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À Perpignan, Trust in Isotopes prône la traçabilité au service des consommateurs

Innovation. Docteure en géochimie environnementale, Evelyne Adjei Mensah utilise l’isotopie pour tracer l’origine des produits alimentaires notamment. Une méthode qui séduit de plus en plus d’entreprises, compte tenu du durcissement de leurs obligations réglementaires.

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Photo d'Evelyne Adjei Mensah
Evelyne Adjei Mensah, fondatrice de Trust in Isotopes (©Trust in Isotopes).

Evelyne Adjei Mensah revient de Las Vegas « des étoiles plein les yeux ». La jeune femme, fondatrice de la start-up Trust in Isotopes, installée à Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, vient de participer à son premier CES et les rencontres qu’elle y a faites – notamment avec de nombreuses entreprises françaises mais aussi des sociétés étrangères – sont très prometteuses.

Cette finaliste du Train French Tech Perpignan, premier prix concours des Eco-Masterclass Pyrénées-Orientales du BIC Plein Sud Entreprises et lauréate du prix Coup de cœur du hackathon Sparx d’Innovosud à Béziers, utilise l’isotopie pour déterminer précisément l’origine géographique des produits et lutter contre la fraude. Créée en mai 2023, la start-up a signé son premier contrat dans l’agroalimentaire l’an dernier, mais d’autres secteurs d’activité sont intéressés.

Rassurer les consommateurs

Parmi les produits le plus souvent trafiqués, on trouve les épices, l’huile d’olive ou encore le miel… Mais « la fraude peut toucher tous les aliments de notre quotidien », détaille Evelyne Adjei Mensah avant de développer :

Or, les conséquences peuvent être dévastatrices, aussi bien pour les marques, du fait de la mauvaise publicité engendrée, que pour le consommateur qui peut être mis en danger ou perdre la confiance qu’il a envers une enseigne ou un produit. »

Le service proposé par Trust In Isotopes permet aux entreprises de rassurer les consommateurs sur l’origine des produits qu’ils consomment. Il constitue surtout un outil précieux pour les acheteurs qui importent des produits de l’étranger ou qui souhaitent faire de la veille concurrentielle et se protéger contre une concurrence déloyale.

« Dans notre laboratoire, nous faisons l’analyse des échantillons de matière première, du cacao ou des épices par exemple, que nous avons reçus, pour établir la signature isotopique. Nous pouvons alors en déduire que le produit a telle provenance », détaille l’intéressée. L’entreprise est ainsi sûre d’acheter le bon produit au bon prix et peut rassurer le consommateur qui peut faire un choix éclairé.

Claire comme de l’eau de pluie

« L’eau de pluie a, en France, une signature isotopique particulière, différente de l’eau de pluie aux États-Unis ou en Chine par exemple. Quand on analyse une matière première, on retrouve cette petite signature, cette différence. C’est ce qui me permet de dire que telles pâtes viennent de tel pays ou de telle région d’Italie puisqu’on peut parfois avoir une précision jusqu’à l’échelle régionale », atteste Evelyne Adjei Mensah.

Le principal challenge pour l’entrepreneuse est de constituer une base de données fiable et robuste pour pouvoir comparer la valeur obtenue lors de l’analyse à cet ensemble de références. Fin 2023, la jeune femme a ainsi obtenu des fonds, de l’ordre d’une centaine de milliers d’euros, qui lui permettront de commencer à bâtir cette base : une bourse French Tech Émergence de Bpifrance et un financement de Créalia Occitanie.

La traçabilité, enjeu majeur

Cette méthode innovante séduit peu à peu de plus en plus d’acteurs compte tenu des obligations réglementaires qui vont peser très lourdement sur les entreprises. La traçabilité constitue en effet un enjeu de taille à l’heure où les dispositions légales se durcissent, avec notamment la loi Agec qui, dans le domaine textile, impose par exemple aux grandes marques depuis janvier 2023 d’indiquer les pays dans lesquels se déroulent les trois grandes étapes de fabrication (tissage, teinture, assemblage/finition) ; avec également la loi Climat et Résilience qui devrait imposer très prochainement un affichage environnemental, à savoir une information simplifiée sur l’impact environnemental des vêtements ; ou encore la nouvelle directive européenne CSRD qui va peu à peu contraindre les entreprises à publier un reporting de durabilité plus exigeant.

« Ça bouge ! » s’enthousiasme Evelyne Adjei Mensah. Cette docteure en géochimie de l’Institut de physique du globe a imaginé cette solution, pendant sa thèse sur le traçage des pollutions. « J’utilisais un spectromètre de masse dans le but de prouver qu’une pollution était d’origine naturelle ou anthropique », se souvient-elle.

En parallèle, la jeune femme s’intéresse à l’origine des produits alimentaires qu’elle achète au quotidien et, après quelques recherches, constate que les fraudes alimentaires sont nombreuses. « Bien plus nombreuses que je ne l’imaginais, en fait. J’ai creusé un peu plus le sujet, et découvert que la machine que j’utilisais servait à résoudre une partie du problème. J’ai décidé de me lancer ! »

En dernière année de son cursus, Evelyne Adjei Mensah a suivi une formation à l’entrepreneuriat à ESCP Business School. « Dans ce cadre, pendant six mois, j’ai pu tester mon projet et cela m’a vraiment plu ! » Diplôme en poche, l’ex-thésarde a quitté Paris pour le Sud où elle est hébergée depuis par l’incubateur de l’université de Perpignan, UPVD Incube.

La start-up, qui réfléchit à la création d’un label qui permettrait aux entreprises de valoriser le résultat de ces analyses, espère d’ici deux à trois ans disposer de son propre local et d’un parc de machines. Avant cela, dès cette année, elle compte recruter deux collaborateurs sur la partie commerciale notamment.