Face à un trafic passagers en dents de scie, l’aéroport de Toulouse-Blagnac accélère sa diversification
Transport. Tiré par le trafic international, l’aéroport de Toulouse-Blagnac a accueilli 7,8 millions de passagers en 2024. Une fréquentation encore loin de ses standards d’avant Covid mais qui ne freine pas les ambitions d’ATB. La société gestionnaire annonce poursuivre en 2025 ses investissements pour améliorer l’expérience passager, gagner en attractivité et accélérer sa décarbonation.

Le couperet est tombé. Et ce n’est malheureusement pas une surprise. Le 12 mars dernier, à l’occasion de la présentation de ses résultats annuels, l’Union des aéroports français (UAF) par la voix de son président Thomas Juin, a alerté sur le « décrochage » en 2024 des plateformes hexagonales par rapport aux pays concurrents du Sud de l’Europe, notamment l’Espagne, l’Italie ou le Portugal.
Si des disparités de dynamique et de résultat existent bien, a-t-il reconnu, le patron des aéroports français déplore une « sous-performance globale » et tire la sonnette d’alarme pour les mois à venir. Dans son viseur, une fiscalité française qu’il juge « mortifère » pour les aéroports notamment régionaux : « Surtaxer le transport aérien ne sera pas sans conséquence pour l’industrie touristique, les échanges économiques et l’accessibilité des territoires. Voilà pourquoi l’UAF réclame que le PLF 2026 annule les hausses de fiscalité décidées dans la loi de finances pour 2025. »
Un secteur aérien concurrentiel sous pression
Une inquiétude partagée par Christian Cassayre, le président du conseil de surveillance de la société Aéroport Toulouse-Blagnac (ATB) et Philippe Crébassa, président du directoire. Réunis également le mercredi 12 mars lors du traditionnel rendez-vous avec la presse pour la présentation des résultats d’activité 2024, les deux hommes sont revenus sur les « pressions » et défis auxquels sont confrontés le secteur aérien dans son ensemble mais aussi plus particulièrement l’aéroport toulousain.
Outre le volet fiscal avec la hausse depuis le 1er mars 2025 du barème de la taxe sur les billets d’avion (TSBA) [1] qui vient s’ajouter à celle sur les infrastructures de transports longues distances, Christian Cassayre pointe du doigt la pénurie significative d’appareils en raison du délai de production et de maintenance prolongé chez les grands fabricants :
Cela pousse les compagnies à plus de sélectivité sur des critères principalement de compétitivité des aéroports en termes de prix, de qualité de services, de disponibilité de créneaux et de facilité à opérer sur la plateforme. »
Une « sélectivité » qui n’est pas sans conséquence, notamment au regard de l’enjeu de réduction des nuisances sonores entre minuit et 6 heures du matin. « Cela nécessite en effet de trouver un juste équilibre entre les préoccupations environnementales et les impacts socio-économiques des opérations aéroportuaires ».
L’année dernière, les vols de nuits ont baissé de 23 % avec 954 atterrissages et décollages comptabilisés, contre 1 236 en 2023. Concernant les vols commerciaux passagers, le volume a diminué de 855 en 2023 à 587 en 2024 (- 31 %). Enfin, le nombre de vols dits basculants, qui pour des raisons de retard arrivent après minuit, ont chuté de 26 % en un an.
Mutation de son modèle d’activité
Malgré ces freins et ces contraintes, le directeur financier du groupe Eiffage, actionnaire principal d’ATB depuis 2019, s’est montré confiant et rassurant quant aux capacités de l’aéroport de Toulouse, le 5e de France, à tenir le cap et à déployer « une feuille de route ambitieuse » pour les années à venir tant sur le plan commercial qu’environnemental. Une ambition renforcée par des résultats financiers 2024 en hausse avec un chiffre d’affaires de 160 M€ (+3,9 %) et un résultat net stabilisé autour des 19 M€.
