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Reprise par le chinois Wanrun, quel avenir pour Safra, spécialiste des bus à hydrogène ?

Industrie. Fleuron de la mobilité décarbonée, l’entreprise albigeoise, spécialisée dans la fabrication de bus à hydrogène et le rétrofit, entre dans le giron du chinois Wanrun, un spécialiste des systèmes de batteries automobiles. C’est ce qu’a décidé le tribunal de commerce d’Albi le 20 mai. Une décision qui préserve 120 emplois sur 169 et l’ensemble des activités de Safra mais ne satisfait pas tout le monde.

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Lors du Sommet international du transport public (UITP) à Barcelone en juin 2023, Safra SA a présenté son kit de rétrofit qui permet de transformer des cars à moteur diesel en cars hydrogène zéro émission. (©Safra SA)

Mise en redressement judiciaire le 4 février 2025, la société Safra SA s’est trouvé un repreneur. Le tribunal de commerce d’Albi a en effet annoncé le 20 mai avoir fait le choix du groupe chinois Wanrun, spécialisé dans la conception, la fabrication et la commercialisation de systèmes de batteries automobiles, pour reprendre les activités de cette pépite régionale.

Créée en 1955, l’entreprise tarnaise est aujourd’hui spécialisée dans la construction de bus à hydrogène, mais également le rétrofit de véhicules lourds diesel en véhicules zéro émission et dans la rénovation de véhicules de transport de personnes. « Malgré des perspectives commerciales dynamiques et une expertise reconnue », début février, elle a donc fait l’objet d’une procédure collective, « faute d’avoir trouvé, à temps, les financements nécessaires à sa croissance », précise l’entreprise dans un communiqué daté du 20 mai 2025.

Premier constructeur français de bus à hydrogène

Sur les six repreneurs qui se sont manifestés, au fil de la procédure, trois candidats se sont retirés ou ont vu leur offre jugée irrecevable : la Scop portée par un groupe de salariés, le groupement Arterail et Ateliers d’Occitanie, et l’indien JBM. Restaient en lice les offres de deux sociétés françaises, CBM, spécialiste de la pièce détachée pour cars, bus et tramway, et TTH, spécialisée dans les activités de services ferroviaires, toutes deux principalement axées sur l’activité de rénovation.

S’ajoutait celle de Wanrun, seule à proposer une reprise de tous les pôles d’activité, le maintien de 120 emplois sur 169, avec à la clé « un plan d’investissement clair, et un montant de cession d’actifs de 7 M€ », précise le communiqué.

« Il faut se rappeler que début février, on parlait de reprises à 400 000 € avec une quarantaine de salariés conservés. Aujourd’hui, ce sont 120 emplois sauvegardés, un site maintenu à Albi, une ambition industrielle forte sur nos expertises : la construction et le rétrofit de véhicules propres et la rénovation de matériels de transport publics », précise Vincent Lemaire, actuel président de Safra SA.

Cohérence industrielle

Une bonne opération toutefois pour le repreneur qui s’offre « un outil industriel performant, mais aussi un tremplin vers les marchés publics français et européens, où Safra avait récemment remporté plusieurs appels d’offres, notamment pour la rénovation de rames de métro et la fourniture de bus zéro émission », indiquent nos confrères de mobilycites.com.

De fait, en juillet 2023, Safra avait notamment remporté le marché des bus à hydrogène de Dunkerque, puis en septembre la vente d’une dizaine de ses nouveaux bus dénommés HYCITY, à la métropole de Clermont-Ferrand. La même année, elle avait également conclu son premier contrat à l’international avec la réparation du tramway de Dublin.

Wanrun n’est pas un inconnu pour Safra SA. En décembre 2024, l’entreprise albigeoise avait signé un protocole d’accord pour une prise de participation majoritaire avec le groupe asiatique. L’investissement annoncé portait sur un montant très conséquent de l’ordre de 40 M€, et devait permettre à Safra de déployer un « plan de croissance ambitieux ». La déclaration de cessation de paiement en janvier a cependant suspendu les discussions, mais Wanrun a confirmé son intérêt, en déposant une lettre d’intention le 28 avril, suivie d’une offre consolidée le 9 mai dernier.

Des précédents fâcheux

Premier constructeur français de bus à hydrogène, Safra SA a reçu de l’aéroport de Toulouse-Blagnac la commande de quatre véhicules pour desservir les pistes et les parkings. (©Léo Arcangeli/Région Occitanie).

Pour autant, la décision du tribunal de commerce d’Albi ne fait pas l’unanimité. Rappelant les « difficultés de capitalisation » rencontrées par la société albigeoise « depuis près de 10 ans », le conseil économique, social, environnemental régional d’Occitanie (Ceser), dans un communiqué daté du 15 mai, mettait en garde contre un tel choix.

« Au moment où le Gouvernement en appelle à la souveraineté industrielle et veut renforcer les territoires d’industrie, (…) une nouvelle erreur se profile à Albi si le tribunal de commerce faisait le choix du groupe asiatique », estimait ainsi Jean-Louis Chauzy, président le Ceser. Et ce malgré la promesse du repreneur de sauver un grand nombre d’emplois et son engagement « à apporter 40 M€ d’investissement dans les années à venir ».

Évoquant le sort de la fonderie SAM en Aveyron reprise en 2017 par le chinois Jinjiang qui avait promis de son côté 30 M€ d’investissement « qui ne se sont jamais réalisées » et aujourd’hui fermée, le Ceser en appelait les collectivités et les acteurs économiques et sociaux à « rester mobiliser pour défendre des solutions industrielles françaises avec un solide ancrage territorial ».

De soutiens Safra SA n’en a pourtant pas manqué. En février 2021, le gouvernement, à l’occasion d’un déplacement à Albi pour l’installation du Conseil national de l’Hydrogène, avait annoncé une aide financière de 750 000€ à l’entreprise.

La Région Occitanie a, elle aussi, apporté son soutien à l’entreprise à de nombreuses reprises dans le cadre de son action en faveur de la transition énergétique. Avec notamment le versement de 2 M€ d’avance remboursable en 2019, la réalisation d’un marché régional pour la rénovation de 19 rames AGC (Autorails Grande Capacité) d’un montant de 16,3 M€ ou encore la commande d’une quinzaine de cars diesel rétrofités, c’est-à-dire transformés en cars à hydrogène zéro émission, pour 7,2 M€.

De nouvelles ambitions

Pas suffisant toutefois pour permettre à l’industriel de faire face à ses besoins de financements. Et Vincent Lemaire d’ajouter :

Ce que nous n’avons pas trouvé en France ni en Europe en temps utile, nous l’avons trouvé ailleurs, avec des investisseurs qui croient en l’industrialisation de la transition écologique. Wanrun n’est pas là pour délocaliser. Ils viennent renforcer nos savoir-faire, apporter des synergies et des moyens financiers et industriels importants. »

À l’aube de ce nouveau chapitre, Safra SA se dote d’une feuille de route ambitieuse qui passe par, côté construction, le développement de la gamme de véhicules à motorisation zéro émission (électrique et hydrogène), et le rétrofit de véhicules avec un objectif de montée en puissance dans les mois à venir. Et côté rénovation, le plan de reprise prévoit un renforcement des moyens et des investissement pour répondre à la demande croissante en réhabilitation de matériels roulants.