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Le Barreau de Toulouse fait le procès des dysfonctionnements de la justice

Justice. Le Barreau de Toulouse dénonce le manque de moyens humains et matériels au tribunal judiciaire de la Ville rose. Pour frapper les esprits, il organise un procès fictif « Tentative de meurtre de la justice ». En parallèle, Caroline Marty-Daudibertières et Thomas Neckebroeck, bâtonnier et vice-bâtonnier, ont adressé un courrier au garde des Sceaux.

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Photo de Mes Caroline Marty-Daudibertières et Thomas Neckebroeck
Mes Caroline Marty-Daudibertières et Thomas Neckebroeck, respectivement bâtonnier et vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Toulouse. (Crédit : DR)

« Un déni de justice ». Pour Mes Caroline Marty-Daudibertières et Thomas Neckebroeck , respectivement bâtonnier et vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Toulouse, le mot n’est pas trop fort. Il résume les conditions dans lesquelles la justice est rendue au tribunal judiciaire de Toulouse qui, depuis plusieurs années, manque cruellement de magistrats, de greffiers et de personnel de greffe.

Une situation qui s’est fortement aggravée ces derniers mois et qui engendre des reports d’audience quasi systématiques, des renouvellements de mesures sans audience préalable, notamment dans le domaine de la justice des mineurs, des allongements de délais ou encore de grandes difficultés pour saisir le juge aux affaires familiales.

Une dégradation qui se fait aux dépens du justiciable et des professionnels de justice, magistrats, greffiers et avocats. Selon Mes Caroline Marty- Daudibertières et Thomas Neckebroeck, à la tête du Barreau de Toulouse depuis janvier, « un point de non-retour » a été franchi qui exige une réponse urgente des pouvoirs publics, à savoir un renforcement très rapide des moyens humains alloués à la juridiction toulousaine.

Ce sont au bas mot une vingtaine de magistrats dont le Barreau demande la nomination urgente. « Cette situation dure depuis longtemps, relève Me Caroline Marty-Daudibertière. Elle a, du reste, déjà été signalée par nos prédécesseurs qui pointaient l’année dernière la situation particulière du juge aux affaires familiales. Mais aujourd’hui, cela s’est étendu aux autres services. Aucun ne fonctionne normalement. »


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« Tout repose sur la bonne volonté des magistrats et des greffiers, sur la conscience professionnelle des uns et des autres, renchérit Thomas Neckebroeck. Sauf qu’aujourd’hui cette situation se traduit par une souffrance des personnels. Magistrats et greffiers demandent depuis plus d’un an d’être accompagnés. De fait, la souffrance est telle qu’on a des arrêts maladie. Nous sommes au bord de la rupture. »

MISE EN DEMEURE

Le 2 décembre dernier, les magistrats du siège et du parquet du tribunal judiciaire ont eux-mêmes dénoncé les conditions indignes dans lesquelles ils se trouvent aujourd’hui contraints de rendre la justice. Réunis en assemblée générale, ces derniers ont en effet voté une motion, proposée par l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM). Le texte indique « qu’au tribunal judiciaire de Toulouse compétent pour 1 283 891 habitants, il faudrait pour atteindre la moyen ne européenne, recruter 67 juges, 63 procureurs et 229 greffiers et fonctionnaires alors que la croissance démographique du ressort va aggraver encore davantage ce manque ».

Le texte voté par les magistrats énumère précisément les besoins les plus urgents. Des chiffres repris dans la motion que le Barreau de Toulouse, réuni également en assemblée générale le 17 janvier, a votée pour, à son tour, faire entendre la revendication des professionnels toulousains (lire ci dessous).

Pour donner plus d’échos à sa démarche, le 8 février, avec l’appui de la Conférence du Barreau de Toulouse, l’Ordre des avocats organise en outre un procès public, pour cette fois alerter, le grand public et les autorités sur les difficultés que rencontrent quotidiennement magistrats, greffiers et avocats dans l’exercice de leur métier (lire ci-contre). Le 1er février, Me Caroline Marty-Daudibertière, en sa qualité de bâtonnier, a enfin adressé au garde des Sceaux, ministre de la Justice, une lettre de mise en demeure, réclamant urgemment des mesures d’affectation.

« Si dans les deux mois, nous ne sommes pas entendus, nous saisirons le Conseil d’État », a par ailleurs précisé Me Caroline Marty-Daudibertière à l’occasion d’une conférence de presse organisée dans les locaux de l’Ordre des avocats, ce même 1er février.

Tentative de meurtre de la justice

Affiche du procès fictif
Affiche du procès fictif " Tentative de meurtre de la justice " (Crédit : DR)

Après l’adoption d’une motion le 17 janvier dernier, le Barreau de Toulouse souhaite sensibiliser le grand public en organisant, le 8 février prochain, un procès fictif intitulé « Tentative de meurtre de la justice ». Prenant la forme d’un procès de cour d’assises, cette audience, mise sur pied par la Conférence du Barreau de Toulouse, avec la participation de magistrats et greffiers du ressort, vise à dénoncer le manque de moyens humains et matériels dont pâtit le tribunal judiciaire de Toulouse.

