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Souveraineté énergétique : l’Occitanie bientôt autonome en matière de carburants d’aviation durables ?

Transition énergétique. Face au défi que représente la décarbonation du transport aérien, l’Union européenne a fixé des objectifs ambitieux sur l’utilisation des carburants d’aviation durable (SAF). L’Occitanie entend bien être précurseur en la matière. Avec l’aide du pôle de compétitivité Aerospace Valley, elle annonce vouloir en produire sur son territoire à partir de 2028 avec cet objectif de le faire à des coûts compétitifs.

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Le pôle de compétitivité Aerospace Valley veut jouer un rôle moteur dans le développement des carburants d’aviation durables. C’est ce qu’a rappelé son président, Bruno Darboux à l’occasion d’un bilan d’activité annuel le 21 janvier 2025 à Toulouse. Il est ici à gauche, aux côtés d’Eric Gouardes, directeur Innovation du pôle et d’Anouk Laborie, sa directrice générale. (©Aerospace Valley)

Comment accélérer la décarbonation du secteur aérien, responsable de 2 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales ? La question préoccupe tous les acteurs de la filière qui se sont engagés, lors du sommet européen de l’aviation qui s’est tenu à Toulouse en février 2022, à atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle est également au cœur des travaux du TSAS 2025 (Towards sustainable aviation summit), organisé par l’Association Aéronautique et Astronautique de France, qui se déroule à Toulouse jusqu’au 30 janvier 2025.

Zéro émission en 2050

Durant ce sommet, seront notamment évoquées les différentes solutions qui doivent permettre au secteur aérien d’ici un quart de siècle de parvenir au zéro émission. Elles passent par le développement d’une nouvelle génération d’aéronefs, l’amélioration des opérations au sol et en vol ou encore la production de carburants d’aviation durables (ou sustainable aviation fuels, SAF).

C’est sur eux que l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui représente les compagnies aériennes au niveau mondial, fait d’ailleurs reposer l’essentiel de son plan de décarbonation. Les SAF devront contribuer, selon elle, à hauteur de 65 % à l’objectif de neutralité carbone en 2050 ce qui nécessite une augmentation massive de leur production.

Or, en 2024, si les quantités produites au niveau mondial ont doublé par rapport à 2023 pour atteindre 1,3 milliard de litres, elles ne représentent encore que 0,3 % de la consommation totale de kérosène. Un rythme beaucoup trop lent selon l’organisation qui s’en est plaint dans un communiqué daté du 10 décembre 2024.

Dès 2025, 2 % de SAF dans les vols intra-européens

Dans ce domaine, l’Union européenne veut jouer un rôle moteur. Elle a adopté en 2023 un nouveau règlement, baptisé ReFuelEU, qui donne des objectifs clairs en terme d’utilisation des SAF au sein de son espace aérien. Dès 2025, il impose l’incorporation de 2 % de SAF dans les vols intra-européens, 6 % en 2030, 20 % en 2035 et 70 % en 2050.

Pour respecter ses objectifs, les projets de production de SAF se multiplient un peu partout, y compris dans le grand Sud-Ouest, sur le territoire du pôle de compétitivité interrégional Aerospace Valley dont la vocation est de favoriser l’innovation au sein des filières aéronautique, spatiale et drones. Il réunit plus de 850 membres dont 593 PME. Depuis 2005, il a ainsi accompagné 922 projets représentant plus de 2 Mds€ investis dont plus de 880 M€ d’aides publiques.

Doubler les objectifs européens

Lui aussi entend jouer sa partition dans le développement des SAF. C’est ce qu’a rappelé Bruno Darboux, son président, à l’occasion du bilan d’activité annuel, le 21 janvier 2025 à Toulouse. « Les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie ont des ambitions sur le sujet et ont la volonté d’être les pionnières sur le développement de l’usage des SAF. Sur le territoire, le pôle est donc pleinement mobilisé pour développer l’offre et la consommation », a-t-il assuré. Avant de préciser :

