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Ammoniac décarboné : la start-up toulousaine Swan-H veut lever 10 M€ en 2025

Innovation. Après un tour de table de 1,3 M€ bouclé en septembre 2024, la spin-off du CNRS affiche ses ambitions pour 2025 avec l’annonce d’une nouvelle levée de fonds de 10 M€ l’an prochain. Objectif : accélérer la montée en échelle de son système décentralisé de production d’ammoniac vert, autrement dit propre. Un enjeu de taille alors que la production de l’ammoniac est responsable de 2 % des émissions mondiales de CO2.

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Photo de l'équipe de chercheurs de Swan-H et les cofondateurs, Dr Nicolas Mézailles et Augustin de Bettignies
L’équipe de chercheurs de Swan-H et les cofondateurs, Dr Nicolas Mézailles et Augustin de Bettignies. Le procédé développé est le fruit du travail d’une thésarde : Soukaina Bennaamane (au premier plan à droite). (©Swan-H)

Gaz incolore composé d’azote et d’hydrogène, l’ammoniac est l’un des composés chimiques les plus produits au monde. Principalement utilisé par l’industrie pour la production d’engrais, de produits azotés de synthèse et dans le stockage de l’énergie, l’ammoniac joue un rôle essentiel dans l’agriculture et la chaîne d’approvisionnement alimentaire mondiale.

Alors que sa production annuelle dépasse les 200 millions de tonnes, les chercheurs du CNRS tablent sur « une croissance évaluée à 40 % d’ici 2050 ». Boostée par des besoins alimentaires mondiaux toujours plus important en raison de l’accroissement de la population (9,7 milliards d’ici 2050, contre 8,1 aujourd’hui !), sa production massive et son exportation soulèvent pourtant de vives inquiétudes en matière environnementale.

Et pour cause, l’ammoniac est traditionnellement produit en utilisant du gaz naturel comme carburant. Rien qu’en France, il serait responsable selon l’Ademe de 3 % des émissions de gaz à effets de serre de l’industrie. Pour l’Agence de la transition écologique, « la nécessaire transition énergétique de ce secteur représente un véritable défi technologique, financier, économique et réglementaire ».

Ammoniac « gris » vs ammoniac « vert »

Un défi qu’espère relever la start-up toulousaine Swan-H et l’équipe franco-néerlandaise de recherche dirigée par le Dr Nicolas Mézailles. Depuis 2021, cette spin-off du CNRS développe au sein de son laboratoire, avec le soutien de Toulouse Tech Transfert, une innovation disruptive permettant une production d’ammoniac décarbonée, autrement dit propre via un processus peu énergivore contrairement au procédé Haber-Bosch, utilisé depuis un siècle pour séparer l’azote et l’hydrogène en ammoniac. En opposition à cet ammoniac dit « gris » ultra-polluant, la fabrication d’un ammoniac « vert » produit, lui, à partir d’énergies renouvelables (EnR) s’est démocratisée ces dernières années.

Problème, selon le cofondateur et directeur commercial de Swan-H Augustin de Bettignies « les nouvelles installations de production sont certes alimentées par de l’électricité décarbonée via l’énergie solaire ou éolienne mais elles restent très énergivores. Pourquoi ? Parce que ce sont des sources d’énergie dites intermittentes, elles doivent donc être stockées, ce qui coûte cher. Pour être rentable, poursuit-il, il faut construire d’immenses infrastructures centralisées dans des zones propices, ensoleillées et/ou venteuses comme l’Australie, le Chili ou encore l’Arabie Saoudite. Des projets XXL qui ne peuvent pas se faire en Europe et encore moins en France ».

Inspiré des réactions qui ont lieu dans les plantes, le procédé développé par la start-up toulousaine est « plus séquentiel, avec des échanges d’électrons ». Il utilise la réactivité « exceptionnelle des radicaux de bore avec la molécule de diazote, dans un processus à basse température et basse pression ». Concrètement, cette innovation ouvre la voie à une révolution : produire de l’ammoniac décarbonée d’une manière compatible avec la production intermittente d’EnR et donc économiquement viable.

Une technologie qui pourrait bien sûr avoir des applications concrètes dans la fabrication d’engrais mais pas seulement assure Augustin de Bettignies : « À terme, elle pourrait aussi jouer un rôle majeur dans l’industrie de l’hydrogène et donc accélérer la transition énergétique. C’est vraiment le troisième étage du gâteau ! »

Parmi les 50 cleantech les plus prometteuses

Preuve de la pertinence du procédé développé par Swan-H, la jeune pousse a intégré le prestigieux palmarès 2024 des 50 start-up à impact les plus prometteuses du monde. Établi par l’entreprise américaine Cleantech Group, ce classement met en lumière les innovateurs qui mènent la charge « dans la lutte contre le changement climatique, l’épuisement des ressources et la dégradation de l’environnement ». Elle a aussi et surtout réussi à clôturer en septembre un second tour de financement de 1,3 M€ auprès de l’industriel Thermi Lyon Développement, Irdi Capital et Bpifrance.

Après une première levée de fonds en pré-amorçage de plus de 900 K€ en 2021, ces fonds additionnels doivent permettre à la pépite toulousaine de « dérisquer » encore un peu plus sa technologie. « Bien que nous ayons fait des avancées majeures avec des premiers résultats très probants en condition de laboratoire, il reste encore de nombreux défis à relever », tempère l’intéressé avant de poursuivre : « Nous travaillons actuellement à augmenter l’échelle de nos prototypes. Avant de les transférer à un ou des partenaires, ils ont besoin d’être améliorés grâce à des recherches poussées en chimie ou en électro-chimie. »

La start-up, qui emploie une quinzaine de personnes, ambitionne d’ailleurs de lever 10 M€ supplémentaires en 2025, toujours dans le but d’accélérer la montée en échelle de son système de production décentralisé d’ammoniac vert. « Le premier objectif sera de permettre à des industriels qui utilisent de l’ammoniac en petite et moyenne quantité de le produire localement avec des EnR. À terme, notre système pourrait venir remplacer les usines qui produisent ce procédé chimique pour fabriquer de l’engrais », conclut Augustin de Bettignies.