Des témoins viendront à la barre présenter, de façon concrète, les conséquences de cette situation sur l’activité du tribunal et pour les justiciables : reports des audiences, priorisation de certains contentieux, renouvellement de mesures sans audience, délais déraisonnables pour saisir le juge aux affaires familiales… À travers ce procès fictif, le Barreau veut ainsi alerter les pouvoirs publics sur l’urgence à doter la juridiction toulousaine en personnels en nombre suffisant pour faire face à la forte croissance démographique que connaît la région toulousaine mais également pour permettre le remplacement des magistrats, greffiers et personnels de greffe absents.

Le procès, ouvert au public, se tiendra à la salle Tolosa de l’Institut catholique de Toulouse, 29 rue de la Fonderie (métro Carmes) le mercredi 8 février à 19 heures. L’entrée est gratuite. L’audience sera également retransmise en direct sur la chaîne YouTube de l’Ordre des avocats du Barreau de Toulouse : @BarreauToulouse.

La justice toulousaine à bout de souffle

À l’issue d’une assemblée générale, les avocats toulousains ont voté une motion le 17 janvier dernier dans laquelle le Barreau :

  • Rappelle que depuis plusieurs mois le Barreau de Toulouse n’a de cesse de dénoncer le manque chronique de moyens humains (magistrats, greffiers et personnels de greffe) et matériels au tribunal judiciaire de Toulouse
  • Constate que malgré l’augmentation exponentielle de la population de l’agglomération toulousaine, les moyens humains et matériels dédiés aux juridictions locales n’ont jamais été augmentés en proportion
  • Constate que le tribunal judiciaire est désormais contraint de prioriser les contentieux traités et les missions assurées et que certaines audiences sont systématiquement reportées en raison d’un manque de magistrats
  • Déplore la paralysie contrainte de certains services et les délais de traitement des dossiers incompatibles avec les principes du droit au procès équitable et de l’accès au Juge, tels que définis par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui confinent au déni de justice
  • S’indigne que les justiciables soient contraints d’attendre de nombreux mois avant d’obtenir une décision en matière familiale et parfois plusieurs années dans le cadre d’autres contentieux tels que les appels correctionnels ou encore l’indemnisation des victimes
  • S’indigne que le tribunal judiciaire se voit contraint d’envisager un traitement différencié des justiciables et notamment des mineurs
  • Rappelle que la Justice est un pilier essentiel de la démocratie
  • S’inquiète des conséquences du fonctionnement dégradé du tribunal judiciaire sur la paix sociale, le quotidien des justiciables et l’économie des cabinets d’avocats
  • S’inquiète, demeurant l’annonce de l’augmentation exceptionnelle du budget de la Justice, que la majeure partie de ce budget ne soit dédiée à l’administration pénitentiaire et non aux règlements des problèmes structurels des juridictions
  • Déplore l’annonce de la création de nouveaux modes alternatifs de règlement des différends (Mard) alors même qu’ils ne sont pas de nature à répondre aux difficultés constatées, les modes alternatifs de règlement des différends devant rester un mode de règlement des litiges et non un mode de régulation des stocks de dossiers
  • Dénonce la prise de date électronique dans le service des affaires familiales dont les dysfonctionnements récurrents imposent aux justiciables le report de l’examen de leurs dossiers et dont la mise en place constitue un frein à l’accès à un juge
  • Partage les inquiétudes des magistrats du siège et du parquet du tribunal judiciaire de Toulouse rappelées dans la motion du tribunal judiciaire du 2 décembre 2022.

En conséquence :

  • Exige sans délai et a minima, la création de postes de magistrats, greffiers et personnels de greffe conformément aux besoins évalués à l’occasion de l’assemblée générale des magistrats du tribunal judiciaire de Toulouse.

Soit :

– au tribunal pour enfants : création de trois cabinets

– au juge aux affaires familiales : création de deux postes

– au pôle civil (référés et contrôle des expertises, service civil général, procédures collectives civiles, juge de l’exécution [JEX] et contentieux des expropriations) : création de six postes

– au pôle social : création d’un poste – au siège correctionnel (comprenant la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction [Civi] et les intérêts civils) : création de quatre postes de magistrats

– à l’instruction : création d’un poste

– au service du juge des libertés et de la détention (JLD) : création d’un poste

  • Exige au surplus l’affectation systématique de magistrats, greffiers et personnels de greffe permettant de pallier les absences
  • Exige encore la création, à Toulouse, d’une juridiction interrégionale spécialisée (Jirs.)
  • Exige sans délai la mise en place d’un système de prise de dates d’audiences efficient, permanent et sans limitation.