Pour réussir la montée en puissance de la production de SAF, nous avons toutefois besoin d’innovations et de collaboration car c’est un nouveau secteur industriel qu’il convient de créer. Il faut également pouvoir accéder à des ressources primaires (biomasse, électricité ou carbone capté). Et cela ne peut se faire qu’en associant secteurs public et privé et en créant une chaîne de valeur compétitive. »

Produire à des coûts compétitifs

Si l’objectif des 20 % de SAF en 2035 paraît, selon le président d’Aerospace Valley, « difficile à atteindre sur le plan européen », à l’échelle régionale, sous l’impulsion du pôle, la volonté est de faire bien mieux. « Dans le Sud-Ouest, on n’a pas de grande plateforme aéroportuaire de niveau mondial, les volumes à produire sont dés lors relativement modestes, reconnaît Bruno Darboux. On peut donc raisonnablement se donner pour objectif de produire en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie tout le SAF nécessaire pour alimenter les avions qui décolleront des aéroports situés sur leur territoire. » Un besoin estimé à plus de 200 Kt/an, l’ambition étant de produire cette quantité « dès que possible » a martelé le dirigeant.

Parmi les dossiers les plus avancés, figure l’Initiative Carburants d’aviation durables en Occitanie (ICEO), convention signée en janvier 2023 par Airbus, la Région, l’État, l’Aéroport Toulouse Blagnac et le pôle pour accélérer la production et l’utilisation des SAF. Elle marque la volonté des différents acteurs de doubler les objectifs européens et à plus long terme de développer une production locale de carburant d’aviation durables.

La Région Occitanie, qui depuis 2022 a investi 35 M€ pour le développement des carburants durables, a ainsi attiré sur son territoire plusieurs projets d’usine portés par des entreprises comme Qair à Lannemezan, MGH à Muret ou Khimod à Perpignan. En Nouvelle-Aquitaine, d’autres projets ont émergé portés par Elyse Energy, Axens, Saf+ ou encore Terega. Le pôle les accompagne « pour trouver des clients, des garanties d’écoulement de la production ou encore sourcer des ressources primaires (biomasse, électricité, CO2 et hydrogène) », résume le président d’Aerospace Valley.

Des investissements colossaux

Selon lui, le développement des SAF pourrait ainsi offrir des « débouchés de valorisation important dans notre région pour la biomasse issue des filières agricole, sylvicole et viticole - même si elle est très disputée pour d’autres usages -, mais également des débouchés pour le captage de CO2 ainsi que pour l’hydrogène décarboné produit en région ». Grâce à ces différentes initiatives, les premières productions de SAF en région pourraient intervenir entre 2028 et 2030.

Pour autant, de l’aveu même du président du pôle Aerospace Valley, « ce n’est quand même pas gagné ». En effet, ajoute-t-il, « le challenge va être de produire ce SAF à des coûts compétitifs par rapport à d’autres régions du monde qui ont un accès à une énergie moins chère ou qui subventionnent la production, ce qui est le cas des États-Unis. »

De fait, alors que les investissements nécessaires sont « colossaux » – de l’ordre de 1 Md€ pour réaliser une usine de production de 70 000 tonnes de SAF par an –, reste à convaincre investisseurs privés et publics de mettre la main à la poche. Difficulté que déplorait l’IATA en décembre dernier : « Les gouvernements envoient des signaux contradictoires aux compagnies pétrolières qui continuent de recevoir des subventions pour leur exploration et leur production de pétrole et de gaz fossiles. Et les investisseurs dans les producteurs de carburants de nouvelle génération semblent attendre des garanties d’argent facile avant de se lancer à fond. »

Une question de souveraineté nationale

L’association appelle ainsi les gouvernements à « accélérer les progrès en supprimant les subventions à la production de combustibles fossiles » et en les remplaçant par « des incitations stratégiques à la production et des politiques claires en faveur d’un avenir fondé sur les énergies renouvelables, y compris les SAF ».

De son côté, Bruno Darboux ne dit pas autre chose lorsqu’il rappelle que « l’État (français) qui a commencé à sponsoriser le développement des SAF, dans le cadre de France 2030, via deux appels à projet, ne doit pas faillir là-dessus », car ajoute-t-il « ce sujet est absolument stratégique non seulement pour nos filières mais aussi pour l’économie du pays, pour son indépendance ».