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Événementiel : entre inquiétude et amertume

Événementiel. La recrudescence des cas de Covid-19 liée à l’émergence du variant Omicron, plonge le secteur dans de nouvelles difficultés.

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Patrice Vassal (GL Events, directeur général du Meett), Philippe Belot (vice-président de l’UMIH 31), Thomas Fantini (Groupe Esprit Pergo, vice-président du Medef 31), Pierre-Olivier Nau, président du Medef 31 et Patrice Falcou (Falcou traiteurs, vice-président de la CCI de Toulouse) le 20 décembre à Toulouse. Agnès Bergon

Ils espéraient être sortis d’affaire mais la réalité est tout autre. Après deux ans de crise économique, conséquence de la crise sanitaire, les professionnels des filières de l’événementiel, de la restauration, des traiteurs, de la nuit et du tourisme voient l’horizon s’obscurcir de nouveau. Face à la recrudescence des contaminations, deux petites phrases de la ministre du Travail puis du Premier ministre ont suffi à doucher le moral de ces professionnels.

Le 26 novembre, Élisabeth Borne, interrogée sur France Info, sur la capacité d’organiser des événements d’entreprise, avait en effet répondu : « ce n’est pas recommandé. […] La consigne est d’éviter d’en faire ». Le 6 décembre, c’était au tour de Jean Castex d’affirmer, pointant dans les entreprises « les pots de départs, les séminaires, les moments festifs de fin d’année » : « on arrête, on lève le pied, on se protège ».

Les effets sur l’activité du secteur ne se sont pas fait attendre. Or, pour certains professionnels, cette 5e vague pourrait bien être celle de trop. C’est ce qu’ont expliqué le 20 décembre dans les salons de l’hôtel du Grand Balcon à Toulouse, les représentants des différents secteurs d’activité : Jean- François Renac (Miharu), Philippe Belot (vice-président de l’UMIH 31), Thomas Fantini (Groupe Esprit Pergo, vice-président du Medef 31), Patrice Falcou (Falcou traiteurs, vice-président de la CCI de Toulouse), Patrice Vassal (GL Events, directeur général du Meett) et Nathalie Faidherbe (C & N Traiteurs), réunis autour du président du Medef 31, Pierre-Olivier Nau.

Un cri d’alarme

« Nous voulons alerter sur l’impact très fort de cette vague, détaille ce dernier, et l’incertitude qu’elle crée sur nos activités. Nous attendons du gouvernement qu’il prenne des mesures immédiates et fortes, et non pas ce que nous considérons comme des mesures non abouties, voire des demi-mesures telles que celles récemment élaborées. Nous souhaitons aussi nous adresser aux donneurs d’ordre de la filière événementiel, qui sont souvent de grandes entreprises, dont nous attendons aussi une forme de solidarité, quant à leur capacité à ne pas exiger le remboursement des acomptes ou des arrhes versés. Le troisième point sur lequel nous voulons alerter, c’est l’épuisement que cette cinquième vague engendre : une grosse fatigue et un véritable sujet de santé mentale à la fois chez les dirigeants et chez leurs salariés. Avec l’apparition d’un phénomène d’attrition chez ces derniers qui ont clairement envie de quitter nos secteurs d’activité. Ce qui pose un réel problème quant à la capacité de ces entreprises de reprendre leur activité quand elle repartira. »

« Nous n’avons pas eu à déplorer de clusters dans nos évènements »

Patrice Falcou se fait le porte-parole des traiteurs. « Depuis le 26 novembre, nous avons subi de nombreuses annulations : de fait, tous les événements du mois de décembre ont été annulés, explique-t-il. La grosse inquiétude des traiteurs, et pas seulement à Toulouse, c’est l’incertitude sur janvier et février. Nous avons déjà des annulations sur ces mois-là. Nous sentons également une grande détresse des employeurs. Alors qu’on commençait à peine à se relever, septembre, octobre et novembre ayant été de bons mois, on retrouve ce phénomène de yo-yo très mal vécu par les chefs d’entreprise. Cela met nos salariés sous tension et certains reparlent de changer de métier. Nous avons donc beaucoup d’inquiétude pour demain. »

« Des chefs d’entreprise ne pourront pas tenir, d’autres auront du mal à recruter, ce qui fait qu’ils ne pourront pas répondre à l’offre »

