Laëtitia Vidal, immobilier neuf : « Nous allons droit dans le mur ! »
Logement. Laëtitia Vidal, la présidente de l’ObserveR, observatoire de l’immobilier neuf toulousain, tire la sonnette d’alarme. Jamais encore le niveau des ventes de logements neufs à Toulouse et son aire urbaine n’a été aussi bas. Et la situation pourrait encore se détériorer dans les mois à venir.
Seuls 530 logements neufs ont été commercialisés lors du premier trimestre 2023 sur l’aire urbaine de Toulouse, soit une chute de 65% par rapport aux volumes observés sur les mêmes périodes en 2021 et 2022. Comment expliquez-vous cette dégringolade ? Et surtout, était-elle prévisible ?
Non seulement elle était prévisible mais surtout elle était annoncée. Cela fait des mois et des mois que les professionnels du secteur tous confondus alertent les élus à ce sujet car il y a urgence.
Nous faisons face à une crise multifactorielle. Une des premières raisons de cette dégringolade, c’est bien sûr le manque d’autorisations de permis de construire et le manque de logements neufs sur l’aire urbaine toulousaine.
La deuxième raison, c’est la hausse des taux d’intérêt et un taux d’usure bloquant qui désolvabilisent une partie importante des ménages. Avec un choc particulier pour la clientèle d’investisseurs à qui aujourd’hui les banques demandent systématiquement des apports pour financer son projet alors que le principe même de l’investissement, c’est justement de ne pas faire d’apport pour créer du déficit foncier. C’est totalement antinomique.
Ainsi, sur l’aire urbaine, les ventes à investisseurs baissent de 73% par rapport à l’an dernier et même de 78 % en comparaison du premier trimestre 2021. Même cause et même constat pour les accédants à la propriété. La vente à occupants chute en effet de 57 %. Enfin, dernière raison, nous continuons de vivre une hausse extrêmement forte et rapide des coûts de construction qui a été répercutée sur les prix de vente avec une hausse de 14,5% par rapport à 2021. Tous ces facteurs cumulés, ça fait beaucoup !
Fait-on face à une crise du logement ou à une crise de la demande comme beaucoup le martèlent ?
À l’ObserveR, nous préférons parler de crise du logement car dans les chiffres, on constate un taux d’annulation de 30 % des réservations pour des problèmes de financement dans 95% des cas. Cela veut dire que ces personnes, qui ne sont pas allées au bout de leur projet, étaient quand même dans une phase de demande et de passage à l’acte. Il y a toujours une envie des ménages de se loger et d’investir mais cette demande est douchée par la conjoncture économique actuelle.
Ce sont bien les taux de transformation qui s’effondrent, pas la demande. Le marché de l’immobilier neuf est visiblement dans une situation critique. Peut-elle encore se détériorer ?
« Sans grandes prises de décisions au niveau national, nous allons droit dans le mur ! »
Le marché national était encore il y a peu porté à 50% voire plus par les investisseurs, donc s’ils disparaissent du marché une grande partie du pan industriel du logement risque de s’effondrer.
Je ne parle pas seulement des promoteurs immobiliers qui ne peuvent plus construire et sur lesquels personne ne va pleurer, mais il y a aussi les entreprises du bâtiment, les bureaux d’études, les bureaux de contrôle, les notaires… Sans oublier les bailleurs sociaux et le logement social en général. Aujourd’hui, il y a au minimum 25 à 30% de logements sociaux dans toutes les résidences neuves. Donc un projet de résidence de 100 logements qui ne se réalise pas, c’est 30 logements sociaux en moins.
Quels sont les leviers qui pourraient être activés pour sortir de cette crise ?
Plusieurs propositions ont été faites par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), dont celle de soutenir les maires bâtisseurs en reversant par exemple une partie de la TVA immobilière à leurs collectivités pour que ces dernières puissent investir massivement dans des projets d’infrastructures d’accueil, de transport ou encore de santé… Ce serait une bonne façon de les inciter à délivrer davantage de permis de construire.
Deuxième option, pérenniser le prêt à taux zéro qui vient soutenir tous les ménages sous plafond de ressources dans l’achat de leur résidence principale. Enfin, troisième levier, mettre en place des dispositifs d’incitation à l’investissement pérennes.
Ce climat d’incertitude (inflation, hausse des taux d’intérêts...) est anxiogène. Peut-il selon vous contribuer à aggraver la situation ?
Oui, je pense malheureusement que l’état du marché du logement neuf sur Toulouse et son aire urbaine, et surtout les analyses parfois erronées qui sont faites de la situation, découragent les ménages. Au risque de créer de l’auto-censure. Je les invite à aller parler avec les professionnels, à se renseigner. Je ne garantis pas l’achat mais des solutions existent pour y parvenir : prêt à taux zéro, prêt d’accession sociale, accession à prix maîtrisé… Il ne faudrait pas rajouter de la censure à de la difficulté.
Quels sont les signaux positifs que vous avez pu observer sur ce premier trimestre 2023 ? Dans son rapport, l’observatoire note par exemple une reconstitution des stocks…
La stabilité des mises en vente couplée à la forte chute des ventes impact mécaniquement l’offre commerciale qui augmente de 30 % en un an. Le stock remonte ainsi à près de 4600 logements mais ces volumes restent malgré tout très bas et donc insuffisants.
Donc pour répondre à votre question, malheureusement non, cette augmentation du stock ne correspond pas véritablement à une reconstitution de ce dernier, puisqu’elle est liée à un empêchement de la demande et non à une véritable diminution de cette dernière.
Quant aux mises en vente, même si celles-ci sont stables, elles enregistrent tout de même une baisse de 25 % par rapport au premier trimestre 2021. La chute des ventes et la reconstitution mécanique des stocks vont-elles avoir un impact sur les prix des biens ?
Oui, effectivement. Nous attendons les chiffres pour le deuxième trimestre 2023 et très clairement nous allons avoir un fléchissement des prix de vente. Cela va se faire sur quelques lots, sur du déstockage où les promoteurs n’auront pas le choix parce que les programmes sont engagés.
Mais dans la phase suivante, et on est en plein dedans, ils vont êtres contraints de suspendre, voire d’annuler, des lancements d’opération. Pour voir le jour, un projet se doit d’être rentable, et ce n’est plus toujours le cas aujourd’hui.
Quelles sont les perspectives pour les mois à venir ?
Sans annonce forte du gouvernement, la tendance ne pourra pas s’inverser. Voilà pourquoi les présidents de la Fédération française du bâtiment, de la Fnaim, de la Fédération des promoteurs immobiliers, du Pôle Habitat FFB, de Procivis et de l’Unis ont envoyé il y a quelques jours une lettre ouverte au président de la République demandant des mesures d’urgence face à la crise du logement qui s’installe durablement dans notre pays. Quand les bailleurs sociaux commencent à signer une lettre commune avec les promoteurs c’est que vraiment, l’heure est grave !