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Foie gras, une filière sous tension mais résiliente

Agroalimentaire. La filière foie gras, c’est 20 millions de canards en France. 75 % des exploitations se trouvent dans le Sud-Ouest : 50 % en Nouvelle Aquitaine et 25 % en Occitanie. Pour sortir de la crise, l’interprofession du foie gras dans le Sud-Ouest, le Cifog, mise beaucoup sur la vaccination. Explications avec Marie-Pierre Pé, sa directrice générale.

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L’année dernière, une quatrième vague de grippe aviaire a durement frappé les exploitations avicoles. Deux régions ont été particulièrement touchées : le Sud-Ouest et les Pays de la Loire. (Crédit : CIFOG)

L’année dernière, le Sud-Ouest a de nouveau été frappé par la grippe aviaire. Quand et comment le virus s’est-il propagé ?

Au cours de l’hiver 2021-2022, les pre-miers foyers de contamination sont partis du Gers. L’épidémie a ensuite touché l’ensemble du bassin de l’Adour, avant de s’exporter début février2022 vers les Pays de la Loire, la deuxième région française productrice de volailles, pourtant épargnée jusqu’ici.

Au printemps, c’est le Périgord et le Quercy qui ont été impactés. Donc concrètement, au cours de cette quatrième crise d’influenza aviaire qui touche la France depuis la fin de l’année 2021, tous les principaux bassins de production du foie gras ont été dévastés.

Conséquence, la production a chuté de 35 %. Avec cette difficulté supplémentaire que la région Pays de la Loire abrite 75 % de la production de canetons à foie gras et de nombreux élevages de reproducteurs indispensables à la reprise de l’activité après les abattages.

Or, l’an dernier, 90% de ces reproducteurs ont été décimés. Et même si les couvoirs ont remis en élevage de futurs reproducteurs dès le mois de mars, le processus de repeu-plement des élevages est impacté sur le long terme car il faut six mois pour qu’une cane commence à pondre. La filière est donc partie pour faire face à une pénurie de canetons.

Dans ce marasme, y a-t-il eu malgré tout des bonnes nouvelles ?

La bonne nouvelle, c’est indénia-blement la mise en œuvre pour la pre-mière fois du Plan Adour par et pour la filière palmipèdes et la filière volailles entre le 15 décembre 2022 et le 15 janvier 2023. Période pendant laquelle, les communes les plus peuplées en élevage avicole du Gers, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques ont instauré un vide sanitaire synchronisé. Le but de cette dédensification était bien sûr de faire obstacle à la propagation du virus et ainsi éviter une nouvelle crise aviaire dans le Sud-Ouest qui aurait été dévastatrice. Et ça a fonctionné.

C’est la preuve une nouvelle fois qu’en travaillant intelligemment et surtout collectivement, il est possible de trouver des solutions effectives.

Si sur le plan sanitaire, le Plan Adour semble effectivement avoir prouvé son efficacité, est-il pour autant souhaitable et surtout viable sur le long terme ?

Non. Car si les pouvoirs publics ont bien répondu présents et ont indemnisé les producteurs impactés, ce vide sanitaire synchronisé dans les bâtiments de canards a entraîné une baisse significative de la production. Cela a provoqué un effet boule de neige en fragilisant tous les acteurs de la filière depuis les couvoirs jusqu’aux entreprises de transformation en passant par les éleveurs. En effet, pour compenser une partie de cette pénurie, les entreprises ont dû se résoudre à piocher dans leurs stocks qui sont maintenant au plus bas.

Il faudrait que la production en élevage remonte en 2023 de 20 à 25% juste pour assurer la mise en marché équivalente à 2022. C’est donc très compliqué. À cela vient s’ajouter l’envolée des coûts de production (énergie, matières premières, transport...) due à l’inflation. Le coût de production moyen d’un canard élevé et engraissé a augmenté de 24% entre 2021 et 2022, et de plus de 15 % entre mars2022 et mars2023. Cela s’est forcément traduit par une hausse des prix du « produit foie gras » pour le consommateur.

Dans un communiqué datant du 22 mars, vous appeliez justement au soutien de tous les acteurs du marché. Que demandiez-vous exactement et à qui surtout ?