Pour le vice-président de la CCIT, l’incompréhension est d’autant plus grande que, ajoute-t-il, « nous avions mis en place toutes les mesures de sécurité sanitaire. Cela fonctionnait très bien et, du reste, nous n’avons pas eu à déplorer de cluster dans nos événements. Ce qui signifie que toutes les mesures ont été prises et bien prises par les chefs d’entreprise. Nous sommes donc dans un état d’urgence. Le gouvernement est au courant de nos difficultés, mais la réaction est un peu longue. On nous parle de chômage partiel, d’EBE (excédent brut d’exploitation, NDLR), de coûts fixes mais la baisse de chiffre d’affaires pour déclencher ces aides est pour l’instant très élevée. On reste dans une incertitude totale et les dirigeants sont extrêmement inquiets. »

« La situation touche un grand nombre de salariés en France »

Thomas Fantini, vice-président du Medef 31, évalue, lui, la perte de chiffre d’affaires à « 50% sur décembre, ce qui a une répercussion sur l’ensemble de la filière, à savoir les prestataires techniques ou l’alimentation, puisque cela se traduit par des baisses de commande. Sur le premier trimestre 2022, nous sommes déjà à -20 % de commandes validées à ce jour par rapport à ce que nous faisons habituellement. Les répercussions de cette nouvelle vague vont être longues et fortes sur l’ensemble de la filière. Nous sommes également très inquiets, s’agissant de nos collaborateurs dont le moral est fortement en baisse. Cela impacte la qualité des prestations mais aussi nos capacités de développement. »

« Sachant que nos fonds propres ne se reconstituent pas, nous allons nous retrouver dans une situation délicate au premier semestre 2022, au moment de rembourser les PGE. Personne ne sera en capacité de le faire. Il ne faut pas minorer ce qui est en train de se passer, mais avoir une vision à long terme parce que nos secteurs vont connaître de grosses difficultés. Des chefs d’entreprise ne pourront pas tenir, d’autres auront du mal à recruter, ce qui fait qu’ils ne pourront pas répondre à l’offre. On peut élargir l’impact de cette 5e vague à la restauration et jusqu’aux producteurs alimentaires. La restauration connaît en effet la même situation avec des taux de 40 à 60 % d’annulation sur décembre et sur janvier. La situation touche donc un grand nombre de salariés en France. »

Compensation d’un préjudice important

Philippe Belot, lui-même patron d’une discothèque, confirme les chiffres annoncés. « En Occitanie, la baisse des chiffres d’affaires dans la restauration en décembre se situe entre 45 et 60%, sachant que le mois de décembre est un mois qui pèse souvent pour 20% du chiffre d’affaires de l’année. Du reste, les annulations pour le réveillon se poursuivent. On est vraiment rentré dans une phase de récession très importante. Et je ne parle pas des discothèques qui sont aujourd’hui fermées et qui n’ont aucune aide. Après avoir vécu 16 mois de fermeture d’affilée – certains n’ont pu rouvrir qu’en septembre, ce qui fait 18 mois de fermeture – et après trois mois de redémarrage, on referme et, ce coup-ci, sans rien. Parce qu’il ne faut pas croire que les soi-disant aides – du reste, nous ne demandons pas des aides mais la compensation d’un préjudice qui est important – sont à la hauteur. Certains pensent que le dispositif coûts fixes couvre tout, mais ce n’est pas le cas. Cela ne couvre pas les impôts et les taxes, ni les frais financiers, ni les crédits, le reste à charge sur le chômage partiel… »

Le professionnel pointe également des décisions prises « une nouvelle fois sans concertation, sans mesures d’accompagnement en amont, à croire qu’en deux ans personne n’a pu apprendre. La situation est donc véritablement critique et dramatique. Nous n’avons plus de trésorerie, sachant que le trimestre prochain nous devrons commencer à rembourser les PGE. C’est totalement impossible d’y faire face et je pense que nous allons vers un nombre important et croissant de faillites ».

