Dermatose nodulaire contagieuse : en Occitanie, la colère agricole force l’État à entrouvrir le dialogue
Agriculture. Mobilisation des agriculteurs, création in extremis d’un comité scientifique : face à l’épizootie de dermatose nodulaire contagieuse, l’Occitanie s’impose comme l’épicentre d’un bras de fer entre l’État et le monde de l’élevage, sur fond de vaccination, d’abattages massifs et d’enjeux commerciaux. Une situation de crise qui a poussé le conseil régional à débloquer une aide d’urgence de 300 K€.
La journée du 15 décembre a marqué un nouveau tournant dans la crise de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Mobilisés dans toute l’Occitanie, les agriculteurs ont accueilli la ministre de l’Agriculture Annie Genevard dans un climat de tension extrême, avec des blocages et actions coup de poings menés sur tout le territoire.
À Toulouse, à l’issue d’une réunion organisée à la préfecture de région, place Saint-Étienne, le gouvernement a annoncé « l’ouverture du dialogue » et la création d’un comité scientifique indépendant. Une annonce reçue avec prudence par les syndicats agricoles, qui dénoncent depuis des semaines « un dépeuplement massif et aveugle » des troupeaux.
Une mobilisation sous haute tension en Occitanie
« À court terme, nous attendons que l’État revoie sa stratégie », résume Pierre Pintat, représentant des Jeunes Agriculteurs de Haute-Garonne, membre de l’intersyndicale mobilisée aux côtés de la FDSEA, de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale. En ligne de mire : le protocole imposant l’abattage de l’intégralité d’un cheptel dès la détection d’un cas de DNC. « Nous demandons la généralisation et surtout l’accélération de la campagne vaccinale engagée après la mise en place, le 12 décembre dernier, d’un cordon sanitaire autour des Pyrénées. Une fois celle-ci effectuée, l’abattage doit devenir sélectif. Aujourd’hui, continuer à dépeupler alors que les bêtes sont vaccinées est absurde. Il faut laisser le temps à la vaccination d’agir. »
La DNC est une maladie qui touche uniquement les bovins, buffles et zébus. Transmise principalement par des insectes piqueurs, elle provoque notamment fièvre, nodules cutanés et chute de production, avec une mortalité pouvant atteindre 10 % du troupeau selon les données du ministère. Sa propagation est liée aux mouvements d’animaux, d’autant plus difficile à maîtriser que sa période d’incubation peut atteindre 28 jours. Depuis fin juin et les premiers cas détectés dans les deux Savoies, 113 foyers ont été recensés en France au 15 décembre, dont plusieurs en Occitanie : Savoie (32), Haute-Savoie (44), Ain (3), Rhône (1), Jura (7), Pyrénées-Orientales (21), Doubs (1), Ariège (1) et Hautes-Pyrénées (1), Haute-Garonne (1), Aude (1).
La stratégie de l’État s’inscrit dans un cadre réglementaire européen édicté en 2017, qui classe la DNC parmi les maladies imposant un abattage immédiat des foyers contaminés. Décrié par certains, ce protocole s’appuie pourtant sur un consensus scientifique. C’est d’ailleurs sur cette vérité établie par une communauté d’experts que s’appuie la FNSEA, seul syndicat à défendre ce choix. « Il a fonctionné dans les Savoies », fait d’ailleurs valoir le ministère. Un argument que balaie pourtant l’intersyndicale dans le Sud-Ouest. En Occitanie, où l’on compte 16 500 exploitations bovines et plus d’1,2 million de têtes de bétail, 760 animaux ont été abattus dans 25 unités épidémiologiques (foyers).
Abattage systématique : le choix assumé de l’État
Car selon elle, si la maladie est aujourd’hui annoncée comme sous contrôle dans les Alpes, le dépeuplement massif n’aura malheureusement pas empêché qu’elle se repende dans le reste de l’Hexagone. Les agriculteurs dénoncent surtout un attentisme des pouvoirs publics, rappelant que « les chambres d’agriculture d’Ariège, des Pyrénées-Orientales et de l’Aude avaient demandé la vaccination il y a déjà plus de deux mois, et que l’État a refusé pour des questions d’export ». Une fin de non-recevoir qu’ils déplorent : « Si on avait été écoutés plus tôt, on ne serait pas dans cette situation. »
L’export, justement, cristallise les crispations. Car derrière la question sanitaire se joue aussi celle des débouchés commerciaux, l’exportation de bovins vaccinés étant conditionnée à l’accord des pays importateurs. À ce stade, seuls l’Italie et la Suisse acceptent, sous conditions strictes, des animaux issus des zones vaccinales, avec des délais de 28 à 60 jours après vaccination et un examen clinique obligatoire. De quoi nourrir de la part des syndicats le débat sur l’existence de marges de manœuvre permises par le règlement européen. Beaucoup reprochent de fait à l’État de ne pas jouer son rôle de régulateur, de ne pas être dans l’anticipation et d’être juste là pour « éteindre les incendies ».
