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En pleine croissance, le Medef 31 veut asseoir son influence

Interview. Réélu à la présidence du Medef 31, Pierre-Olivier Nau souhaite « concrétiser les orientations » mises en oeuvre durant son premier mandat. Influence à muscler, dialogue social à renouveler, lien entre l’école et les entreprises à renforcer... Tour d’horizon des grands enjeux.

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Pierre-Olivier Nau a été réélu à le mardi 26 septembre 2023 au poste de président du Medef Haute-Garonne, et ce pour trois ans.

Quel bilan tirez-vous de votre précédente mandature ?
Pierre-Olivier Nau : D’abord, que je tire beaucoup de plaisir à présider le Medef 31 et aussi de la fierté puisque l’on a réussi à faire monter à bord de nouveaux adhérents. +50 % par rapport à il y a trois ans, c’est une belle progression en termes de conquête. Avec aujourd’hui près de 800 adhérents, le Medef est le premier réseau d’entrepreneurs de Haute-Garonne. Et ça, c’est sans compter les effectifs des différentes branches adhérentes elles-mêmes.

Deu­xième élément positif de ce mandat, c’est que le Medef préside les principaux organismes paritaires du département et de l’ex Midi-Pyrénées. Je pense par exemple au tribunal de commerce, aux prud’hommes ou encore aux Urssaf. Et ça, ça fonctionne bien.

Autre satisfaction, notre capacité à produire des idées et du contenu. Et donc à faire progresser l’entreprise et aussi la société au sens large avec des commissions qui font très bien leur travail aussi bien sur les sujets de RSE, que la fiscalité, le sport, l’alimentation ou le tourisme. Les adhérents ne s’engagent pas à moitié. Ils le font vraiment de manière positive, et bâtissent du contenu très utile pour les adhérents eux-mêmes et aussi pour la communauté et les élus politiques.

Enfin, même s’il reste encore du boulot sur ce volet, le Medef s’éloigne peu à peu d’une image trop CAC 40 pour être ce qu’elle est réellement, à savoir que 85 % de nos adhérents à l’échelle nationale sont des PME et que chez nous, l’adhérent moyen a 32 salariés.

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Quelle est votre feuille de route pour les trois prochaines années ?
Pierre-Olivier Nau : Ce mandat 2023/2026 sera placé sous les signes de la continuité et de l’exigence afin de perpétuer et concrétiser les fortes orientations mises en œuvre durant le premier. Avec comme priorité de renforcer notre travail d’influence . On est là pour apporter des idées et des propositions aux élus et j’ai le sentiment qu’à l’échelle départementale, régionale et métropolitaine nous sommes de plus en plus écoutés. Le sujet étant bien sûr de savoir si on est entendu, écouté ou pris en compte. Un des enjeux pour la suite est de faire en sorte que le dialogue social soit une réalité et pas seulement une façade pour faire plaisir à la presse. Trop souvent, j’ai entendu des élus me dire que de toute façon “les entreprises ne votent pas donc qu’il n’y a pas forcément d’intérêt à les écouter”. C’est parfaitement inacceptable. Et c’est un point sur lequel je lutterai éternellement car même si ce n’est pas la perception de tous les élus, cela arrive encore trop souvent.

Le dialogue social est aussi un enjeu majeur au sein des entreprises : les CSE, les élus du personnel et leur direction doivent le renouveler et le renforcer. C’était d’ailleurs le sens de la loi Pacte de 2018. Ce dialogue social se traduit également dans les corps paritaires, donc entre les partenaires sociaux qui doivent apprendre à mieux travailler ensemble et ils l’ont prouvé avec les récents accords nationaux interprofessionnels. Mais le dialogue social, c’est aussi la capacité du monde politique à s’appuyer sur les corps intermédiaires que sont les syndicats patronaux et de salariés. Nous ne sommes pas de méchants capitalistes mais simplement des experts de nos sujets.

