Gilles Favre : « La Fondation doit aider à faire émerger les grandes découvertes de demain »
Interview. Depuis 2007, la Fondation Toulouse Cancer Santé a financé plus de 52 projets de recherche pour un montant qui dépasse les 12 M€. Nouvellement nommé à sa tête, Gilles Favre souhaite impulser une nouvelle dynamique, plus ambitieuse, pour dépasser les 1,5 M€ de budget annuel.
Fondée en 2005 sous l’impulsion de plusieurs entreprises et reconnue d’utilité publique un an plus tard, la Fondation Toulouse Cancer Santé est installée dans les locaux de l’IUCT-Oncopole qui regroupe aujourd’hui une communauté de près de 1 000 scientifiques. Le succès de cet écosystème repose largement sur la proximité entre les chercheurs, les plateaux techniques du Centre de recherches en cancérologie (CRCT) et les cliniciens de l’Institut. Depuis le début de l’année, la Fondation a une nouvelle gouvernance. Son nouveau directeur, Gilles Favre, est spécialisé en oncogénétique moléculaire. Docteur en Sciences, il a notamment dirigé le Cancéropôle Grand Sud-Ouest (GSO) et le CRCT.
En tant que nouveau directeur, comment envisagez-vous votre rôle ? Et plus important, quelle dynamique souhaitez-vous impulser à la Fondation pour les années à venir ?
Gilles Favre : « Mon rôle est de donner une stratégie scientifique à la fondation. Autrement dit : qu’est-ce qu’on finance. Aujourd’hui en France, on estime à plus de 400 000 le nombre de nouveaux cas de cancers, cela représente 1 200 diagnostiqués par jour pour 400 décès. Or, je pense que la cancérologie est arrivée à une croisée des chemins, dans le sens où nous avons réussi à augmenter très fortement notre arsenal thérapeutique grâce à des thérapies ciblées, à l’immunothérapie, des techniques de radiothérapie qui sont de plus en plus fiables et de plus en plus efficaces, ce qui fait qu’on augmente très significativement pour certains cancers la survie sans rechute. On est passé par exemple sur le cancer du poumon de cinq mois de survie à deux ans et demi. Il est temps désormais de passer à la prochaine étape, à savoir identifier et financer de grands projets scientifiques qui permettent d’aboutir à des survies de plus en plus longues, voire des “guérisons” pour certains types de cancers. Et donc la Fondation, à travers son action, doit aider à faire émerger les grandes découvertes de demain. Mais cela ne pourra se faire que si nous arrivons à fédérer autour de nous un réseau encore plus large. C’est là une chose à laquelle je vais m’atteler. Pour autant, et c’est important de le dire, nous allons continuer à financer des projets à risque car cela fait partie de notre ADN. D’où l’importance d’augmenter notre budget de fonctionnement. »
Justement, quel est le budget de la Fondation ? Et quelles sont vos ressources ?
Gilles Favre : « La Fondation fonctionne aujourd’hui avec un budget annuel d’environ 900 K€. Dans les années à venir, l’objectif serait de dépasser les 1,5 M€. Nos ressources proviennent essentiellement de collectes et de dons, à la fois au niveau du particulier mais aussi à travers différentes opérations que nous menons à l’instar de notre dîner de gala organisé chaque année en partenariat avec la CPME 31 (ex CGPME), sans oublier les évènements auxquels nous participons comme la Course des Lumières. Autre source de financement, le mécénat des entreprises. Entre 2018 et 2023, la Fondation a bénéficié du soutien de plus de 200 sociétés, dont Total Energies, Euryale, Newrest, Stella Groupe ou encore Pierre Fabre pour ne citer qu’eux. À noter que pour la première fois, nous avons organisé l’année dernière, place Vendôme à Paris, une soirée de gala en présence de nombreux acteurs du CAC40 et de personnalités publiques. Une initiative délocalisée que je souhaite reconduire car il est important que la Fondation prenne de l’ampleur au niveau national au bénéfice de la recherche toulousaine, à l’image de ce que peut faire aujourd’hui avec succès l’Institut Curie qui collecte de l’argent pour ses équipes sur l’ensemble du territoire. Nous avons à Toulouse des équipes qui sont d’excellence. Il faut les aider, les faire connaître. Et comme les retombées de leurs travaux seront de toute façon nationales, il me semble logique que l’effort le soit aussi. »
Combien de projets de recherche la Fondation a-t-elle soutenus depuis sa création et pour quelles subventions apportées ? Comment se fait la sélection ?