Avec cette nouvelle feuille de route, ATB entend poursuivre ses investissements pour améliorer l’expérience passager, gagner en performance opérationnelle et en attractivité. « Notre activité poursuit sa mutation : le réseau des lignes intérieures se remodèle, celui des lignes internationales ne cesse de s’étendre. Le présent et le futur de la plateforme se conjuguent donc désormais à l’échelle de l’Europe et au-delà sur l’intercontinental », a déclaré Philippe Crébassa. Sa priorité pour 2025 ? Continuer de développer des partenariats avec les compagnies pour répondre aux évolutions des marchés professionnels, affinitaires et touristiques. Objectif : étoffer encore et encore son réseau aujourd’hui composé de 84 destinations, opérées par 25 compagnies aériennes, et 16 grands hubs mondiaux.
Ces ambitions fortes autour de l’international se feront-elles au détriment du trafic intérieur ? Non assure le président du directoire de l’aéroport Toulouse-Blagnac, « nous aurons toujours des lignes domestiques, sauf si le gouvernement décide de les bannir », a-t-il ironisé avant de revenir plus en détail sur les raisons de cette baisse :
Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que c’est un atypisme qui est aussi en train de se corriger à Toulouse. En 2019, les vols domestiques représentaient 50 % du trafic total, quand sur les grands autres aéroports régionaux, on était plutôt autour de 25-30 %. À elle seule, la ligne sur Paris faisait 33 %. Nous avions donc une hypertrophie de cette ligne qui faisait notre force mais qui, aujourd’hui, dans une phase de transition, constitue notre talon d’Achille. Notre mission est maintenant de traverser le mieux possible cette période de turbulence qui va courir sur 2025 et 2026, pour ensuite repartir dans une dynamique de croissance. Un rebond qui concernera autant le domestique (de l’ordre de 2 à 3 % par an) que l’international. »
Nouvelles installations photovoltaïques
Autre enjeu majeur : la transition énergétique. Alors que l’aéroport vise une neutralité carbone dès 2029 pour ses émissions directes, Philippe Crébassa a annoncé de nouveaux projets d’envergure en la matière. Après la mise à disposition de carburant d’aviation durable sur l’aéroport ou encore le déploiement d’une flotte de camions fonctionnant à 100 % avec de l’huile végétale hydrotraitée (HVO) [2], ATB veut valoriser des espaces inutilisés côté piste avec la construction d’un ensemble de centrales photovoltaïques. Objectif : dépasser les 60 mégawatts-crête (MWc).
Un chantier chiffré à plusieurs millions d’euros dont le financement, la réalisation et plus tard l’exploitation se feront avec l’appuie d’un groupement constitué de la société Sun’R (rachetée par Eiffage Concessions en 2022), spécialisée dans les infrastructures énergétiques intelligentes et de l’Arec Occitanie, bras armé de la Région dans le domaine des projets de transition énergétique.
Enfin, si Philippe Crébassa assume et revendique même « d’explorer de nouvelles voies pour réinventer l’avenir de la plateforme », un doute persiste : seront-elles suffisantes pour lui permettre de retrouver ses niveaux d’activité pré-Covid ? Pour le principal intéressé, la question ne pose pas, ou plus vraiment, en ces termes. « Maintenant la priorité est d’avoir la meilleure économie possible avec le trafic qu’on est capable d’aller chercher. D’où l’importance de maintenir et de renforcer notre stratégie de diversification. »
Une stratégie qui porte déjà ses fruits selon lui : « En 2024 par exemple l’immobilier a produit un chiffre d’affaires quasiment similaire à celui des parcs autos, 27 M€ versus 30 M€. C’est ça, la mutation de notre modèle, la réalité et notre avenir. Nous n’aurons pas une activité monolithique qui dépendra uniquement du trafic. Donc, c’est aussi ça qui nous rend sereins et confiants dans l’avenir, parce qu’à Toulouse nous avons la chance d’avoir de nombreux atouts. »
[1] Depuis le samedi 1er mars 2025, la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) a été revue à la hausse. Elle passe de 2,63 € à 7,40 € pour les vols domestiques et vers l’Europe, et double à 15 € pour les destinations extra-européennes.
[2] Le HVO est un biocarburant synthétique fabriqué à base d’huiles hydrotraitées, pour aider les professionnels à décarboner leur mobilité. Il permet de réduire les émissions de carbone de 85 % par rapport aux carburants traditionnels.