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Décarbonation de l’industrie : Eco-Tech Ceram valide une première mondiale

Industrie. Chez Villeroy & Boch à Valence d’Agen (Tarn-et-Garonne), la pépite toulousaine vient de déployer deux innovations qui permettront à l’industriel d’améliorer sensiblement son bilan carbone et de réduire sa facture énergétique.

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Photo d'Antoine Meffre
Antoine Meffre, fondateur et PDG d’Eco-Tech Ceram (©ETC).

Face à l’urgence climatique, la décarbonation, c’est-à-dire la nécessité de baisser ses émissions de CO2, s’impose de plus en plus fermement aux industriels. Certains en région Occitanie ont déjà franchi le pas. C’est le cas de Villeroy & Boch, qui fabrique dans son usine de Valence d’Agen en Tarn-et-Garonne, des receveurs de douches, lavabos et éviers en céramique. Le dernier site de production français du groupe allemand, qui emploie 216 salariés permanents et intérimaires, a lancé l’an dernier un plan pluriannuel d’investissement de l’ordre de 6 M€ pour accélérer sa transition environnementale.

Parmi ces investissements figure la mise en œuvre de deux innovations développées par une start-up toulousaine, Eco-Tech Ceram (ETC), dont l’une constitue une première mondiale. Elles ont été inaugurées le 19 octobre en présence de Vincent Roberti, préfet de Tarn-et-Garonne, Jean-Michel Baylet, président de la communauté de communes des Deux Rives, Marie Castro, vice-présidente formation professionnelle de la Région Occitanie, Céline Vachey, directrice régionale de l’Ademe Occitanie, Laurent Santarelli, directeur de l’usine Villeroy & Boch et Antoine Meffre, fondateur et PDG d’Eco-Tech Ceram.

La chaleur fatale, un gisement énorme

Grâce à ce coup de projecteur, Antoine Meffre espère bien voir son activité décoller. Il a créé l’entreprise en 2014 après avoir soutenu une thèse de doctorat sur un système de stockage de l’énergie haute température au sein du laboratoire Promes du CNRS, à Perpignan. La start-up, qui emploie aujourd’hui 33 salariés, s’est donné pour ambition de concevoir une unité de stockage thermique pour valoriser l’énergie perdue dans les fumées des fours industriels. Elle constitue de fait un gisement énorme : dans l’industrie, la moitié de l’énergie est consommée sous forme de chaleur et plus d’un tiers de l’énergie consommée est perdue sous forme de chaleur. En France, le gisement de chaleur fatale rejetée par l’industrie équivaut à 110 TWh.

Une solution clé en main

En un peu moins de 10 ans, Eco-Tech Ceram, qui a été trois fois lauréate du concours mondial de l’innovation, a levé près de 40 M€ en plusieurs tours de table. Elle a aujourd’hui pour actionnaires Bpifrance, RGreen, Ademe Investissement, Qair, Johes et l’Aris, l’agence régionale des investissements stratégiques.

L’entreprise a également créé, avec le concours de l’Ademe, son propre outil de financement, Eco-Tech Invest, pour faciliter le déploiement de ses solutions. Opérant sur le modèle du tiers financement, ETC Invest a pour vocation d’acheter les infrastructures à Eco-Tech Ceram puis de louer et/ou de vendre de la chaleur décarbonée aux clients industriels qui n’ont dès lors pas de lourds investissements à réaliser. Eco-Tech Ceram peut ainsi proposer une solution clé en main éprouvée, à la fois technologique et financière.

Photo de L'Eco-Stock d'Eco-Tech à Villeroy & Boch à Valence d'Agen
Chez Villeroy & Boch à Valence d’Agen, Eco-Tech Ceram a installé deux innovations dont son Eco-Stock, solution de stockage thermique – labellisée par la fondation Solar Impulse – qui permet de capter, stocker et réinjecter la chaleur des fumées d’usine (©ETC).

C’est ce qui a notamment séduit Villeroy & Boch qui s’est donné pour objectif de réduire sa consommation énergétique annuelle de 5,5 GWh, évitant ainsi l’émission de près de 1 000 tonnes de CO2 par an, soit une réduction de ses émissions de 60 % d’ici 2027.