Gilles Favre : « Depuis 2007, la Fondation a financé plus de 52 projets phares, soit en moyenne trois par an, pour un montant qui dépasse les 12 M€. Et ça, sans compter le financement de bourses de thèses en parallèle. Qu’il s’agisse de recherche fondamentale, de recherche clinique ou de science dure, la décision de supporter tels ou tels projets est guidée par une stratégie propre à la Fondation, à savoir privilégier ceux qui s’inscrivent dans des thématiques originales, souvent de rupture et qui sont peu ou mal financés par ailleurs. L’idée est vraiment de soutenir des projets qui sont entre guillemets à risque mais à fort bénéfice. On assume pleinement la prise de risque. Quant à la sélection, elle est faite annuellement de manière indépendante, transparente et compétitive par un Conseil scientifique externe, composé de chercheurs français et étrangers sans lien avec la Région Occitanie. Après une expertise approfondie, un classement est réalisé et après validation du Conseil d’administration, nous finançons les meilleurs. L’argent est débloqué entre trois et six mois, contre un an en règle générale. On est donc vraiment dans une démarche où les chercheurs sont évalués dans la transparence par leurs pairs, ce qui est hyper important pour eux mais aussi pour nos donateurs. »
Outre le financement de la recherche, l’action de la Fondation a-t-elle eu un impact social et/ou économique pour le territoire ?
Gilles Favre : « Pour moi, l’impact de la Fondation sur le territoire est double, voire triple. Le financement de certains projets de recherche a permis de développer des essais cliniques qui ont bénéficié dans un premier temps aux patients de la région et qui maintenant s’étendent vers des essais multicentriques nationaux voire internationaux, autrement dit qui se déroulent en même temps dans plusieurs hôpitaux ou cliniques. Le deuxième impact est plus difficile à mesurer puisqu’il s’agit de propriété intellectuelle mais concrètement il y a quelques projets qui ont donné lieu à des dépôts de brevets. Enfin, à l’image d’autres structures, nous participons à l’attractivité du territoire. Nous avons par exemple co-financé deux chaires d’excellence, dont une dans le cadre d’une collaboration avec les laboratoires Pierre Fabre sur un projet en bio-informatique porté par une chercheuse italienne pour un montant de 1,5 M€ sur cinq ans. Cela démontre notre capacité à attirer mais aussi à retenir à Toulouse des chercheurs de talents. »
On a l’habitude d’entendre et de dire qu’en France, la recherche est malmenée, pour ne pas dire délaissée. Les fondations comme la vôtre viennent-elles finalement pallier le manque de fonds publics accordés à la recherche ?
Gilles Favre : « En tant qu’ancien directeur d’un centre de recherche de 450 personnes je connais très très bien le dossier. Et ce que je peux dire, c’est que sans les associations et les fondations caritatives, la recherche médicale française ne pourrait pas fonctionner. Et tout le monde le sait, aussi bien les autorités que les chercheurs. Après il faut bien comprendre que ce constat n’est pas nouveau. Ça a toujours été comme ça mais on peut dire que cette problématique du financement s’est accentuée au fil du temps. D’où l’importance des dons et du mécénat. Du côté du gouvernement, le président a annoncé il y a déjà deux ans le déblocage de moyens supplémentaires dans le cadre de la loi de programmation sur la recherche et du plan d’investissement France 2030. Ces derniers mois, de nouvelles annonces ont été faites mais elles portent davantage sur une réorganisation de la recherche au sens large. L’exécutif prévoit notamment que les organismes de recherche nationaux comme le CNRS et l’Inserm deviennent également des agences de moyens et de programmes, chacune chargée d’une thématique. Après est-ce que ça se fera ou pas ? Je ne sais pas. Mais clairement, il y a du boulot ! »