux et fonciers
Questionné sur ce sujet lors de son point presse de rentrée, le maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc, a salué cette décision tout en précisant « travailler sur cette problématique depuis longtemps ».
Je crois que c’est heureux que l’exécutif se préoccupe de cette question car elle va prendre de l’ampleur dans les centres urbains dans les années à venir. Le montant alloué est, on va dire, modeste mais les choses ont été clairement expliquées : c’est pour impulser des études. C’est une bonne chose car il y aura toujours des collectivités qui n’auront pas les moyens alors qu’elles ont des besoins. »
Pour l’édile, ces zones « hyper commerciales » ne correspondent plus aux attentes et impératifs d’aujourd’hui et ce, pour plusieurs raisons. « D’abord parce que les habitudes de consommation des Français ont évolué et que l’attrait pour les très grandes surfaces s’est très fortement émoussé. En effet, les gens privilégient désormais la proximité et les produits en circuit court. »
Autre constat, « ces centres commerciaux ont été conçus avec du bitume à n’en plus finir et si cela a pu être acceptable et accepté, ce n’est plus le cas », affirme Jean-Luc Moudenc qui souligne aussi obligation pour les collectivités de se mettre mettre en accord avec la loi Climat et résilience, dite loi ZAN, du 22 août 2021.
Cette loi nous demande d’aller vers le zéro artificialisation nette. Ça veut dire quoi ? Que désormais, la ville va devoir se construire quasiment que sur elle-même. Dans un premier temps, d’ici 2030, nous devons diviser par deux la consommation foncière, ce qui est quelque chose d’extrêmement volontariste et donc difficile. Et à partir de 2030, nous devons aller vers le zéro artificialisation nette. Cela implique ce que l’on doit se poser des questions que l’on ne se posaient pas avant. »
Et de poursuivre :
Nous devons poser un nouveau regard sur ces zones pour trouver des solutions afin de recomposer ces morceaux de ville pour en faire, non plus des zones commerciales mais des zones de vie. »
Basso-Combo, le Mirail, Portet-sur-Garonne…
Et alors que certains s’inquiètent déjà du fait que ce plan de transformation des zones commerciales vienne freiner le mouvement lancé de revitalisation des cœurs de ville, le président de Toulouse Métropole l’assure : « S’il faut sans doute développer et moderniser l’offre commerciale, l’objectif est avant tout de créer de nouvelles composantes dans ces quartiers qui ne seront pas commerciales : logements, équipements publics, espaces verts... Ce que je veux dire, c’est que les projets à venir ne devront pas être des projets commerciaux mais bien des projets urbains, des projets de quartier. Faire l’inverse serait une grave erreur. »
Et parce que, toujours selon Jean-Luc Moudenc, « Toulouse se doit d’être au rendez-vous » de ce qui s’apparente peut-être à la fin des zones commerciales type « boîte à chaussures », « nous avons décider de cibler deux sites en priorité : le centre commercial place Edouard Bouillères à Basso Cambo (en face de la station de métro) et la zone commerciale située près de l’Université Jean Jaurès au Mirail ». Pour ces deux projets d’envergure qui mêlent acteurs publics et privés, « l’enjeu est de trouver une harmonie et des équilibres économiques. »
Le maire de Toulouse a par ailleurs indiqué avoir déjà demandé à ses équipes qui travaillent sur le futur PLUiH (plan local d’urbanisme intercommunal et habitat) « de prendre en compte cette dimension pour permettre des évolutions réglementaires et ainsi ne pas être bloqué lorsque ces projets verront le jour. »
Simple coup de com’ ou véritable action publique ?
Et alors que certains élus s’y voient déjà, d’autres se montrent plus prudents. C’est le cas d’André Mandement, le maire de Muret et président de Muretain Agglo : « Si je me félicite de ce plan de transformation ? Oui bien sûr, mais pour être franc, je suis aujourd’hui un élu qui ne supporte plus les effets d’annonce et les coups de com’. Il y a déjà plus de cinq ans, vos collègues de Télérama avait fait une UNE sur la France moche et les centres commerciaux. Et c’est le centre de Portet-sur-Garonne qui faisait la première page. Tout ça pour dire que cette problématique n’est pas nouvelle. »
Et de dénoncer :
Aujourd’hui l’État annonce une enveloppe de 24 millions d’euros pour une trentaine de projets partout en France alors que ce n’est même pas le quart de la somme qu’il faudrait rien que sur Muretain agglo. Voilà pourquoi je me dis que le gouvernement est davantage dans de la communication que sur de l’action politique. Parce qu’il faut être clair, sans un engagement financier de l’État, les collectivités n’ont pas aujourd’hui les moyens d’engager de tels changements. »
André Mandement en veut pour preuve : « A la mairie de Muret, ça doit faire dix ans que nous avons commencé à réfléchir sur cette question. Nous avons lancé des études mais tout est resté dans les cartons parce que l’on est dans l’incapacité de le réaliser financièrement et juridiquement parlant. Ce sont des projets complexes qui ne peuvent pas se réaliser d’un claquement de doigt. Sur la zone commerciale de Portet-sur-Garonne, nous avons par exemple une friche à l’entrée nord. Rien que pour son acquisition foncière, il faudrait compter plus de six millions d’euros, hors indemnisation des commerces. C’est impossible. Voilà pourquoi en l’espace de 12 ans, nous avons pu racheter seulement deux commerces sur cette zone. Deux ! »
Comme Jean-Luc Moudenc, le président de Muretain agglo plaide pour des projets co-construits et co-financés. Pour lui, la réussite de ce plan de transformation « passera forcément par un certains nombre de mesures que l’État doit prendre, notamment en matière de fiscalité pour les entreprises qui sont prêtes à jouer le jeu ». Et surtout, par un accompagnement des collectivités « qui s’engagent aussi à mettre la main à la poche » pour relever ce défi de la transformation de cette France moche.