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Accord commercial UE-USA : pour le président du Medef 31, « on se couche devant les États-Unis »

Interview. Le 27 juillet 2025, l’Union européenne et les États-Unis ont annoncé avoir conclu un accord commercial relatif aux droits de douane sur les produits européens exportés aux USA. La plupart d’entre eux seront taxés à hauteur de 15%. Un deal qui n’a pas manqué de faire réagir la classe politique mais aussi les milieux économiques. À commencer par les organisations patronales dont le Medef 31 et son président Pierre-Olivier Nau, par ailleurs président de Manatour, entreprise spécialisée dans le tourisme industriel, culturel et patrimonial.

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Pierre-Olivier Nau, président du Medef 31 et patron de Manatour, une société blagnacaise spécialisée dans le tourisme industriel, culturel et patrimonial, réagit à l’accord intervenu entre l’Union européenne et les États-Unis sur les tarifs douaniers le 27 juillet dernier. (©Lydie Lecarpentier)

L’accord sur les droits de douane qui vient d’être passé entre l’Union européenne et les Etats-Unis est-il un bon deal pour l’Europe, la France et l’Occitanie ?
Pierre-Olivier Nau, président du Medef 31 :
« Non, clairement pas. Là, on se couche devant les Etats-Unis. Normalement, un deal c’est gagnant-gagnant et là je ne vois pas ce qu’on y gagne. Ça ne me convient pas du tout, ni en tant que citoyen, ni comme chef d’entreprise. Si je raisonne en tant que toulousain, heureusement que l’aéronautique est hors du scope des 15 % de droits de douane annoncés et que cela demeure un espace de libre échange, sachant qu’il n’y a que deux acteurs mondiaux : Airbus et Boeing. C’est donc une bonne nouvelle pour la Ville rose et l’Occitanie. Cependant il faut rester attentif à une chose : la supply chain. Autrement dit que tous les fournisseurs et sous-traitants soient également intégrés dans ce deal. De sorte que les industriels puissent continuer à exporter à moindres frais. Autre élément d’inquiétude pour le territoire, le secteur de la santé où le flou demeure. Je pense notamment aux Laboratoires Pierre Fabre et à Toulouse avec l’Oncopole et son écosystème de medtechs qui est en train de devenir un pôle majeur dans le traitement des cancers et maladies associées. »

À quoi aurait ressemblé un bon deal ? Aurait-on dû aller jusqu’au bras de fer comme l’a fait la Chine ?
Pierre-Olivier Nau :
« Un bon deal, c’est zéro droit de douane. Nous sommes entre deux continents qui se parlent, qui s’aiment et se respectent depuis des décennies. Or, la logique du libre échange signifie zéro tarif douanier. Là, on se félicite de ce deal qui amène une forme de stabilité, sauf que Trump nous a montré qu’il pouvait changer d’avis très facilement. Il est tout à fait capable de revenir sur ces 15 %. L’incertitude est donc finalement toujours présente. Sans aller jusqu’au bras de fer, on aurait pu nous aussi facturer des biens ou des services importants pour les entreprises américaines, notamment dans le domaine du digital et du numérique, qui gagnent beaucoup d’argent grâce à l’Europe. »

Créer des Airbus de tout

Dans un communiqué, le Medef France mettait justement en avant « la difficulté de l’UE à faire valoir son économie et l’importance de son marché pourtant sans équivalent dans le monde ». Souscrivez-vous à cette idée ?
Pierre-Olivier Nau :
« Sur le plan du marché intérieur, du point de vue industriel et digital, on devrait théoriquement pouvoir se suffire à nous-mêmes. Nous n’en sommes aujourd’hui malheureusement pas capables. Les composants électroniques, notamment les puces, en sont le parfait exemple. Après, avec 500 millions de consommateurs, nous sommes effectivement une grande puissance. Une puissance qui importe cependant énormément, notamment des États-Unis. Le rapport Draghi met d’ailleurs en avant le gigantesque champ des possibles que représente le marché européen. Ces tensions avec les USA seraient justement l’occasion de mettre en œuvre ses recommandations. Ce sont ainsi 750 Mds€ d’investissements qui devraient être mis sur la table pour relancer l’industrie en Europe. Et dans ce plan de relance, la France a bien sûr une carte à jouer, comme l’Occitanie avec l’aéronautique, le spatial, la défense, la santé, l’alimentation et la mobilité douce. Il faut arriver à faire de ces atouts des opportunités. Être capable de créer un Airbus des microprocesseurs… des Airbus de tout. »

Les représentants du Medef vont être reçus au même titre que ceux de la CPME par Bercy dans les jours qui viennent. Qu’attendez-vous de cette réunion ?
Pierre-Olivier Nau :
« Il est impératif que le gouvernement nous entende sur la nécessité d’être compétitifs, surtout sur un marché transatlantique qui devient hostile. Certains secteurs vont se ramasser 15 % de droit de douane, ce qui va se traduire par une baisse de leurs marges. Ce qu’on perd d’un côté, il faut donc que l’on puisse le récupérer sur les taxes et les charges sociales et patronales, qu’on puisse se défendre à armes égales et décider secteur par secteur comment on s’adapte à cette nouvelle donne. Enfin, sans parler de protectionnisme, il va falloir à un moment donné mette sur la table la question de la préférence européenne ou communautaire. Par exemple, dans mon entreprise Manatour, sur les sites culturels que j’anime, j’appliquerai à partir de 2026 des tarifs pour les Européens et d’autres pour les non-Européens. »

Consommer européen !

Pourquoi selon vous ce sujet de la préférence européenne reste-t-il tabou ?
Pierre-Olivier Nau :
« Parce que ça ne va pas dans le sens du monde libre. Ça peut en effet paraître antinomique avec le monde démocratique actuel et un libre-échange qui respecte l’environnement et une croissance durable. Or, plein de conflits ont commencé par des guerres commerciales. C’est aussi pour ça qu’il est important de se battre pour le maintien de droits de douane les plus faibles possibles. »

En pratique, quelles vont être les répercussions pour les entreprises haut-garonnaises impactées par cette hausse des tarifs douaniers ? Pour les plus pénalisées, une stratégie de repli est-elle envisageable ?
Pierre-Olivier Nau :
« La conséquence immédiate est que les prix vont gonfler de 15 % aux Etats-Unis avec un effet inflationniste et de marge ce qui signifie moins de recrutements, moins d’investissements, moins d’innovation… Quant aux entreprises les plus impactées, il semble difficile pour elles de se tourner rapidement vers d’autres marchés. Leur niveau de dépendance au marché américain diffère, il doit se situer entre 15 et 20 %. Il faudrait réussir à le réduire à 5 ou 10 % et se tourner vers d’autres marchés. L’Unions européenne doit être une cible. Ce qui veut dire que les Belges doivent arrêter d’acheter des avions militaires américains, que les Italiens doivent arrêter d’acheter des machines à laver chinoises. Il faut maintenant consommer européen, ce qui s’applique aussi à la France bien évidemment. »