Allongement de la durée des stages, mentorat, création de bureaux des entreprises au sein des établissements… Ces mesu­res de la nouvelle réforme du lycée professionnel vont-elles dans le bon sens selon vous ?
Pierre-Olivier Nau : Oui, sans aucun doute. Alors on pourrait bien évidemment aller plus loin avec l’entrée des entreprises dans la gouvernance des lycées pro, mais, à ce stade, c’est déjà une belle avancée.

Surtout qu’au sortir de la crise sanitaire l’alternance et l’apprentissage ont connu un vrai succès. Beaucoup de gens se sont rendu compte que c’était un choix triplement gagnant : pour l’État ou les collectivités publiques, pour les jeunes qui apprennent un métier et pour les entreprises. Donc oui, le Medef est pour cette réforme du lycée professionnel même si bien évidemment cela va passer parfois par des éléments de contraintes comme l’apparition d’un stage de deux semaines pour les élèves de seconde. Il va falloir prendre le temps de bien les accueillir. Mais vous savez, avec le stage de troisième et l’apprentissage, je crois vraiment que les chefs d’entreprise ont depuis longtemps compris que c’était un investissement utile pour eux mais aussi pour la société dans son ensemble.

Quant à ces bureaux des entreprises, je trouve cela évidemment positif et surtout très utile. Ils vont servir de relais sur le terrain. Leur rôle sera aussi de vérifier que chaque accueil de stage se fait dans de bonnes conditions. Alors oui, j’entends certains dire que c’est l’entrisme du Medef dans l’Éducation nationale qui devrait rester un sanctuaire. C’est stupide de dire ça parce que les chefs d’entreprise sont parents eux-mêmes et deuxièmement, le but ce n’est pas de transformer les programmes scolaires mais d’inciter les jeunes à découvrir une passion à travers un métier ou à découvrir un métier à travers une passion. Dans un esprit en plus sociétal fort avec en toile de fond la nécessité d’une transformation climatique urgente donc là aussi il y a du gagnant-gagnant.

La question des filières sous tension est au cœur des débats depuis plusieurs mois. La Haute-Garonne est-elle aussi concernée ? Si oui, quelles solutions proposez-vous ?
Pierre-Olivier Nau : Derrière cette problématique je dirais qu’il y a un sujet de fond : la relation au travail. On se rend compte qu’il y a à la fois 8,5 % de taux de chômage en Occitanie et en même temps des milliers de postes à pourvoir dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des travaux publics et aussi dans l’industrie où les besoins sont très forts surtout dans une ambition de réindustrialisation.

Donc oui, de manière anormale il y a trop de gens qui sont au chômage ou au RSA auxquels il faut redonner envie de travailler. On espère que la récente réfor­me de l’assurance chômage va reconduire les gens plus facilement vers l’emploi. Je pense aussi que les dirigeants et les managers doivent revoir leur logiciel managérial. C’est-à-dire que l’engagement des salariés passe aussi par une meilleure implication mais pas que. Les entreprises doivent avoir une politique RSE et carbone plus clair pour motiver les jeu­nes. Après, sur la question de la loi immigration qui prévoit de mettre en place un titre de séjour métiers en tension, ça fait effectivement partie des solutions intéressantes à essayer.

La formation est-elle toujours le talon d’Achille de la France comme le déplorent certains syndicats patronaux ?
Pierre-Olivier Nau : Sur la formation initiale on vient d’aborder la réforme du lycée professionnel donc on a un début de réponse. Nous-même, au Medef 31, on a un CFA qui va accueillir 1 600 étudiants cette année sur des métiers de service : restauration, gestion-comptabilité… Tout ça pour dire que sur ce sujet, les corps intermédiaires prennent leur responsabilité et c’est aussi pour cela que nous demandons à être associés à la gouvernance des lycées professionnels à termes.

