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La fabrique du cinéma ouvre les vannes en grand

Audiovisuel. Baptisé « La grande fabrique de l’image », l’appel à projets, initié notamment par le CNC et doté de 350 M€, entend accompagner les acteurs de la filière de la production de contenus en vue d’un changement d’échelle. Beaucoup d’enjeux pour les 68 candidats retenus sur le plan national dont deux Toulousains : TAT Studio et DEFI Production.

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L'activité de DEFI Production
L’organisme de formation toulousain DEFI Production entend densifier ses parcours. (Crédit : DEFI PRODUCTION)

Le préfet de Région, Pierre André Durand était en visite dans la commune de Vendarges (34), aux portes de Montpellier, jeudi dernier dans les locaux de France.tv Studio, filiale du groupe France Télévisions, un des sites phares de la production de séries et de longs-métrages dans l’Hexagone doté de 16 000 m2 de surface et d’outils à la pointe de la technologie.

Le mastodonte français de la programmation a investi 20 M€ en quatre ans sur son site héraultais, comme le rappelle sa présidente Delphine Ernotte Cunci dans Les Echos. Une coquette somme en faveur de son développement, qui est en passe d’être complétée par une aide financière de l’État dans le cadre de l’appel à projets baptisé « La grande fabrique de l’image » initié en octobre dernier dans le cadre du plan France 2030.

À cette occasion, le représentant de l’État rappelle que « 68 lauréats ont été retenus sur les 175 dossiers de candidature reçus, dont 11 uniquement en Occitanie, ce qui la place en première ligne de la création audiovisuelle. Les 11 projets vont bénéficier d’un engagement financier de l’État à hauteur de 51 M€. Cet appel à projets permettra de renforcer la belle dynamique déjà engagée dans la région ».

France.tv Studio fait ainsi partie des 11 lauréats occitans, au même titre que deux entreprises toulousaines : le studio d’animation TAT Studio, l’un des fleurons de l’animation indépendante en France et la jeune association DEFI Production, reconnue organisme de formation l’année dernière. Une aubaine pour ces deux structures qui entendent, via cette initiative inédite dotée d’un budget total de 350 M€, nourrir leurs ambitions, s’imposer sur la scène française et/ou internationale, et ainsi prouver la vitalité de la filière.

Un pari osé ? Peut-être pas au vu des chiffres : du côté de la production française, le secteur a investi globalement l’an dernier 2,4 Mds€ auxquels viennent s’ajouter 600 M€ de dépenses pour des tournages internationaux. Le secteur du jeu vidéo, lui, progresse de 4 % par an en moyenne depuis six ans, suivant ainsi la même cadence que le marché mondial. Néanmoins, tout n’est pas rose. Des efforts restent à mener pour réaliser l’ambition présidentielle de faire de la France un des futurs chefs de file du secteur audiovisuel.

La France, futur leader européen des tournages et de la production numérique ?

Un appel à projets d’une telle envergure, c’est bien ce qui manquait à la filière pour « positionner la France comme leader européen des tournages et de la production numérique », comme le rappelle Arnaud Roland, chef de projet France 2030 au CNC. Il s’agit d’aider les acteurs à changer d’échelle, dans un contexte de boulimie générale de contenus et dans lequel les plateformes ce cessent de prendre de la place.

Objectifs à l’horizon 2030 : un saut industriel qui doublerait la surface de plateaux de tournage pour atteindre 153 000 m3 et quadrupler la surface de décors permanents pour atteindre 187 000 m3, accélérer de façon massive la formation, réduire l’empreinte carbone de la filière, consolider celle-ci autour de pôles d’excellence, et développer l’emploi. D’ailleurs, un des enjeux stratégiques de l’APP est de « créer un écosystème complet, tout en rapprochant les bassins d’emplois des organismes de formation » et de diversifier le vivier de talents.

De grandes aspirations affichées pour l’ensemble de la filière du nord au sud, et en particulier, plus localement, comme le souligne ardemment Carole Delga, présidente de Région : « Je souhaite qu’à moyen terme, l’Occitanie soit la première région européenne de l’audiovisuel et la première destination française des productions internationales. Avec plus de 25 000 m2 de studio de tournage, nous concentrerons d’ici deux ans l’offre la plus compétitive pour les professionnels de l’audiovisuel, permettant de nombreuses créations d’emplois avec l’objectif d’atteindre 13 000 emplois, soit autant que la filière spatiale. La création de deux studios dans l’Hérault, avec à la clé plus de 2 000 emplois, est indispensable pour diversifier le tissu économique du bassin montpelliérain, réinventer les outils de création et de production de demain et faire de notre territoire une référence pour l’accueil de productions nationales et internationales ».

On le souhaite aussi… En attendant, l’Occitanie rafle déjà la deuxième place du podium en termes de tournages en France, et cumule plus de 3000 jours de tournage en 2022 (comptant un jour de travail par équipe). La Région mise fortement sur le secteur du cinéma et de l’audiovisuel en investissant chaque année plus de 4,7 M€ depuis 2016.