Exportations de bovins : un argument qui divise
Après que l’intersyndicale a quitté la table des négociations en fin d’après midi, face à l’inflexibilité de la ministre Annie Genevard, plus tard dans la soirée, celle-ci est finalement revenue sur ses positions, entrouvrant la porte du dialogue. À 23h30, la préfecture de région a en effet officialisé une série d’annonces. « La ministre a décidé la constitution d’une cellule de dialogue scientifique dès demain », précise le communiqué, indiquant que cette instance réunira des scientifiques reconnus et des représentants professionnels, et qu’elle devra « examiner au plus vite, et en toute indépendance, les propositions formulées en Occitanie ». La ministre s’est également dite prête à étudier « un ajustement de la délimitation de la zone vaccinale », avec une possible extension au Tarn et à l’Hérault, comme demandé expressément par les représentants syndicaux.
Une avancée jugée « positive mais très insuffisante » par l’intersyndicale. « On ne parle pas pour l’heure de vraie satisfaction. Cela va dans le bon sens, mais nous attendons les conclusions de ce comité », tempère Pierre Pintat. D’autant que, sur le terrain, les abattages se poursuivent. « La colère est tellement grande que je ne suis pas sûr qu’une seule mesure puisse l’éteindre », prévient-il, dénonçant « le manque de communication et de suivi des éleveurs » et une gestion de crise vécue comme brutale. « L’attitude de l’État en Ariège avec le déploiement de forces de l’ordre dans une exploitation a été contreproductive et a renforcé notre détermination. »
Dans un contexte de changement climatique, où « ces maladies jusque-là réservées aux pays chauds vont se déclarer de plus en plus souvent dans nos territoires », les syndicats appellent à un changement de doctrine prenant en exemple la politique mise en place par le gouvernement vis-à-vis de la grippe aviaire. La stratégie de vaccination préventive contre l’influenza aviaire a permis de vacciner 60 millions canards entre 2023-2024. L’opération a été reconduite avec succès sur les douze derniers mois.
Des annonces jugées « insuffisantes »
Reste que pour la dermatose nodulaire contagieuse, qui pour la première fois a frappé la France métropolitaine [1], la vaccination n’a jamais été pratiquée à grande échelle. D’où la déclaration de la ministre de l’Agriculture le 16 décembre au micro de BFM TV : « Je ne peux pas abandonner une stratégie qui fonctionne sans savoir si les alternatives proposées fonctionnent. »
Quid de la suite de la mobilisation ? Malgré cette main tendue de l’État avec la constitution de ce comité scientifique, l’heure n’est pas encore à l’apaisement. Et pour cause, « cette épidémie vient s’ajouter à une succession de crises que traverse la profession », affirme Pierre Pintat. Pour redescendre en pression, les syndicats demandent au gouvernement de s’engager sur plusieurs sujets chauds à commencer par le traité du Mercosur qu’ils dénoncent ainsi que l’abandon de la taxe sur les engrais.
En Occitanie, les revendications portent plus particulièrement sur le développement du stockage de l’eau, le protocole relatif à la gestion des populations d’ours ou encore l’extension du périmètre des zones vulnérables à la pollution par les nitrates d’origine agricole. Autant de dossiers qui nourrissent une mobilisation appelée à durer, alors que les organisations agricoles promettent déjà de « maintenir la pression » dans les semaines à venir.
[1] En 1992, une vague de dermatose a touché l’ile de la Réunion, après celle de 1970 qui avait à l’époque, selon l’INA, provoqué la disparition de 4 % du cheptel. Pour un éviter une nouvelle catastrophe sanitaire, l’État avait mis en place une politique de vaccination généralisée associée à des restrictions de déplacement des bovins. Entre choix du vaccin à utiliser et errements dans la mise en place de la campagne, l’épidémie avait mis neuf mois à se résorber, avec au plus haut de l’épidémie, 400 exploitations confrontées à la DNC sur les 3 200 élevages réunionnais.