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Jean-François Rezeau, CCI Occitanie : « Attention à ne pas sacrifier la compétitivité sur l’autel de l’urgence budgétaire »

Interview. Alors que le pays est plongé dans une grande incertitude économique et que le gouvernement annonce des mesures chocs pour réduire un déficit budgétaire qui dépasse désormais les 6%, le président de la Chambre de commerce et d’industrie Occitanie depuis 2021, Jean-François Rezeau, s’est prêté au jeu des questions-réponses. L’occasion de revenir sur les annonces faites pour mettre les entreprises et les CCI à contribution.

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Photo de Jean-François Rezeau
Élu en décembre 2021 pour un mandat de cinq ans à la tête de la CCI Occitanie, Jean-François Rezeau préside l’Assemblée et le Bureau, dont il anime les travaux et conduit la politique. (©Gazette du Midi)

Alors que le gouvernement vient d’annoncer une nouvelle réduction de 40 M€ des ressources allouées aux CCI, pouvez-vous nous rappeler comment fonctionnent-elles ? Avec quel argent et pour quel budget ? Et quelles sont leurs missions ?
Jean-François Rezeau :
« Les chambres de commerce et d’industrie réalisent des missions à la demande de l’État, à travers une convention d’objectifs et de moyens. Ces missions tournent autour de la transition écologique, du numérique, des ressources humaines, sans oublier la création et la transmission d’entreprises, la formation, la représentation des entreprises ainsi que le volet international. Le financement des CCI est assuré par la taxe pour frais de chambres de commerce et d’industrie (TCCI), composée de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises et de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Cela a représenté 525 M€ pour l’ensemble du réseau en 2024. CCI France retient 20 M€, ensuite, les 505 M€ restant sont répartis au niveau des régions administratives selon leur poids économique qui englobe le nombre d’entreprises ressortissantes et le nombre de salariés. Ainsi, cette année, la CCI Occitanie a perçu 42 M€ de dotations. Une répartition est ensuite faite entre les 13 chambres de commerce et d’industrie territoriales (CCIT). À noter que les plus petites CCIT bénéficient d’un seuil minimum d’attribution pour qu’elles puissent fonctionner correctement. Sept sont concernées sur le territoire. En termes de recettes, elles proviennent de nos activités propres d’accompagnement, de formation et de conseil aux entreprises. Les CCI facturent des prestations qui viennent en complément de la dotation de l’État. Cela représente environ 6 % du budget. Regroupées sous le nom de Soluccio, ces offres de services et d’accompagnement intègrent aussi bien les missions gratuites et payantes. Autre source de recettes, la gestion d’équipements comme l’aéroport de Toulouse Blagnac dans lequel la CCI 31 a des participations et perçoit donc des dividendes. Pour résumer, la CCI Occitanie a un taux de dépendance à la dotation d’État de 95 %, contre 30 à 40 % pour les CCIT. »

Ce nouveau coup de rabot est-il une surprise au vu des 60 Mds€ d’économies annoncés par l’exécutif ?
Jean-François Rezeau :
« Compte tenu de la conjoncture économique actuelle et du fort accroissement du déficit public, non, nous n’avons pas été surpris d’apprendre que nous allions, en tant qu’opérateurs de l’État, devoir contribuer à l’effort collectif de la baisse des dépenses. Après, ce qui nous interroge c’est le montant annoncé, à savoir 40 M€ alors même que nous avons déjà fortement participé à la maîtrise budgétaire puisque depuis 2013 nous avons subi une baisse de 66 % des dotations. Au niveau national, on est ainsi passé de 1,35 Mds€ à 525 M€ cette année et de 112 M€ à 42 M€ pour la CCIO. Ces coupes budgétaires successives ont eu des conséquences notamment en matière d’effectifs puisque nous sommes passés de 25 000 collaborateurs à 14 000 pour l’ensemble du réseau, et de 1 400 à 700 chez nous, tout en sachant qu’en 2021 près de 350 collaborateurs ont été transférés sur la nouvelle entité de formation Purple Campus. Donc cette nouvelle réduction annoncée de 40 M€ des ressources allouées aux CCI n’est bien sûr pas une bonne nouvelle car elle pourrait fragiliser notre capacité à mener à bien nos missions. »