« Laissez-nous travailler »

Le patron du Meett, Patrice Vassal, exprime lui aussi ses inquiétudes, particulièrement sur l’emploi. « Nous avons essuyé une série d’annulations notamment pour les petits événements d’entreprises à caractère festif soit de fin d’année, soit de début d’année. Toutefois, il faut noter que nous avons mis en place, depuis deux ans maintenant, un certain nombre de protocoles pour assurer à la fois aux organisateurs, mais aussi aux visiteurs qu’ils viennent dans des conditions sécurisées. Grâce à cela, force est de constater que les organisateurs d’événements de plus grande envergure souhaitent maintenir leurs événements. J’en veux pour preuve trois événements qui doivent se dérouler au mois de janvier et qui, pour l’heure, ne sont absolument pas remis en cause. »

« Les pouvoirs publics doivent maintenant faire en sorte que l’on puisse ouvrir l’année 2022 avec un cadre »

« Nous-mêmes, au sein de GL Events, nous sommes les organisateurs d’un salon professionnel autour des métiers de bouche fin janvier que, pour l’instant, nous souhaitons maintenir. L’autre chose que je souhaite souligner, c’est le paradoxe entre les annonces faites et le comportement du grand public lors des événements que nous avons accueillis à la fin de l’année. Notamment le salon des créateurs et artisans d’art qui a clôturé la saison : il a connu une croissance très importante du nombre de visiteurs par rapport à 2019, malgré la crainte du Covid, etc. Les citoyens se comportent en vivant avec et non plus en arrêtant de vivre. Cela va dans le sens de « laissez nous travailler ». Nous sommes armés pour. Cela fait deux ans que nous travaillons sur des protocoles très contraints. Aujourd’hui on a appris à travailler avec, les entreprises aussi et les visiteurs sont prêts à venir. »

Absence de cadre réglementaire clair

Même son de cloche du côté de Jean-François Renac, à la tête de Miharu, exploitant de plusieurs sites d’événementiels et président du collectif Events 31 qui représente la filière à Toulouse : « Nous avons commencé à collecter des chiffres auprès des professionnels, qui font état de près de 70% d’événements annulés sur décembre et de plus de 90% sur le mois de janvier. Il y a effectivement une différence fondamentale entre les grands événements grand public et les événements en BtoB. Les interventions de la ministre du Travail et du Premier ministre ont été extrêmement mal comprises par nos clients puisque nous n’avons pas d’interdiction d’ouvrir, contrairement aux discothèques. Nous pouvons mener les événements. La difficulté que nous rencontrons c’est l’absence de cadre réglementaire clair. »

« Nous faisons en effet face à des chefs d’entreprise auxquels on a dit qu’ils ne devaient pas organiser leurs événements de fin d’année, et qui nous demandent le remboursement intégral des acomptes qui ont été perçus alors que, juridiquement, nous n’avons pas à rendre ses acomptes puisque les événements peuvent se tenir. Il y a donc une épreuve de force qui se noue aujourd’hui entre nous et nos clients et c’est extrêmement compliqué pour l’ensemble de la filière de résister. Dans ce contexte, alors qu’on engrange déjà des annulations sur février et mars, la grosse inquiétude des entreprises, qui ont assez peu reconstitué leurs fonds propres de juin à novembre, c’est de ne pas avoir, faute d’aides, les reins assez solides pour tenir un semestre de crise de plus. La majorité d’entre nous ne pourra pas tenir dans la durée. »

Des mesures immédiates

Nathalie Faidherbe, de C & N Traiteurs, pointe elle aussi le flou juridique dans lequel se trouvent plonger les entreprises. « J’en appelle à la responsabilité du gouvernement, explique-t-elle, qui a demandé aux entreprises et aux collectivités d’être responsables et de faire attention, tout ça sans donner de cadre. Les pouvoirs publics doivent maintenant faire en sorte que l’on puisse ouvrir l’année 2022 avec un cadre. Il y a des solutions, les normes sont bien respectées, nous y avons beaucoup travaillé et nous n’avons pas créé de cluster », appuie-t-elle.

Le président du Medef 31 attend, lui, du gouvernement des « réponses immédiates pour compenser ces pertes d’exploitation, à travers des mesures claires autour du chômage partiel et du Fonds de solidarité notamment. » S’agissant des PGE, le patron des patrons haut-garonnais précise : « pour une partie des acteurs, plus ça va et plus il sera difficile de rembourser les premières échéances de mars ou d’avril, sans compter que cela obère la capacité d’investir de beaucoup d’entreprises. Loin de nous l’idée de supprimer les PGE : toute aide doit être remboursée. En revanche, nous attendons également des réflexions autour de la possibilité de reporter les échéances ou de les transformer en obligations de plus longue maturité, c’est-à-dire des quasi-fonds propres et ainsi alléger ponctuellement notre trésorerie pour le printemps prochain. »