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« Il est désormais temps de penser à nous, à l’Europe »

Politique. À l’approche de la présidentielle, l’ex-député, ministre, commissaire européen et négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, Michel Barnier, Savoyard de cœur, publie chez Gallimard La Grande Illusion, journal secret du Brexit.

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Michel Barnier, ex-député, ministre, commissaire européen et négociateur en chef de l’UE pour le Brexit. dr

Pourquoi avoir voulu écrire un livre sur les négociations du Brexit ?

52 % des votants ont fait un choix contre l’UE en pensant être plus forts et plus grands sans l’Europe. Depuis le premier jour, Britanniques comme Européens savent que cet événement est historique et pourrait se reproduire dans un autre pays. Je voulais marquer le coup avec ce livre et montrer qu’il y a des leçons à tirer de nos échanges, une histoire à raconter, les coulisses de ces entrevues à analyser. Dans ce livre, je rends aussi hommage à l’équipe qui m’a entouré – 170 personnes en tout, il n’y a pas que le « premier de cordée » – et je relate la manière que nous avons employée pour maintenir l’unité des 27.

Avec le recul, quels ont été les facteurs clés de succès des négociations ?

Premièrement, la transparence. Nous avons considéré que dans le cadre de ces graves pourparlers, il était bénéfique de tenir au courant tout le monde en continu et en même temps. Deuxièmement, nous sommes restés maîtres des horloges. D’emblée, nous avons imposé la stricte séparation des négociations autour du Brexit d’une part et des modalités de collaborations futures d’autre part. Le piège des Britanniques, qui sont des diplomates expérimentés, était de tout négocier en même temps pour obtenir des compensations entre les sujets, de se montrer accommodant sur une coopération future afin d’obtenir des avantages dans le divorce immédiat. Cela aurait été pour les Européens la garantie de perdre sur les deux tableaux. Troisièmement, je pense que la stabilité de l’équipe dans le temps a été décisive pour maintenir un cap ferme, sans à-coups et énervements pendant les quatre années et demie de négociations. Et ce, tout en maintenant un esprit de coopération avec nos amis d’Outre-Manche.

Quel est votre sentiment quant au résultat final obtenu ?

Il y a l’accord et la manière avec laquelle il est respecté. Je trouve indigne que Boris Johnson remette désormais en cause deux accords : l’un sur la pêche, l’autre sur la question irlandaise si délicate et risquée en termes de vies humaines. Les Britanniques ne respectent par leur signature quand ils remettent en cause les contrôles douaniers de l’UE sur les marchandises partant de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Ils devraient faire attention car ne pas respecter leur parole peut avoir de lourdes conséquences quant à leur réputation et la confiance qu’on leur porte. Au-delà et dans l’ensemble, nous avons surmonté la guerre des nerfs et ce sur quoi nous avons abouti permet d’envisager un divorce sans agressivité. Ce n’était pas gagné dans un contexte où les nationalistes, à l’exemple de Nigel Farage, cherchent avant tout à faire exploser l’Europe. Les Britanniques ont aussi mis longtemps à comprendre qu’ils perdaient leur temps à établir des lignes de négociations parallèles et à nous diviser, puisque l’unanimité était nécessaire pour valider un traité. C’était nécessaire pour les innombrables coopérations – aide en Afrique, lutte contre le terrorisme… – qui ne peuvent disparaître. Je crois que nous avons mérité la confiance que les Européens ont placée en nous. Il est désormais temps de penser à nous, à l’Europe, pour éviter de nous retrouver sous-traitants ou sous influence des deux géants de ce monde, les États-Unis et la Chine.

Vous avez été ministre de l’Agriculture entre 2007 et 2009 et avez contribué à jeter les bases de la réforme de la PAC controversée aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?

Je pense toujours que les premiers écologistes sont les paysans, qu’on ne peut évoluer sans eux ou contre eux. Cette PAC maintient les grandes lignes d’une ambition maîtrisée, tenant compte du changement climatique et de la santé des agriculteurs. Je suis heureux que cette PAC soit maintenue, contre tous ceux qui voulaient la détricoter ou la renationaliser. Je veux aussi rappeler que la PAC n’est pas qu’un ensemble de subventions : c’est avant tout un contrat visant à préserver un modèle alimentaire, une diversité et une qualité des produits. Quoi qu’on en dise, nous avons préservé les équilibres des territoires.

