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Quand le carton coule de source

Agroalimentaire. La Compagnie des Pyrénées, basée à Mérens-les-Vals, en Ariège, fait le pari des eaux en carton et en aluminium et poursuit son développement.

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Damien Chalret du Rieu, cofondateur de la Compagnie des Pyrénées.  dr

Si les jus de fruits en brique ne nous sont pas étrangers, et que l’eau en carton est déjà bien implantée aux États-Unis, cette alternative aux bouteilles en plastique s’apprête à s’immiscer dans le quotidien des Français. C’est en substance le pari lancé par la Compagnie des Pyrénées, créée en 2017 et basée en Ariège, avec le lancement en avril dernier de son produit Eau Neuve (Ô9). Un pari audacieux puisque 25 millions de bouteilles plastiques sont consommées chaque jour dont seulement 49 % sont recyclés.
Ce projet est ainsi le fruit d’une histoire personnelle, comme l’explique Damien Chalret du Rieu. « Je suis retourné vivre dans ma région natale après 10 ans passés dans la finance et je voulais porter un projet qui est du sens. À une période charnière de ma vie, j’ai réfléchi à la manière de valoriser les ressources humaines, naturelles et économiques de la région et l’eau est apparue comme une évidence. Avec mon associé Sébastien Crussol, nous avons misé sur un concept qui réinvente la façon de produire l’eau depuis son extraction (ne pas capter plus de 15 % de la ressource disponible) pour garantir une capacité d’auto génération de la source, de la consommer et de la recycler, l’objectif étant de cultiver la notion d’éco responsabilité. Nous cherchions une alternative au plastique et avons été séduits par l’expérience de l’eau en carton aux États-Unis qui cartonnait déjà mais qui n’existait pas en France ». Après cinq années de maturation, 26 M€ d’investissements dont 2 M€ de subvention de la Région et une aide de la Communauté de communes de Haute-Ariège, l’entreprise, qui, pour l’heure, a une capacité de 300 millions de litres par an, envisage de fournir 120 millions de bouteilles d’ici cinq ans notamment sur le marché local, français et espagnol.
La Compagnie des Pyrénées n’a ainsi pas fait les choses à moitié : l’équipe a collaboré avec l’agence naturaliste ariégeoise en vue de mettre en place un process vertueux et de conserver un impact positif. « Nous ne voulions pas gêner la remontée des truites, nous avons aussi replanté des arbres et souhaitons maintenir le bocage, etc ». Une vision qui lui a valu une flopée de labels et de certifications internationales. Le concept d’Eau Neuve a déjà séduit des grossistes de vente à emporter et de la restauration collective, sa cible principale. La grande distribution est, elle, aussi intéressée – des contrats sont signés avec sept enseignes régionales et deux nationales, Monoprix et Franprix ainsi que Chronodrive. L’objectif étant de faire entrer cette pratique sur les tables de Français –, ainsi que le co-packing dédié à des événements avec des bouteilles de 33 cl ou 50 cl. L’entreprise envisage même de devenir la marque officielle de l’Ovalie en région.

« Avec mon associé Sébastien Crussol, nous avons misé sur un concept qui réinvente la façon de produire l’eau depuis son extraction (ne pas capter plus de 15 % de la ressource disponible) pour garantir une capacité d’auto génération de la source, de la consommer et de la recycler, l’objectif étant de cultiver la notion d’éco responsabilité, explique Damien Chalret du Rieu. Nous cherchions une alternative au plastique et avons été séduits par l’expérience de l’eau en carton aux États-Unis qui cartonnait déjà mais qui n’existait pas en France »

Matériaux biosourcés

La Compagnie des Pyrénées a passé, depuis un an et demi, un partenariat exclusif avec la marque suédoise Tetra Pak, qui fournit déjà d’autres pays qui se sont tournés vers cette alternative tels que le Canada et le Royaume-Uni. « Ce sont des bouteilles 100 % recyclables fabriquées à partir de 88 % de matériaux biosourcés. Elles sont conçues spécifiquement pour l’eau et les matériaux proviennent de forêts européennes labellisées FSC (Forest Stewardship Council). Notre rêve serait d’utiliser du bois provenant d’Ariège, mais ce n’est pas encore possible. Par ailleurs, il reste l’utilisation d’une fine lamelle d’aluminium sur le contenant, qui sera remplacée par du bois en 2024, ce qui nous permettra de revendiquer l’utilisation de matériaux 100 % biosourcés. Nous réfléchissons aussi à d’autres alternatives en prenant en considération tout le cycle de vie de l’emballage ». Les cofondateurs ont de la suite dans les idées. L’entreprise travaille d’ores et déjà sur la conception de canettes en aluminium. « Cette matière permet d’embouteiller de l’eau gazeuse ce qui n’est pas possible avec la brique. Outre le fait d’être recyclable à l’infini, l’aluminium est aussi une excellente barrière sanitaire. C’est cependant une technologie de rupture. Nous faisons face à un marché à deux vitesses car si les consommateurs s’orientent davantage vers des produits écologiques, ils apprécient aussi de voir l’eau en transparence ce qui n’est pas le cas avec nos emballages. » L’entreprise envisage ainsi d’embouteiller de l’eau plate, gazeuse et aromatisée dès 2022 et collabore ainsi avec des spécialistes en arômes à base de fleurs, herbes, algues, etc., afin de proposer des saveurs inédites. En attendant, elle a également dans ses cartons d’autres idées à savoir concevoir des eaux fonctionnelles avec un bénéfice santé ou beauté.
Au-delà de surfer sur le “plastic bashing” et d’avoir une exploitation raisonnée de l’eau, l’entreprise s’engage également à créer de l’emploi local. « Notre ligne directrice est “responsable par nature”. Et cela vaut pour l’emploi. Nous avons choisi de recruter uniquement des collaborateurs qui résident dans un rayon de 30 km de l’usine et aussi de former les conjoints pour un gage de pérennité », conclut Damien Chalret du Rieu. Aujourd’hui, la Compagnie des Pyrénées, qui s’appuie sur cinq actionnaires et vise un CA d’une dizaine de millions d’euros d’ici un an devrait s’étoffer avec 18 collaborateurs supplémentaires à l’horizon 2022.