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Incendies : Toulouse aux avant-postes dans le développement de nouveaux bombardiers d’eau

Aéronautique. Le remplaçant du Canadair pourrait voir le jour à Toulouse. Plusieurs entreprises et start-up implantées en Occitanie travaillent en effet au développement d’avions bombardiers d’eau pour remplacer les appareils utilisés aujourd’hui par la sécurité civile et dont beaucoup sont en fin de vie.

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Kepplair Evolution planche sur la conversion d’un ATR 72 en bombardier d’eau multifonctions. (©Kepplair Evolution)

La saison des incendies a débuté très tôt cette année : près de 5 000 hectares sont déjà partis en fumée dans l’Hexagone, depuis le début du mois de juillet. Avec une interrogation qui revient chaque été : les moyens dont disposent la France sont-ils suffisants pour lutter contre des incendies de plus en plus fréquents et violents ? Outre ses moyens au sol, la sécurité civile française s’appuie sur une douzaine de Canadair, une huitaine de Dash 8, auxquels s’ajoutent trois Beechcraft, dédiés à la reconnaissance, et 37 hélicoptères.

Des appareils pour une bonne partie d’entre eux vieillissants. Au point qu’un rapport parlementaire publié le 2 juillet dernier n’hésite pas à parler d’« une flotte inadaptée face à l’augmentation des risques sur le territoire » et souligne l’urgence « de définir une stratégie de renouvellement de la flotte et de la mettre en œuvre le plus rapidement possible, en particulier s’agissant des bombardiers d’eau ».

Les rapporteurs prêchent en effet pour qu’une partie des crédits consacrés au renouvellement des Canadairs puissent être dirigée vers le développement de projets français et européens d’avions bombardiers d’eau. « Il s’agit là d’un enjeu majeur de souveraineté et d’indépendance stratégiques, et d’une importante source d’emplois directs et indirects pour nos territoires », ajoutent-ils.

La relève pourrait bien venir de Toulouse. Plusieurs projets sont en effet en cours de développement en Occitanie. À commencer par Airbus qui planche sur la transformation de son A400M, avion de transport militaire, en bombardier d’eau grâce à un kit de largage. L’avionneur a mené une campagne d’essai en avril sur la base aérienne de Nîmes-Garons, dans le Gard.

Le sujet intéresse aussi les start-up à l’image du parisien Kepplair Evolution, qui avec l’appui de l’Institut de mécaniques des fluides de Toulouse (IMFT, CNRS/Toulouse INP/Université de Toulouse) planche sur le développement d’une solution plus abordable.

Un ATR 72 multifonctions

Au cours des dernières années, son fondateur David Joubert, pilote de ligne, et Dominique Legendre, enseignant chercheur à l’IMFT, avec qui il est aujourd’hui associé, ont développé avec le soutien de Toulouse Tech Transfer [1] un dispositif à pression assistée de largage qui permet de répandre le produit (eau ou retardant) au sol de manière plus uniforme et plus efficace. Breveté en 2019, le dispositif, dénommé « KIOS », est destiné à équiper des avions bombardiers d’eau (ABE) de grande capacité.

Pour répondre à la demande notamment européenne d’avions de plus petite capacité, le binôme planche depuis 2024 sur la conversion d’un ATR 72 en bombardier d’eau. Son ambition : « proposer une solution plus rapide de remplacement des Canadair vieillissants qui ne sont aujourd’hui plus produits », précise le chercheur.

Pour effectuer cette transformation, la société travaille en collaboration avec Aerotec & Concept, une entreprise installée à Blagnac, qui se présente comme leader de la modifications d’avion en Europe. L’appareil ainsi modifié sera capable de larguer 7,5 tonnes d’eau. Il est toutefois conçu de manière à être modulable : outre la lutte contre les incendies, il pourra aussi servir pour le transport de fret ou pour des rapatriements sanitaires, des missions également menées par la sécurité civile.

Un projet qui a retenu l’attention de cette dernière. « Plusieurs projets de bombardiers d’eau ont émergé récemment, mais certains nécessitent de construire un nouvel avion. Ce qui prend beaucoup de temps en terme de développement, de certification et de mise en production et s’avère extrêmement coûteux », précise le chercheur toulousain. Et Dominique Legendre de poursuivre :

De notre côté, nous partons d’un appareil éprouvé, opérationnel qui a donné tous les gages de performance pour ce type de mission : à savoir une moindre consommation de carburant et une importante maniabilité. »

L’option choisie par Kepplair Évolution devrait permettre d’aller plus vite sur le marché, lequel est évalué à 10,6 Mds€ d’ici 2030, soit 300 appareils dans le monde. Pour accélérer le développement de son projet, l’entreprise parisienne vient de lancer une levée de fonds. Objectif : récolter 3 M€ afin d’équiper un avion et faire une démonstration de sa capacité, l’ambition étant d’assurer la mise en service en 2027. L’entreprise espère également bénéficier d’une aide de Bpifrance.

Un ATR amphibie écopeur

Positive Aviation veut, elle, transformer un ATR 72 en appareil amphibie écopeur. Elle revendique déjà 10 commandes fermes (©Positive Aviation)

L’ATR 72 nourrit l’imaginaire d’autres startuppers à l’image de Laurent Schmitt, président de Positive Aviation, un ancien d’Airbus. Installée à Blagnac, la jeune pousse a pour ambition de transformer l’avion de transport régional en appareil amphibie écopeur, capable donc de remplir ses réservoirs à la surface des plans d’eau.

Équipé de flotteurs, le FF72 pourrait ainsi embarquer 8 000 litres d’eau. Interviewé par nos confrères de BFM Business le 22 juillet, le dirigeant déclarait espérer obtenir la certification de l’appareil ainsi modifié fin 2028.

L’entreprise se targue d’avoir un carnet de commandes déjà bien rempli avec 10 commandes fermes et 10 options, pour un chiffre d’affaires potentiel de 700 M€ avec l’américain Bridger Aerospace.

Après avoir réussi une première levée de fonds de 8 M€ en mai dernier, elle mène une nouvelle campagne sur la plateforme de financement participatif Wiseed. Objectif visé : recueillir 1,75 M€ supplémentaires.

[1Toulouse Tech Transfer est la société de transfert de technologie en région Occitanie Ouest