Le goût de l’entreprise dans les formations générales doit aussi être présent. Comment ? Via des interventions dans les collèges et lycées pour présenter un métier mais aussi par la visite d’entreprise. Après, concernant la formation permanente, dire que c’est le talon d’Achille de la France, c’est exagéré. On n’est pas si mauvais mais il faut que les filières s’adaptent constamment, que les opérateurs de compétences (Opco) soient gouvernés par le monde des entreprises elles-mêmes et que les budgets soient gérés par les entreprises et non pas par des politiques. Ça, ce n’est plus possible. Et donc là aussi ça passe par le dialogue entre les corps intermédiaires comme le Medef et les élus pour dire quelles sont les formations adaptées aux besoins de telles régions.

Les entreprises font face depuis près de deux ans à une inflation record. Quels sont les secteurs les plus en difficultés dans le département ? Et comment les aidez-vous ?
Pierre-Olivier Nau : Celles qui sont le plus en difficultés sont les mêmes qui peinent à recruter : l’industrie, le BTP, la restauration… bref toutes les filières qui consomment beaucoup d’énergie. Pour les aider, le Medef a participé aux négociations qui ont notamment abouti à la mise en place du bouclier tarifaire. On a aussi mis en place des systèmes d’appels entrant ou de guichet unique pour orienter les chefs d’entreprise sur les aides disponibles et aussi pour signaler à la Préfecture les cas les plus critiques. Depuis, la situation s’est un peu calmée. On est revenu à des prix qui sont certes trois fois supérieurs aux États-Unis, mais qui sont plus « acceptables ».

Toujours sur l’inflation, les entreprises ont-elles vraiment joué le jeu sur les salaires ?
Pierre-Olivier Nau : Oui, les entreprises ont joué le jeu puisque les salaires ont augmenté en moyenne de 4,6 % depuis un an. Franchement ce n’est pas neutre comme augmentation et c’est une vraie réponse au pouvoir d’achat.

Par ailleurs, on pense profondément que l’indexation des salaires sur l’inflation est une très mauvaise idée. Parce que cela ne ferait qu’entretenir le cycle inflationniste. Des pays l’ont déjà mis en place par le passé et ça a toujours été un échec. En revanche, moi je dis que le partage de la valeur est quelque chose à développer. Ça a du sens de proposer aux collaborateurs de rentrer au capital plus facilement et de se poser la question des profits exceptionnels et de leur partage.

Dernier point, moins on aura à payer d’impôts, notamment de production, plus les chefs d’entreprise seront en capacité d’investir et de payer des meilleurs salaires ainsi que des primes.

L’emploi des seniors est la clé de voûte de la réforme des retraites. Comment les entreprises haut-garonnaises vont-elles s’adapter ?
C’est difficile d’avoir une réponse générale pour tous les secteurs parce que vous vous doutez bien qu’un senior sur un chantier et un senior dans un bureau ce n’est pas du tout la même considération à avoir. En revanche, ça pose la question de l’évolution des salariés vers d’autres postes quand cela devient nécessaire.

Lorsque des personnes ne peuvent plus assumer physiquement une collaboration, il faut davantage se tourner vers une logique de formation des plus jeunes. Je pense vraiment que la transmission est une des clés. Après c’est vrai que c’est plus facile à mettre en œuvre dans les grosses boîtes que dans les PME où il y a moins de redondance et plus de polyvalence sur chaque fonction. C’est donc un point sur lequel nous devons nous pencher et peut-être que ça rejoint votre question sur la formation permanente aussi. C’est-à-dire comment associer ces personnes-là à une meil­leure politique de formation interne de l’entreprise.

Pour terminer, et pour vous dire clairement les choses, le Medef était bien sûr pour cette réforme des retraites mais après, concrètement sur le terrain ça pose des questions et pour certains des difficultés. C’est à nous de nous adapter et de trouver des solutions. Un gros travail national est en cours sur ce sujet.