Villeroy & Boch et Eco-Tech Ceram travaillent sur ces solutions de décarbonation depuis 2021. Ce partenariat a conduit à l’installation en premier lieu d’un échangeur, un système de récupération et de valorisation de la chaleur fatale rejetée en sortie du four de cuisson pour alimenter le séchoir. « Avant de procéder à la cuisson des pièces en céramique, cette phase de déshydratation, dans le séchoir, se fait en brûlant du gaz, détaille Antoine Meffre. Dans le séchoir, les besoins sont de l’ordre de 80 et 100 °C. Or, les fours, qui chauffent à plus de 1 000°, recrachent, eux, beaucoup la chaleur fatale. La solution de bon sens consiste à récupérer cette chaleur qui part par la cheminée et à la renvoyer dans le séchoir. Désormais, celui-ci est 100 % décarboné. »

L’autre innovation développée par Eco-Tech Ceram et mise en œuvre à Valence d’Agen constitue une première à l’échelle de la planète. Elle combine un « Eco-stock », solution de stockage thermique – labellisée par la fondation Solar Impulse – qui permet de capter, stocker et réinjecter la chaleur des fumées d’usine, et le système « Power To Heat » qui convertit l’électricité en chaleur haute température. Ce dispositif permet d’alimenter le four avec de la chaleur décarbonée, et par voie de conséquence de réduire la consommation de gaz naturel. Eco-Tech Ceram a également développé des algorithmes pour optimiser la consommation d’électricité et rendre la décarbonation plus compétitive.

Première mondiale

Cette seconde innovation a été soutenue à hauteur de plus de 2,6 M€ par la Région (400 K€), l’Ademe (815 K€) et l’Union européenne (1,39 M€) ainsi que par l’Agence régionale Énergie Climat (Arec) et GreenFlex. Outre le site de Villeroy & Boch à Valence d’Agen, Eco-Tech Ceram a déployé ses solutions innovantes ailleurs en France : à Meymac, en Corrèze, chez Tégulys, un fabricant de tuiles artisanales, où l’installation d’un Eco-Stock a également été soutenue par l’Ademe, ainsi que chez ArcelorMittal à Dunkerque…

En 2022, nous avons signé 5 M€ de prise de commande auprès de Wienerburger, Villeroy & Boch, Thyssenkrupp, l’IMT Mines d’Albi. Et en 2023, nous avons livré quasiment l’intégralité de ces projets. Ce qui devrait porter notre chiffre d’affaires à 7 M€ cette année », précise Antoine Meffre.

D’autres projets sont à l’étude notamment chez Aubert & Duval, sur plusieurs de ses sites en Occitanie et en Auvergne-Rhône-Alpes.

Aller vite à l’international

« Le potentiel est monstrueux », assure le PDG d’Eco-Tech Ceram qui chiffre à plusieurs centaines de milliards d’euros par an le marché des économies d’énergie dans l’industrie. Sachant que la technologie de stockage développée par la pépite toulousaine pourrait aussi soutenir le développement des énergies renouvelables, un marché lui aussi en très forte expansion.

Notre objectif est de nous développer le plus vite et le plus fort possible pour avoir le plus gros impact possible dans l’industrie et dans les EnR », résume Antoine Meffre.

Un développement qui passera essentiellement par l’international et car rappelle-t-il : « La France représente 1 % des émissions mondiales de CO2, la Chine 33 %, l’Inde entre 7 et 10 %, les États-Unis 10 % ».

Toutefois, ce développement nécessitera, reconnaît-il, d’importantes levées de fonds et le soutien des financeurs.

Il faut nous améliorer, nous industrialiser, travailler efficacement avec les industriels et les institutionnels. Nous avons en effet encore besoin d’eux pour compenser le faible coût des énergies fossiles. Les prix étaient montés très haut l’année dernière mais depuis ils sont redescendus très bas. Or la rentabilité de ces projets est directement proportionnelle aux prix des énergies fossiles. Actuellement, cette rentabilité est basse », pointe-t-il.

Et Antoine Meffre de conclure : « ce que nous avons fait chez Villeroy & Boch est l’exemple type de ce que nous devons arriver à faire ensemble : un industriel qui veut décarboner et cherche des solutions ; Eco-Tech Ceram qui fournit ces solutions ; et l’État ou la Région qui apporte le soutien financier qui permet de démarrer le projet. C’est ce qu’on doit dupliquer ailleurs. »