Vous qui avez contribué à organiser les derniers JO en France, comment percevez-vous Paris 2024 ?

Comme une formidable opportunité et je pense d’ailleurs que les Alpes doivent garder des velléités malgré l’échec d’Annecy 2018. Notre pays doit garder l’esprit sportif, d’équipe… Et puis l’organisation de grands événements sert de locomotive économique, d’entraînement du tissu associatif local. C’est ça la réalité. Il y a un élan à recréer dans notre pays. Je me souviens du sentiment de réussite des 8 000 volontaires lors de l’organisation des JO d’Albertville. Bien sûr, en gardant toujours à l’esprit l’utilisation future, la reconversion des équipements ou encore la possibilité de les démonter. C’est notre grande fierté avec Jean-Claude Killy, tout fonctionne encore aujourd’hui.

Le cercle de réflexion « Patriotes et européens », votre livre ou vos propositions au niveau national sont-ils les premières pierres de votre candidature à la présidentielle ?

Patriotes et Européens, c’est un groupe de travail composé d’une cinquantaine de parlementaires, dont le but est de faire la synthèse entre les positions nationales et européennes sur les enjeux de souveraineté. C’est en faisant la synthèse de toutes les droites, à la manière d’un Nicolas Sarkozy, qu’on parvient à gagner, en parlant à toutes les sensibilités. Ce qui ne veut pas dire s’ouvrir aux idées d’extrême droite soit dit en passant. Je peux seulement vous dire que je participerai à cette grande échéance républicaine au cœur de ma famille politique.

La perspective d’une annulation des primaires à droite est-elle une bonne nouvelle ?

Ce n’est pas encore réellement le cas, mais nous conservons tous un mauvais souvenir de celles de 2016. La désignation de notre candidat ne sera certainement pas organisée de la même manière cette fois-ci. Les circonstances sont différentes et si l’on peut les éviter par une sorte de sondage, tout en faisant émerger un chef d’équipe qui présente un projet rassembleur pour la France, c’est tant mieux.

Ne craignez-vous pas de donner l’image de l’homme de Bruxelles, éloigné des problématiques des Français ?
La fameuse rengaine du technocrate. Je ne suis pas un technocrate mais un homme politique. J’ai été élu une vingtaine d’années – beaucoup plus de temps qu’en poste à Bruxelles. Et je n’ai jamais abandonné le contact avec le terrain, dans toutes mes responsabilités. Je ressens une montée des populismes, mais aussi une colère sociale légitime, nourrie par une promesse d’État rompue. C’est cette impression d’abandon qui a causé le Brexit outre-Manche, et qui se retrouve dans des régions françaises. En certains lieux, la disparition de l’industrie, le manque de services publics ou la place laissée à la bureaucratie qui éloigne les citoyens de leurs représentants considérés comme impuissants, sont plus ressentis qu’ailleurs ; c’est ce qui a déjà accompagné le mouvement des gilets jaunes et qui pourrait conduire l’extrême droite au pouvoir.

Vous avez écrit l’Atlas des risques majeurs, sur les changements environnementaux après les JO de 92. La prospective est-elle indispensable à l’homme politique moderne d’après vous ?

Deux attitudes manquent en France quand je les distingue dans d’autres pays et constate qu’elles sont synonymes de succès : premièrement, nous n’avons pas la culture de l’évaluation. Nous ne savons pas remettre à plat des lois, ce que je propose par exemple en matière d’immigration : un moratoire de trois à cinq ans permettrait de prendre le temps de repenser notre système et de recréer les conditions d’un consensus national. Ce serait l’occasion de travailler avec nos voisins européens pour construire ensemble une réponse cohérente et efficace, et de mettre en œuvre une véritable politique de codéveloppement avec les pays d’origine. Deuxièmement, la prospective n’est abordée que trop partiellement. Dans ses décisions, « l’homme d’État ne doit surtout pas sacrifier l’avenir au présent », affirmait Pierre Mendès France. C’est pourquoi j’ai créé des groupes de prospective au ministère de l’Environnement ou à celui des Affaires étrangères, afin de bénéficier de cet éclairage essentiel.