Greenphage lève 1,9 M€ et accèlère dans les solutions antibactériennes naturelles
Biotechnologie. La jeune pousse montpelliéraine développe des solutions à base de bactériophages, des virus de bactéries aux capacités insoupçonnées. Pour accélérer sa R&D et financer la création d’une première unité de production à l’échelle industrielle, elle vient de lever 1,9 M€ auprès de plusieurs partenaires dont le toulousain Irdi.
Des fromages de chèvre, des rillettes de porc, de la viande hachée de veau... alors que le mois d’octobre n’est pas terminé, ce sont déjà neuf denrées alimentaires qui ont fait l’objet d’un rappel sur la plateforme gouvernementale Rappel Conso, en raison de la présence (ou de la suspicion de présence) de la bactérie Escherichia coli dans ces produits. Le site en dénombre ainsi 124 depuis le début de l’année, contre 112 en 2024 et 126 en 2023.
Si cette bactérie que l’on trouve couramment dans le tube digestif de l’être humain et de nombreux animaux (bovins, ovins, caprins) est la plupart du temps inoffensive, certaines souches en revanche peuvent provoquer une maladie grave. Et conduire parfois au décès de patients comme se fut malheureusement le cas en juin dernier dans l’Aisne.
Pour éradiquer ce danger, de nombreuses recherches sont menées partout dans le monde, ce d’autant que cette bactérie, comme les salmonelles ou les staphylocoques, est de plus en plus résistante aux antibiotiques. Un risque pointé par l’Organisation mondiale de la santé dans un rapport publié le 14 octobre dernier. Selon l’OMS, l’antibiorésistance qui cause aujourd’hui plus d’un million de décès chaque année dans le monde, pourrait provoquer le décès de 40 millions de personnes en 2050.
Une réponse naturelle et ciblée
Dans ce contexte particulièrement alarmant, la technologie développée par une start-up héraultaise pourrait bien constituer une innovation de rupture. Basée à Clapiers, près de Montpellier, Greenphage développe en effet des solutions antibactériennes 100 % naturelles de précision.
Concrètement, l’entreprise créée en 2017 par Denis Costechareyre utilise des bactériophages, qui sont des virus prédateurs naturels des bactéries, pour lutter contre différents pathogènes bactériens. Leur champ d’application est vaste puisqu’il peut concerner aussi bien la santé humaine et animale que l’agriculture ou encore la protection de l’environnement.
L’intérêt des bactériophages réside dans le fait qu’ils « sont présents partout. C’est même l’entité organique la plus abondante sur Terre. Donc c’est vraiment un réservoir quasi inépuisable de solutions », détaille Pascal Peny, codirigeant de Greenphage.
Autre énorme atout : leur précision. Ces micro-organismes ont en effet « la capacité de sélectionner leur cible avant de l’éliminer, à la différence des autres agents antibactériens », ajoute-t-il.
Commercialisée depuis quatre ans, la première solution développée par la pépite montpelliéraine concerne l’agriculture, et notamment la lutte contre la bactériose des melons. Forte de ce premier succès, elle mène en parallèle de nouvelles recherches pour protéger d’autres espèces telles les noyers, pommiers, poiriers ou encore la laitue.
Du traitement des eaux usées...
Greenphage s’est aussi plus récemment tournée vers la protection de l’environnement et la santé en sélectionnant des bactériophages capables d’éliminer précisément les souches pathogènes d’Escherichia coli présentes dans les eaux usées et les eaux pluviales – et elles seules – avant qu’elles ne se diffusent plus largement. Elle envisage de cibler d’autres bactéries très pathogènes également présentes dans ces milieux complexes, notamment les salmonelles.
Après avoir réalisé fin 2024 les premiers traitements anti-Escherichia coli sur un site agro-industriel breton, à l’été 2025 la jeune pousse a commencé à déployer sa solution dans plusieurs stations d’épuration du Gard, « une première mondiale ». Objectif ? Éviter la contamination par E. coli des cours d’eau et des zones de baignade. Une solution d’autant plus pertinente que des doses limitées de produits permettent de traiter d’importants volumes.