Dans ce communiqué, le Cifog demandait aux distributeurs la bonne prise en compte des coûts en raison, précisément, de l’inflation des matières premières pour établir le prix final aux consommateurs. Nous avons également réclamé l’aide de l’éxécutif pour pouvoir préserver les élevages de reproducteurs avec la mise en place de périmètres de sécurité dès lors qu’une épizootie se déclenche.

Et aussi de leur soutien en prévision de la mise en place d’une campagne de vaccination qui aura forcément un coût puisqu’elle va s’accompagner de l’achat du vaccin, de son inoculation et aussi par tout un protocole de surveillance des animaux vaccinés. Enfin, nous demandions aussi aux consommateurs de continuer à acheter foie gras, magrets et confits. De rester fidèles à ces produits qui, on le sait grâce aux différentes enquêtes menées, sont toujours autant appréciés par les Français. La baisse de consommation actuelle est due à la pénurie d’offre et non pas à un quelconque désamour.

Vous avez fait allusion à la vacci-nation des canards. Le ministère de l’Agriculture a annoncé le 25 mai dernier qu’elle pourrait être lancée dès l’automne prochain. Qui est concerné ? Et quid de la logistique ?

Si toute la logistique concernant cette campagne massive de vaccination est encore en train de se caler, le gouver-nement a publié une feuille de route. Le premier point, c’est bien sûr l’achat en quantité suffisante de doses de vaccin pour pouvoir vacciner sur une année plus de 40 millions de canards de la filière chair et de la filière foie gras.

Le gouvernement a publié mi-avril un appel d’offres remporté depuis par le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim qui sera chargé de produire 80 millions de doses de vaccin antigrippe aviaire. Le deuxième point de cette feuille de route concerne l’éla¬boration d’un scénario de vaccination qui soit suffisamment robuste sur le plan scientifique pour être efficace. Voilà pourquoi nous avons choisi de la rendre obligatoire pour tous les canards.

Sur la logistique de distribution du vaccin, cela est du ressort de l’État avec le concours des vétérinaires qui devront aussi s’assurer de la traçabilité des lots vaccinés et gérer le rappel vaccinal puisqu’il va y avoir deux injections à faire. Et enfin, il faut aussi mettre en œuvre un dispositif de surveillance. Une surveillance dite passive sera faite par l’éleveur lui-même sur son exploitation avec des prélèvements à effectuer toutes les semaines sur ses animaux retrouvés morts. Une autre surveillance sera, elle, réalisée une fois par mois par les vétérinaires qui se rendront dans les élevages pour faire d’autres prélèvements qui seront ensuite analysés par des laboratoires agréés.

Il faut donc avoir une traçabilité de ces analyses. C’est un chantier énorme qui nous attend mais je suis confiante en notre capacité d’adaptation et de résilience. Nous l’avons déjà prouvé par le passé. D’ailleurs, nous militons pour pouvoir tester la vaccination avant le mois d’octobre dans une zone pilote pour s’assurer que le dispositif est bien opérationnel.

Qui va payer ?

C’est une très bonne question. Le gouvernement est le garant de la mise en place de cette première campagne de vaccination donc nous avons l’assurance qu’il va soutenir financièrement tout ce dispositif d’actes vétérinaires, d’achats de doses et de tests pour une part significative.

Après, vacciner tous les canards va permettre de protéger toute l’aviculture française, il demande donc une participation des filières avicoles, qu’il y ait une mutualisation minimale entre elles. Le rôle de l’État dans ce dossier est très important aussi afin de rassurer les pays étrangers qui sont observateurs de ce qui se passe puisque la France est le premier pays en Europe à tester un vaccin pour contrer l’influenza aviaire.

Et les enjeux sont énormes car nous sommes d’importants exportateurs de génétique aviaire et de produits de volaille dans le monde entier. Nous exportons 15 % de notre production de foie gras.

On le sait, entre les Français et les vaccins c’est une histoire compliquée. Si cette vaccination est très attendue par les éleveurs et les producteurs, pensez-vous qu’elle sera bien reçue du côté des consommateurs ? Ne craignez-vous pas un boycott de vos produits ?

Afin de rassurer les consommateurs, il y aura peut-être effectivement besoin de faire preuve de pédagogie. D’une part sur les études faites sur le vaccin allemand qui a été retenu à la suite de l’appel d’offres. Sur son innocuité pour les humains. Et d’autre part, sur la réalité du monde agricole. Aujourd’hui, tous les animaux sont vaccinés pour telle ou telle maladie. Ça n’a vraiment rien d’exceptionnel.