La formation : un enjeu phare

La sortie de terre du projet cinématographique titanesque, Pics Studio, prévue entre 2024 et 2025, près de Montpellier et dispatché sur trois sites, est fortement attendue. Notamment par DEFI Production, basé à Toulouse, qui fait partie des 34 organismes de formation sélectionnés en France.

Il permet de former, gratuitement, un public éloigné des voies traditionnelles, aux métiers d’ouvriers et techniciens du cinéma. Un des seuls en France à le faire. Le projet a mis huit années à fleurir avant de prendre en 2019 sa forme actuelle et de connaître désormais une vraie dynamique.

À son initiative, Camille Montalan, le directeur, qui explique : « l’un des principaux objectifs est de diversifier les profils, pas forcément issus des écoles de cinéma, sur les tournages. Nous entendons obtenir un taux d’insertion plus élevé, qui se chiffre à 68% sur notre session de formation de 2022/2023 (35 élèves) et dans ce sens, développer des partenariats solides avec des studios de cinémas, des studios de production, etc., dont Pics Studio. Notre ambition est de nous développer tout en conservant notre gratuité et de favoriser des passerelles entre les jeunes et la filière ».

Aujourd’hui, labélisée organisme de formation, l’association qui a bénéficié d’une enveloppe de 240 K€ pour le fonctionnement de sa structure et 300 K€ sur trois ans pour investir dans du matériel, prépare la rentrée.

« Auparavant, il s’agissait davantage d’une découverte des métiers. Cette fois, notre programme est bien cadré ». Aux sept formations déjà proposées, s’ajouteront d’autres parcours métiers d’ici un an tels que administrateur de production et assistant de production.

Deux métiers où le besoin est prégnant alors « qu’ils sont généralement absents des programmes de formation des écoles de cinéma et BTS. L’enjeu est d’ouvrir des parcours sur des métiers peu connus, de les faire connaître et d’attirer les jeunes. C’est à la fois une inquiétude et un challenge partagés par de nombreuses écoles ».

Pour la structure, cet APP est sans conteste une aubaine sans laquelle « nous aurions peiné à maintenir notre activité à ce rythme. Les intervenants représentent un coût et l’été dernier nous avons également décidé d’investir dans un nouvel entrepôt et plateau de tournage. Nous nous devons de grandir, et en même temps, les financements traditionnels qui nous sont alloués ne sont pas suffisants. À un moment donné, ça coince. C’est donc une grande victoire à la fois symbolique et financière », assure Camille Montalan.

De son côté, TAT Studio, au coeur de la Ville rose, qui a généré un chiffre d’activité de 15 M€ en 2022, figure parmi les dix plus gros studios français d’animation, propriétaire notamment de Pil, Les As de la jungle, et se veut être « le plus productif sur le terrain du long-métrage indépendant » comme l’atteste, son cofondateur Jean-François Tosti. « Nous sommes en croissance mais cet APP valide notre démarche. Il nous accompagne au bon moment car le premier versement de la subvention va nous permettre d’éponger nos investissements de ces six derniers mois consacrés à de nouveaux locaux, aux technologies de pointe, à la R & D et aux embauches. Fort de 230 salariés, nous espérons passer à 350 d’ici un an et demi. »

Après 20 ans d’existence, l’entreprise souhaite passer un nouveau cap et doubler ses capacités de production en cinq ans. Une crainte cependant face aux concurrents européens : « Dans les pays voisins, les États, partenaires privés, chaînes de TV,etc., investissent davantage pour soutenir la création des films d’animation commerciaux tandis que de notre côté, les efforts restent insuffisants. Or, chaque année, les chiffres démontrent que ce qui permet de faire le plus rayonner la France en termes de cinéma, c’est l’animation. C’est vrai aussi pour les autres pays. On espère donc faire grimper les budgets pour faire mieux et être plus visible ».

Autre point de friction : la formation. Jean-François Tosti ne mache pas ses mots. « C’est un enfer pour l’ensemble du secteur, nous sommes confrontés à un important manque de main-d’oeuvre. C’est le paradoxe de l’arrivée des plateformes : elles ont donné du travail aux studios français considérés comme compétents mais cette forte croissance du volume est plus importante que l’augmentation de la main d’oeuvre, ce qui devient très problématique. »

De fait, le Toulousain entend s’investir dans la formation. « Il existe très peu d’aides et de mixité sociale dans les écoles, ce qui me dérange fortement. L’objectif est de proposer des formations gratuites mais pour ce faire, nous avons besoin du soutien des collectivités locales. Ça se précise, on espère qu’elles ne reculeront pas », avance-t-il.

Quid de l’avenir de l’activité de l’animation ? « Les technologies issues des jeux vidéo et également l’IA vont chambouler notre activité, créer de nouveaux métiers et en faire disparaître, c’est indéniable », conclut Jean-François Tosti. Pour préparer l’avenir de la filière, l’Occitanie a, de son côté, récemment voté un plan de 80 M€ qui s’échelonnera sur cinq ans. Une rupture technologique et économique est en marche.