Projet d’usine Aura Aero à Francazal : un rapport sème le doute et interroge son essor industriel
Aéronautique. L’Autorité environnementale vient de rendre son avis sur le projet d’implantation de la future Aura Factory à Francazal du constructeur toulousain, pionnier de l’aviation décarbonée. Sans remettre en cause la construction de l’usine, le rapport souligne des insuffisances dans l’évaluation environnementale globale de la zone, qui voit plusieurs acteurs engager des chantiers immobiliers majeurs.
Le projet d’usine d’Aura Aero sur la zone de Francazal à Cugnaux a-t-il du plomb dans l’aile ? C’est la question que l’on peut se poser après la publication par l’Autorité environnementale (Ae) de son avis sur la construction d’un site industriel par le leader régional de l’aviation décarbonée, un des pionniers du secteur.
L’Aura Factory, c’est son nom, vise à accueillir la conception, la fabrication, l’assemblage, les essais de mise en vol et la livraison aux clients de ses deux programmes : Era, avion régional électrique de 19 places, et Integral, avion biplace dédié aux loisirs et à la voltige. Le site permettra de fabriquer et livrer un total de 150 appareils par an.
Une usine indispensable pour monter en puissance
D’une surface de plancher de 40 500 m2 (33 500 m2 pour les activités industrielles et 7 000 m2 de bureaux), il abritera également toutes les activités du siège de la société. Forte aujourd’hui de 250 salariés, l’entreprise dirigée par Jérémy Caussade prévoit de porter ses effectifs à près de 1 600 collaborateurs en 2033, période à laquelle le site devrait atteindre sa capacité maximale. Ce projet de longue date, puisque le permis de construire a été déposé en octobre 2024, s’inscrit sur un terrain loué à Toulouse Métropole. Il englobe par ailleurs l’aménagement d’espaces verts sur plus de 40 % de sa surface.
Chiffré à plus d’une centaine de millions d’euros, le financement de l’opération associe investisseurs privés et publics, ainsi que de la dette bancaire. Elle bénéficie également du soutien de l’État français dans le cadre du programme « Première Usine » de France 2030 (12 M€), mais aussi des instances européennes, l’entreprise ayant été lauréate des programmes Innovation Fund (95 M€) et EIC Accelerator (17,5 M€).
Alors que le constructeur toulousain enchaîne les contrats de distribution ainsi que les commandes avec pour Era plus 700 intentions d’achat d’une valeur estimée à 12 Md$ et quelque 200 Integral, la construction de cette nouvelle usine est plus que structurante, elle est vitale pour son développement comme l’expliquait en mai dernier à la Gazette du Midi son PDG :
La capacité d’une société à être présente et à se battre au meilleur niveau mondial repose avant tout sur sa capacité à avoir de l’impact. Et l’impact pour un constructeur d’avions, c’est la production en série au bon coût et à la bonne qualité, et avec la bonne cadence. Notre usine actuelle de Toulouse Francazal pour la partie biplace tourne d’ores et déjà puisque nous avons effectué nos premières livraisons mais notre capacité de production reste aujourd’hui limitée. »
Un site unique pour plusieurs projets
C’est dans cette optique, qu’Aura Aero a d’ailleurs inauguré il y a quelques semaines son premier site industriel en Floride pour servir le marché américain, où se situe son plus important débouché. Cet avis de l’Autorité environnementale va-t-il freiner cette aventure entrepreneuriale débutée en 2018 et jusqu’ici sans fausse note pour l’entreprise qui a réussi en moins de 10 ans à devenir un acteur incontournable de l’aéronautique française ? Preuve en est sa présence régulière au salon du Bourget.
Concrètement, que souligne ce rapport de 26 pages publié le 9 décembre dernier ? Saisie pour avis par le préfet des Hautes-Pyrénées, l’Ae pointe moins d’éventuelles faiblesses dans le dossier d’Aura Aero que l’impact environnemental de l’ensemble de la zone dans lequel il s’inscrit. En effet, le site de Francazal agglomère plusieurs aménagements immobiliers et industriels d’envergure portés par des acteurs publics et privés. Ainsi, Toulouse Métropole prévoit d’y faire sortir de terre son futur Campus des mobilités innovantes et décarbonées sous la forme d’une Zac. La collectivité envisage un dépôt de la demande d’autorisation environnementale en début d’année 2026.
Autre partie prenante dans cette affaire : Tarmac Aerosave, spécialiste du stockage, de la maintenance et du recyclage d’avions et de moteurs, présent sur le site depuis 2017. Détenue à quasi-parts égales entre Airbus, Safran et Suez, basée également à Tarbes et Teruel en Espagne, l’entreprise entend y développer un atelier de maintenance et une plateforme de recyclage d’avions sur une parcelle attenante.
Un avis « ni favorable ni défavorable »
Pour l’Autorité, « l’ensemble de ces opérations, bien que portées par des maîtres d’ouvrage distincts, présentent des liens fonctionnels et sont comprises dans la Zac Francazal au sens de la directive projet ». Autrement dit, l’impact environnemental de ces différents aménagements à venir doit être mesuré à l’échelle de la Zac, avec des enjeux majeurs en termes de mobilité, de préservation de la biodiversité, de nuisances (bruit, qualité de l’air) et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, détaillent les experts de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD).
Si ces derniers reconnaissent qu’une étude d’impact a bien été menée conjointement par Aura Aero et Tarmac, ils relèvent des insuffisances. Et pour cause, les projets n’étant pas au même niveau d’avancement, les évaluations fournies sont jugées incomplètes et doivent être actualisées. L’autorité recommande aux différents acteurs impliqués de renforcer leur collaboration en vue de produire une évaluation environnementale unique. Précisant toutefois que ses observations visent avant tout à « permettre d’améliorer la conception des dossiers, ainsi qu’à informer le public ». Son avis n’est donc « ni favorable ni défavorable » et ne préjuge en rien de « l’opportunité du projet ».
Le maire de Cugnaux monte au créneau
Si l’Ae ne remet donc pas directement en cause la construction de l’usine d’Aura Aero, il pourrait cependant conduire à retarder le lancement des travaux prévu initialement dès 2026 et donc sa livraison attendue, elle, en 2028. Un report potentiellement préjudiciable pour le constructeur dont les clients attendent d’ores et déjà d’être livrés.
Mais pour l’heure, l’industriel se montre confiant. Dans un post Linkedin, il affirme que son projet d’implantation poursuit son avancée, « porté par le soutien affirmé de la mairie de Cugnaux, de Toulouse Métropole et de la Région Occitanie ». Et de préciser :
L’instruction du dossier s’effectue en étroite collaboration avec les différents services de l’État ainsi qu’avec l’ensemble des collectivités partenaires. Il est naturel que ces services exercent pleinement leur rôle d’analyse et d’exigence afin de garantir un projet exemplaire. »
De son côté, le maire de Cugnaux Albert Sanchez a également tenu à réagir. Sans surprise, l’élu rappelle l’importance de cette usine et plus largement l’intérêt de développer un projet structurant sur cette ancienne base aérienne de l’armée française. Pour lui, « le projet Aura Factory a respecté l’ensemble des étapes de concertation publique prévues par la loi », évoquant « des échanges réguliers, techniques et transparents menés pour anticiper les attentes réglementaires, dans le but de garantir une prise en compte exemplaire des enjeux environnementaux ». Affaire à suivre...