Outre la baisse du nombre de collaborateurs, quelles ont été les conséquences concrètes de ces coupes budgétaires sur votre fonctionnement ?
Jean-François Rezeau :
« Notre préoccupation a été de maintenir un bon niveau d’accompagnement des entreprises. Pour y parvenir, nous avons dû activer plusieurs leviers comme la mutualisation de certains de nos services entre les CCIR et les CCIT, notamment les fonctions support (systèmes d’information (DSI), ressources humaines…). L’idée étant de dégager des pistes d’économie. Autres actions menées pour pourvoir absorber cette baisse de dotation : le rapprochement, voire la fusion, de certaines chambres de commerce et d’industrie (CCI) ainsi que la cession d’un certain nombre d’actifs, principalement immobilier. Nous sommes aussi engagés depuis maintenant plusieurs années dans une démarche de diversification en proposant par exemple de nouvelles thématiques d’accompagnement aux entreprises à travers une offre payante. Le risque de cette nouvelle baisse de dotation est de devoir prioriser certaines missions et donc de limiter notre rayon d’action alors même que les entreprises font face à des enjeux et défis multiples : cybersécurité, réduction de l’impact environnemental, maintien de la compétitivité… »

Dans son nouveau projet de loi de finance, le gouvernement annonce vouloir taxer plus lourdement les entreprises qui réalisent au minimum 1 Md€ de CA. Combien d’entreprises de la région sont concernées et pour quelles conséquences ?
Jean-François Rezeau :
« Une douzaine d’entreprises serait concernée, parmi lesquelles Airbus, Altrad, Pierre Fabre ou encore le groupe toulousain Newrest. Les taxer davantage aura bien évidemment des impacts sur leur capacité à investir, à embaucher et aussi à avoir recours à la sous-traitance. D’autant plus que cette annonce arrive dans un contexte global défavorable avec notamment des collectivités – qui sont de très gros pourvoyeurs de commandes publiques – connaissent elles aussi une baisse des dotations de fonctionnement versée par l’État. Tout ça cumulé pourrait à terme entraîner une baisse importante de l’activité économique française et régionale. Il faut faire attention à ne surtout pas sacrifier la compétitivité sur l’autel de l’urgence budgétaire. Après, comme les CCI, les acteurs de l’économie sont prêts à contribuer à cet effort collectif qui est demandé car tous ont compris les enjeux. D’autant plus que les chefs d’entreprise n’ont pas la mémoire courte. Ils se souviennent que l’État a été à leur côté au moment du covid et aussi pendant la période de forte inflation du coût de l’énergie. Les mesures prises ont permis de sauver des milliers d’entreprises. Donc, si aujourd’hui, ces grandes entreprises doivent contribuer davantage pourquoi pas, mais en retour ce qu’elles attendent c’est une mesure juste et équilibrée, véritable remède à la maîtrise budgétaire. »

En parlant de risque sur la compétitivité, dans une tribune publiée le 21 octobre dernier, les organisations patronales représentatives alertent le gouvernement contre la baisse des allègements de charges prévue pour dégager des économies. Partagez-vous leur crainte ?
Jean-François Rezeau :
« Oui, cette crainte est légitime surtout que cette réduction annoncée des exonérations de cotisations patronales s’inscrit comme je l’ai dit précédemment dans un contexte global entre baisse de l’aide à l’embauche pour tous les contrats de professionnalisation ou encore menace sur le crédit d’impôt innovation… D’où leurs inquiétudes et surtout leur vigilance. Il ne faudrait pas que le moteur de la croissance s’enraye. Nous sommes dans un moment de fragilité où effectivement il pourrait manquer le bon carburant durable pour continuer à faire tourner la machine économique. Parce que bien évidemment, nous sommes convaincus que c’est par l’économie que l’on crée de la valeur et que l’on tient le système à l’équilibre. »

Enfin, en dehors de cette actualité, quels sont vos projets à la tête de la CCIO ?
Jean-François Rezeau :
« En numéro un, continuer d’être en hyper proximité des entreprises du territoire, notamment les TPE et PME qui restent nos cœurs de cibles. Leur apporter un bon niveau de satisfaction et de performance dans l’accompagnement en adaptant notre structure et notre organisation à leurs besoins ainsi qu’aux défis auxquelles elles font face. En numéro deux, travailler de par notre action à leur valorisation dans l’économie française. Ainsi, on estime que sur les 42 M€ de dotations perçues pour aider les chefs d’entreprises, on crée 290 M€ de valeurs, soit un effet de levier de 1 à 7. Comment on explique ce × 7 ? Par de la création d’emploi et de l’investissement. Ainsi, une entreprise accompagnée par une chambre consulaire crée en moyenne trois emplois et investit 12 000 €. En numéro trois, accentuer les offres d’accompagnement consacrées à la décarbonation. Un enjeu majeur pour nos ressortissants en matière d’environnement mais aussi de compétitivité et de souveraineté. En numéro quatre, renforcer l’accompagnement des PME à la relocalisation et la réindustrialisation. En numéro cinq, poursuivre notre travail auprès des créateurs d’entreprise. En 2023, nous avons accompagné près de 60 000 porteurs de projets. En numéro six, développer la transmission d’entreprise en mettant en relation cédants et repreneurs. Et enfin, en numéro sept, accompagner davantage les entreprises sur le terrain de jeu mondial avec CCI international. »