Toulouse, un des piliers de l’innovation en santé ?
Santé numérique. Début juillet, a démarré le projet du tiers-lieu Toulouse Santé Numérique porté par un consortium qui regroupe le CHU de Toulouse via son accélérateur d’innovation Innov’Pôle Santé, Clinavenir via son Hi-Lab (plateforme d’accélération de l’innovation créée au sein de la clinique Pasteur) et l’association Agir, Soigner, Éduquer, Instruire (ASEI ), via son pôle recherche et innovation. Quels sont les enjeux et les premiers porteurs de projets qui seront suivis dans leur développement ? Entretien avec le Pr Olivier Lairez, directeur de recherche de l’innovation au CHU de Toulouse.
Dans le cadre du plan de relance France 2030 et de la stratégie d’accélération Santé Numérique pour faire de la France un « leader dans le numérique en santé », la délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) a lancé l’appel à projets « Tiers-lieux d’expérimentation en santé ». Votre projet a été sélectionné parmi dix autres en France. Quelle est son originalité et également sa vocation ?
Le consortium constitué de trois acteurs toulousains reconnus dans le secteur du public, du privé, du sanitaire et du médicosocial, partenaires dans de nombreuses activités, avec des fonctionnements différents mais qui portent une vision commune, fait l’originalité de ce projet. L’enjeu sera de mettre à disposition nos experts médicaux et médicotechniques pour développer le plein potentiel de ces idées nouvelles. Ce tiers-lieu a pour vocation de créer une synergie entre un cas d’usage, un besoin du métier et des porteurs de projets
Il s’agit de co-construire avec les partenaires, les experts, les industriels, les professionnels de santé, une filière structurée du numérique en santé en Occitanie. Le rôle du consortium sera de porter des projets, d’apporter des outils, de la méthode, des conseils, et de chercher des financements pour développer de nouvelles solutions numériques dans ce domaine. De fait, nous avons obtenu une aide de l’État fin 2022, à hauteur de 1,5 M€ pour la structuration deToulouse Santé Numérique et une enveloppe de 100 K€ par projet. Nous avons signé la création du consortium fin juin.
Pour quelles raisons faites-vous partie du consortium ?
Le CHU de Toulouse se hisse au quatrième rang des hôpitaux français en termes d’activité. Les missions de recherche et d’innovation du CHU font partie intégrante à la fois de son activité quotidienne et de sa stratégie pour l’avenir. En effet, avec plus de 2000 projets de recherche en cours dont 380 projets promus par notre établissement à Toulouse, l’innovation et la santé numérique se placent parmi les axes prioritaires et sont intégrés dans la feuille de route du projet d’établissement.
Pourquoi cette nécessité de lancer un projet numérique de santé ? Quelle est votre mission première ?
Il existe clairement un virage numérique en France à tous les niveaux et la santé est loin d’être épargnée, pour répondre aux enjeux de demain. On constate que de plus en plus d’innovations notamment dans la gestion du parcours patient sont nécessaires, un besoin notamment accéléré par la pandémie du Covid.
Au sein de la direction de recherche et d’innovation, nous sommes amenés à évaluer de nouvelles solutions et nous nous sommes retrouvés face à des applications numériques qui nécessitaient des évaluations au même titre que n’importe quelle intervention médicale, à savoir, à la fois, une évaluation de l’efficacité de l’application sanitaire mais aussi sur le plan médicoéconomique.
Le domaine de la santé accuse du retard face à l’innovation, qui a commencé en amont de la création de ce tierslieu. Ce dernier va désormais permettre d’aider les porteurs de projets et de les accompagner jusqu’au bout de leur process, un objectif qui se révélait compliqué jusque-là. De fait, toute solution numérique doit être validée d’un point de vue sanitaire et du point de vue de l’expérience patient.
Il faut s’assurer que la solution apporte une plus-value sur le plan du soin. Notre ambition est de faire une validation médico-économique de la solution. La problématique porte notamment sur le business model. En effet, si on achète une solution numérique dans le commerce en dehors du secteur de la santé, il y a deux partenaires, celui qui la vend et celui qui l’utilise. En santé, il y a toujours une tierce personne, le patient, le fournisseur, et le payeur, du coup le business model est plus difficile à trouver et cela fait partie de nos principaux chantiers.
Avez-vous déjà identifié des entreprises que vous souhaitez accompagner ?
Nous allons accompagner sur un cycle de 10 mois, deux sociétés qui vont nous servir d’expérimentation, que sont les deux start-up toulousaines BOT design et Swallis Medical. La première développe des solutions numériques dont une application autour de la nutrition, sur le plan de la prévention. De son côté, Swallis Medical, conçoit un dispositif qui évalue les troubles de la déglutition.
