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Au restaurant étoilé En pleine nature : la liberté comme boussole

Interview. Entre 2024 et 2025, 16 restaurants ont reçu leur première étoile Michelin en Occitanie. Une distinction prestigieuse qui bouleverse la trajectoire de ces établissements. Aboutissement ou cadeau empoisonné, nous sommes allés poser la question aux principaux intéressés. Épisode 1 de cette saga estivale avec Sylvain Joffre, chef du restaurant En pleine nature à Quint-Fonsegrives.

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Après avoir reçu sa première étoile en 2014, Sylvain Joffre et son équipe ont reçu l’étoile verte du guide Michelin en 2024. (©La Gazette du Midi)

Comment définiriez-vous la philosophie de votre restaurant ?
Sylvain Joffre, chef du restaurant En pleine nature : Percutante et élégante, voilà comment j’aime décrire ma cuisine. C’est une identité culinaire que j’ai forgée au fil de mes expériences. J’ai eu en effet la chance de me former auprès des plus grands comme Michel Bras, chef aveyronnais triplement étoilé à la tête du restaurant le Suquet à Laguiole. Depuis l’ouverture du restaurant en 2011, mon but est de proposer à ma clientèle une cuisine qui me ressemble. Et ça commence avec le nom de l’établissement, En pleine nature, une référence au film Into the Wild, qui m’a beaucoup marqué et qui retranscrit bien ce que je suis. Cette volonté de liberté, d’aller au bout de soi-même pour ce qui nous passionne, d’aller chercher au fond de ses tripes et tout ça en communion avec la nature. Cette liberté, je l’ai toujours gardée, sans me brider pour avoir mes étoiles. J’ai obtenu la première en 2014, puis l’étoile verte en 2024.

Que vous ont apporté ces distinctions ?
Sylvain Joffre : La première étoile nous a bien sûr permis de gagner en visibilité. Les gens sont curieux et veulent surtout goûter la cuisine qui a été récompensée. Ça m’a aussi permis d’augmenter mes prix et de passer de 50  € pour le menu du soir à près de 90 € aujourd’hui. Nous avons également entamé de gros travaux en 2017 pour créer la véranda, la cuisine ouverte et refaire la décoration des deux salles pour un montant de 400 K€. L’année dernière, nous avons réussi à engranger un chiffre d’affaires de 1,4  M€. Pour autant, nos prix restent en accord avec les produits que nous cuisinons. Avec ma brigade de six personnes nous travaillons presque exclusivement avec les producteurs locaux, et depuis 20 ans, tous les samedis, je fais le marché de Pamiers, en Ariège, pour sélectionner moi-même les produits. Ce n’est pas parce que nous avons reçu deux étoiles qu’avec mon équipe de 18 personnes, nous avons changé notre manière de faire. J’ai toujours eu cette conviction que l’on peut faire un plat d’exception avec des produits simples comme une courgette ou un poireau. Pas forcement besoin de homard ou de caviar pour faire de la grande cuisine.

L’entrée au guide Michelin est un gage d’excellence. Avez-vous mis en place une stratégie pour obtenir votre première étoile ?
Sylvain Joffre : Non. J’ai à cœur de bien faire mon métier, de proposer à mes clients les meilleurs produits au meilleur moment et tout cela avec une exigence qui va du sourcing des produits au service en salle. Je cuisine pour partager avec les gens, pas pour les distinctions. L’étoile Michelin reste bien sûr une fierté. Elle vient en effet récompenser tout le travail accompli et les investissements réalisés. Les métiers de service, qui plus est dans la restauration, sont difficiles, qu’il s’agisse des horaires, de la vie sociale ou familiale. J’ai pu en faire l’expérience avec mes deux filles, aujourd’hui âgées de 12 et deux ans et demi. Mais ce sont des métiers passion, et quand on est passionné, on met du cœur à l’ouvrage.

L’étoile verte, que vous avez obtenue en 2024, récompense la démarche éco-responsable des restaurateurs. Une prise de conscience somme toute récente dans le milieu. Quand a-t-elle eu lieu pour vous ?
Sylvain Joffre : Je travaille en fonction des saisons depuis 2011. Cette volonté va de pair avec le fait de se fournir auprès de producteurs locaux. Je cultive, par ailleurs deux parcelles de jardin  : une juste à côté du restaurant et l’autre, un peu plus haut dans Quint-Fonsegrives, chez le maraîcher de la commune. Mais, s’il y a une personne à l’origine de cette étoile verte, c’est ma femme, Anna Christina. Elle est la sommelière du restaurant et il n’y a personne qui parle mieux de ma cuisine qu’elle. C’est comme un accord mets et vins, on se complète. Elle m’a poussé à créer un menu 100  % végétal, qui fait honneur aux légumes. Le plat du moment en est le parfait exemple. Nous l’avons élaboré autour de jeunes courgettes cueillies le matin même dont je farcis les fleurs de fromages frais et de purée de fleurs de courgette.

Quelle est la prochaine étape  ? Garder l’étoile, en décrocher une deuxième ou obtenir une autre distinction ?
Sylvain Joffre : Je ne cours pas après les récompenses. Recevoir une étoile Michelin c’est déjà très prestigieux. Je souhaite simplement continuer à faire ce que j’aime tout en continuant à faire vivre mon activité, surtout au regard de la période que nous traversons. En effet, le contexte économico-politique actuel ne permet plus aux commerçants et aux restaurateurs de travailler dignement. Comparé à d’autres, je n’ai pas forcément à me plaindre, mais je sens que tout est moins confortable qu’avant. Et cela m’attriste de voir que des entrepreneurs passionnées et compétents mettent la clé sous la porte.

Quels conseils donneriez-vous à une cheffe ou un chef qui souhaite obtenir une étoile ?
Sylvain Joffre : Simplement de rester fidèle à lui-même, de s’entourer de personnes qui partagent ses valeurs et de toujours travailler pour l’amour du métier, et pour rien d’autre.