« Nous utilisons une autre propriété des bactériophages qui est leur capacité à se multiplier au contact de leur cible. Ce qui fait qu’avec de petites doses très concentrées en bactériophages, on peut traiter des milliers de mètres cubes d’eaux usées », confirme Pascal Peny. En Bretagne, là où l’industriel utilisait chaque mois une tonne de péroxyde d’hydrogène pour traiter ses eaux avant de les rejeter dans le milieu naturel, 50 litres de la solution fournie par Greenphage suffisent désormais.
Dans le Gard, le traitement sélectif des stations d’épuration doit, lui, permettre d’éviter d’éventuelles fermetures de plages ou l’arrêt de l’activité conchylicole. Sont ciblés aussi bien les dispositifs communaux de traitement des eaux que les sites industriels ou encore les centres hospitaliers.
L’utilisation des bactériophages en station d’épuration pourrait également donner un coup d’accélérateur à la réutilisation des eaux traitées (REUT), qui constitue une des réponses à la pénurie d’eau dont souffrent désormais de nombreux territoires, en améliorant leur qualité microbiologique pour des usages agricoles ou industriels.
À la dermo-cosmétique
Portée par ces premiers succès commerciaux, la jeune pousse envisage déjà d’autres applications. Les bactériophages permettraient en effet d’optimiser également le fonctionnement des méthaniseurs en éliminant les bactéries indésirables qui dégradent les infrastructures, réduisant la production de méthane. Ils pourraient aussi être efficaces dans la lutte contre les cyanobactéries. Quand elles prolifèrent, ces bactéries présentes dans les cours d’eau peuvent en effet représenter un danger pour la santé humaine et animale.
Dans ce dernier domaine également, Greenphage compte explorer de nombreuses pistes de recherche. En dermo-cosmétique notamment avec le développement d’actifs pour équilibrer le microbiote cutané et prévenir les problèmes de peau. Elle planche aussi sur des solutions de lutte contre les maladies microbiennes qui affectent les élevages de poulets notamment et l’aquaculture, des solutions qui permettraient de réduire sensiblement l’usage des antibiotiques et diminuer ainsi l’antibiorésistance.
Un plan de financement de 4 M€
Pour financer ces différents projets de R&D, l’entreprise de Clapiers, qui emploie six salariés pour 140 K€ de chiffres d’affaires en 2024, vient de finaliser une levée de fonds de 1,9 M€ auprès de la société de gestion de portefeuille toulousaine Irdi Capital Investissement et de Sofilaro Calen, filiale montpelliéraine des caisses Régionales du Crédit Agricole Languedoc et du Crédit Agricole Sud Méditerranée.
D’autres acteurs régionaux ont également participé à ce tour de table : Sud Mer Invest-Go Capital, société d’investissement de la Banque Populaire du Sud, basée à Perpignan, et Environnement Massif Central, une entreprise basée à Mende (Lozère), spécialisée dans la valorisation des déchets.
Ces apports en capital s’inscrivent dans un plan de financement global d’environ 4 M€. Il doit permettre à la PME de déployer plus largement sa solution de traitement des eaux usées. De fait, la start-up espère atteindre une cinquantaine de sites dès l’année prochaine.
Une première unité de production en 2026
Les fonds collectés doivent également financer la création d’une première unité de production industrielle de bactériophages. Un investissement évalué à 1 M€. Elle sera installée dans les locaux de l’incubateur Cap Alpha à Montpellier qui abrite déjà les activités de recherche de la start-up.
La capacité visée est de 1 000 à 1 500 litres de solution par semaine (de quoi traiter 100 à 150 sites), et ainsi « réduire significativement les coûts de production », confirme Pascal Peny. Son ouverture est prévue au deuxième semestre 2026.
Ces divers développements permettent à Greenphage de viser 1 M€ de chiffre d’affaires à l’horizon 2027. Et ce n’est qu’un début. La pépite héraultaise envisage dans les prochaines années la création de petites unités de production décentralisées au plus près des besoins et des ressources locaux, en France mais aussi à l’international, d’abord dans les pays voisins avant de s’implanter aux États-Unis et en Amérique du Sud.