De fait, les porteurs de projets vont intégrer le consortium afin d’amener des corrections et aussi de nous accompagner dans la structuration de notre organisation et de nos process.
Ces projets bénéficient chacun de 100 K€ de subventions auxquelles les pépites doivent apporter 50% de complément. Ils démarreront avant la fin de l’année, et nous devrons attendre la fin de l’évaluation de la pertinence de l’outil et de son gain avant de le positionner sur un marché. Cette dernière phase est un point sensible en ce qui concerne le numérique en santé dans sa globalité.
Êtes-vous ouverts à des projets nationaux ou visez-vous uniquement des projets régionaux ?
Nous avons pour vocation de nous ouvrir à d’autres entreprises sur le territoire français et pour ce faire, nous envisageons une coordination entre les différents tiers-lieux qui, je le rappelle, sont au nombre de 10, avec pour ambition d’améliorer leur efficacité. À ce titre, nous venons de lancer un APP pour solliciter d’autres projets, dont la clôture est prévue le 20 septembre. Nous visons cinq projets par an. Mais cela dépendra de différents paramètres comme la thématique, la lourdeur du projet,etc.
Pour essayer d’intégrer ces nouveaux dispositifs dans votre organisation, comment comptez-vous vous y prendre concrètement ?
Nous rentrons effectivement dans des compétences méthodologiques qui sont nouvelles et dans ce cadre, nous allons collaborer avec des méthodologistes pour se spécialiser dans le domaine du numérique en santé.
Par rapport au quotidien du CHU, avez-vous connaissance de besoins, de problématiques en matière de solutions numériques ?
Je n’ai pas d’exemples précis, mais si nous identifions un besoin, nous accompagnons nos investigateurs et médecins pour développer une solution. Nous disposons d’une structure au sein de notre pôle de recherche pour faire de la détection de l’émergence et accompagner celle-ci à la maturité.
Un exemple générique, à l’échelle nationale : le parcours patient qui reste un trou dans la raquette. En effet, dans le cas d’une pathologie qui nécessite plusieurs examens complémentaires avec un suivi régulier, et qui nécessite de recourir à la prestation sociale, qui vous accompagne ? Personne. Il faut en outre mettre en commun l’ensemble des prestataires de soins.
Quels sont in fine les enjeux de ce tiers-lieu ?
Ils sont au nombre de six : améliorer l’expérience patient sur l’intégration de son parcours de soins (accessibilité, efficacité des soins) ; améliorer la santé des populations comme réduire les inégalités d’accès aux soins, augmenter la qualité de vie, respecter des critères environnementaux, etc. ; réduire les coûts de la santé ; améliorer l’expérience et le bien-être des équipes et des professionnels de santé ; générer de la valeur en mobilisant les résultats pour la formation et l’enseignement ; et enfin intégrer des engagements et des indicateurs de durabilité dans un milieu encore peu sensibilisé aux enjeux environnementaux.
Pour y répondre,Toulouse Santé Numérique s’est fixé trois objectifs dont soutenir la compétitivité économique et la coopération qui est l’essence même du projet, favoriser l’accès à la prévention personnalisée au travers d’outils numériques en simplifiant l’usage via des modalités innovantes ; puis impliquer dans ce projet, patients, associations
De patients et professionnels de santé. Parmi vos objectifs, figurent l’accès à la prévention personnalisée et l’implication des patients, associations, etc. Avez-vous déjà esquissé des pistes à suivre ?
Sur la prévention personnalisée par exemple, il y a une application, qui toutefois a été développée avant l’arrivée du tiers-lieu, mais représente un bel exemple de ce que nous aimerions mettre en place. Il s’agit d’une solution qui permet aux patients notamment atteints de pathologies chroniques de fixer leurs propres objectifs nutritionnels. Concernant l’autre objectif, on s’appuie sur des partenaires plus larges, associations de patients, acteurs de l’innovation que nous avons mobilisés, comme la société d’accélération Toulouse Tech Transfert, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, la Carsat, etc.
L’idée est de s’appuyer sur l’écosystème régional pour favoriser cette coconstruction. Des groupes de travail seront mis en place pour structurer les enjeux, et apporter un double effet de levier. Plusieurs initiatives se forment mais c’est trop tôt pour en parler.
Avez-vous des projets en parallèle concernant la formation en santé numérique ?
Oui, des formations ont été mises en place, avant le tiers-lieu mais montées par les mêmes équipes et portées par l’université Paul Sabatier qui a pour vocation l’enseignement numérique en santé. Ces formations vont démarrer en septembre, c’est tout nouveau. L’objectif est d’intégrer le numérique en santé dans l’ensemble des formations des soignants et dans toutes les filières du soin et aussi de positionner le soin dans les filières du numérique.